mercredi 29 janvier 2014

Objectif emploi



A la suite de la publication des derniers chiffres du chômage, la droite a parlé d'échec de la politique gouvernementale, certains de ses représentants ont même demandé la démission du ministre du Travail ou du Premier ministre. Non, il n'y a pas échec : le résultat d'une politique se mesure dans la durée. Un revers ponctuel n'est pas une défaite généralisée.

Mais François Hollande n'avait-il pas promis l'inversion de la courbe du chômage à cette date ? Je n'aime pas le terme de promesse, qui relève du registre moral, qui ne veut pas dire grand chose en politique. Ce qui est vrai, c'est que le chef de l'Etat s'est engagé à tout faire pour que le chômage commence, en ce début d'année, à décélérer, ce qui ne s'est pas exactement confirmé. Mais l'objectif demeure et le gouvernement travaille dans cette direction : l'essentiel est là, le reste est vaine polémique.

A la place de promesse (terme qui alimente le discours démagogique et extrémiste sur les soi-disant "promesses non tenues", à droite comme à gauche), je préfère le mot d'objectif ou d'orientation, qui sont beaucoup plus justes. Ce n'est pas du pinaillage ou de la rhétorique : il faut que la parole publique soit exacte et précise, sinon on va vers le n'importe quoi. L'inversion de la courbe du chômage est un objectif à tenir, coûte que coûte, au milieu des déconvenues, afin de mobiliser l'économie, rendre confiance à la société, redessiner un possible avenir. C'est pourquoi cette direction est pertinente et qu'il faut la maintenir.

Mais cet objectif est-il réaliste ? Hollande n'a t-il pas péché par optimisme ou excès de bonne volonté ? Non, pas du tout. Quand Nicolas Sarkozy s'était engagé, au début de son quinquennat, à rétablir le plein emploi en cinq ans (c'est-à-dire un taux de chômage résiduel, de quelques points seulement, comme dans les années 60), oui, la mesure était irréaliste et les faits se sont chargés de le confirmer. Mais le gouvernement actuel a posé un objectif basique, élémentaire, incontournable : si l'on veut commencer à voir se réduire le chômage, si l'on veut impulser une dynamique de création d'emplois, le premier signe, c'est le retournement de tendance, même minime. L'objectif de François Hollande est donc parfaitement raisonnable, et même indispensable, à partir du moment où l'emploi est la priorité.

Donner un chiffre précis, dire qu'on va réduire par exemple de moitié le nombre des demandeurs d'emplois, là l'objectif serait irréaliste, et même absurde. Hollande s'en est bien gardé : il s'est concentré sur le seul indicateur viable et prometteur, l'inversion de la courbe. Ne pas vérifier la tendance résultats après résultats, ce ne serait pas responsable. Que les derniers résultats ne soient pas bons, ce n'est pas désespérant, et ce n'est surtout pas le signe qu'il faudrait changer de politique, mais au contraire poursuivre dans ce qui se fait, se construit progressivement. Car la tendance est à la stabilisation, qui n'est pas une fin en soi, qui n'est même pas un objet de satisfaction, mais qui est une donnée qui confirme le tracé, à prolonger. Si l'évolution à venir contredisait l'objectif gouvernemental, ce sont les électeurs qui en tireraient par leur vote toutes les conséquences ; mais pas aujourd'hui, par ses appels à la démission, l'opposition de droite.

En s'engageant à inverser la courbe du chômage, François Hollande fixe le cap d'une politique, qui aurait pu se donner d'autres priorités : la relance du pouvoir d'achat, la réduction des inégalités, thèmes qui sont chers à la gauche. Dans l'opposition, on peut se permettre toutes les revendications (et encore, c'est à voir ...). Mais au pouvoir, il faut faire des choix, et s'en donner les moyens. Ceux de Nicolas Sarkozy étaient, pour le secteur marchand, le "travailler plus pour gagner plus" et pour le secteur public la non reconduction d'un fonctionnaire sur deux. La politique de François Hollande est en rupture avec la précédente (ce qu'on ne remarque ou qu'on ne souligne pas assez). Elle est même en rupture avec le socialisme traditionnel ! Hollande privilégie, dans son objectif de faire décroître le chômage de masse, la politique de l'offre et le compromis avec le patronat.

C'est une perspective originale à gauche, qui n'a jamais été tentée dans son histoire, seulement esquissée à certains moments. Ce n'est pas du "social-libéralisme" ou des "cadeaux au patronat", expressions polémiques qui cachent une vérité fondamentale : il y a deux doctrines, qui peuvent se croiser sur certains points, mais qui sont foncièrement différentes, le libéralisme économique et la social-démocratie. Regardez le programme que s'est donnée l'UMP ce week-end : c'est du libéralisme pur jus de chaussette, Alain Juppé, qui connaît son parti, le regrette. La différence d'avec la ligne social-démocrate de François Hollande et du PS est flagrante !

Le paradoxe et la difficulté de François Hollande, c'est qu'il a choisi de faire de la social-démocratie dans un pays, la France, qui n'a pas de culture social-démocrate (pas de syndicats puissants, pas d'esprit de compromis social) et à la tête d'un parti, le PS, qui n'est pas vraiment social-démocrate, qui fait de la social-démocratie sans oser le dire et l'assumer, avec une frange, l'aile gauche, carrément hostile. François Hollande a eu le mérite politique de lever ce complexe, de briser ce tabou, d'utiliser les mots justes. Mais il reste beaucoup d'efforts à faire. Ce n'est pas la droite que je crains : elle est dans son rôle d'opposition, fidèle à elle-même. C'est la gauche qui me préoccupe : ses résistances, ses préjugés, son tropisme historique. Je ne doute pas cependant que la clarification sera progressive, que le parti socialiste a déjà fait de grandes avancées en ce sens.

En tout cas, contrairement à ce qu'on entend parfois, je ne pense pas du tout que le quinquennat Hollande marquera par ses réformes sociétales, mariage pour tous, rythmes scolaires, fin de vie. Je suis persuadé que la droite, d'une façon ou d'une autre, s'y serait aussi engagée. En revanche, le choix social-démocrate, combinant la stimulation de l'offre, l'aide massive aux entreprises et l'objectif obsédant de l'emploi, est une martingale inédite, qui surprend à gauche et qui déstabilise à droite. Elle a tout mon soutien, enthousiaste.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous dites que la politique du gouvernement est la bonne et que le gouvernement a bien travaillé. Pensez-vous qu'un commercial qui n'aurait pas réalisé son objectif et se verrait suspendre sa prime de résultat puisse en tirer de telles conclusions ?

Emmanuel Mousset a dit…

Comparaison n'est pas raison : un président de la République n'est pas un commercial.

Anonyme a dit…

Aussi bonne soit les idées, sans une bonne communication c'est une catastrophe.
depuis le début du mandat, que se soit sur les reformes sociétales ou économiques ce gouvernement ne fait pas le travail de pédagogie que vous faite régulièrement sur ce blog.

Emmanuel Mousset a dit…

Si je vous comprends bien, le gouvernement ou le parti socialiste devraient m'embaucher ?