jeudi 16 janvier 2014

Moi, social-démocrate ...



Ayant choisi hier de privilégier la conférence de Michel Garand, j'en viens aujourd'hui à celle de François Hollande. Pour qui ne l'aurait pas compris, ou ne l'aurait jamais su, ou l'aurait encore oublié, il n'y a plus maintenant de doute possible : le président est SO-CIAL-DE-MO-CRA-TE ! Il aurait pu en faire l'une de ces belles anaphores dont il a le secret : moi, président social-démocrate ...

Social-démocrate, c'est l'évidence de la politique gouvernementale, ça remonte à loin dans l'histoire du parti socialiste (voir mon billet d'avant-hier), mais en politique comme en amour, il faut mettre des mots sur les choses, sinon il y a incertitude, ambiguïté, maldonne et, à terme, déception. Personnellement, je biche, je bois du petit lait (que je préfère au gros rouge) : moi, social-démocrate, ça fait une dizaine d'années que je revendique cette étiquette, pour sa clarté, qui a pourtant fait de moi le mal aimé d'une section locale classiquement socialiste, fricotant avec l'extrême gauche.

La droite a parlé, à l'issue de cette conférence de presse, d'un "tournant", d'une incohérence, voire d'une trahison. Non, il n'y a eu aucun "tournant" mardi après-midi : François Hollande a poursuivi dans la droite ligne de ses voeux télévisés et dans ce qui est sa politique depuis son arrivée à l'Elysée. Le pacte de responsabilité, qui consiste à échanger des baisses de charges sociales contre des créations d'emplois et des efforts de production, prolonge le pacte de compétitivité, qui prônait les mêmes objectifs, avec un moyen différent, le crédit d'impôt. On voit bien que l'inspiration est identique et les finalités également. A la limite, on peut parler d'accentuation, d'accélération, mais sûrement pas de "tournant", encore moins de revirement.

L'extrême gauche parle, elle, de "cadeaux au patronat". Cette expression est idiote. En politique, aucun pouvoir, de droite ou de gauche, ne fait de cadeaux à personne. Car pour quelle raison Hollande ferait-il des cadeaux au patronat ? Je ne vois pas. Les patrons ne font pas partie de la sociologie électorale du parti socialiste. Ce n'est pas grâce à eux que François Hollande a été élu président de la République, ce n'est pas grâce à eux qu'il sera réélu en 2017. En revanche, c'est grâce à eux que la croissance et l'emploi peuvent redémarrer. C'est pourquoi le gouvernement de gauche leur en donne les moyens, comme jamais aucun gouvernement avant lui n'avait osé le faire : c'est ça, la social-démocratie. Si l'on tient absolument à utiliser le mot de cadeaux, il faut le faire autrement : ce n'est pas Hollande qui fait des cadeaux au patronat, c'est le patronat qui doit en faire aux Français, puisque les entreprises n'existent que pour créer des richesses et de l'emploi (il n'y a que les marxistes basiques qui les réduisent au profit accapareur et qui les condamnent à ce titre).

La démarche social-démocrate repose sur le compromis, le donnant-donnant : l'argent contre l'emploi, pour le dire brutalement. La gauche classique raisonne autrement : en termes de luttes de classes, de rapports de forces, qui lui font dire qu'il faut écouter la rue et pas les patrons. Mais la rue généralement ne dit rien, et quand elle manifeste, le rapport de forces est rarement assez fort, sauf circonstances historiques exceptionnelles, 1936, 1968. S'il fallait attendre la mobilisation de la rue, le progrès social n'aurait guère avancé en France. Alors oui, ce sont les patrons qu'il faut écouter, avec lesquels il faut négocier et passer des compromis.

A gauche, certains s'inquiètent : Hollande est-il toujours de gauche ? Oui, sans hésiter. Je me demande même pourquoi on se pose la question, sinon par faiblesse, par fragilité. L'arbre est jugé à ses fruits, une politique à ses objectifs : que veut le gouvernement Hollande-Ayrault ? Sortir la France du chômage de masse et préserver nos systèmes sociaux, principalement de retraites et de santé. Voilà des objectifs de gauche ! L'inégalité à combattre aujourd'hui, ce n'est pas d'abord entre les riches et les pauvres, mais entre ceux qui ont un boulot et ceux qui n'en ont pas. Préserver notre protection sociale, c'est protéger les plus pauvres et les plus modestes (les riches et les milieux aisés n'attendent pas après les systèmes sociaux pour se soigner, s'éduquer et organiser leurs retraites : il leur suffit de se confier au secteur privé). La politique gouvernementale est donc bel et bien une politique de gauche : si elle s'adresse aux patrons, c'est en faveur des classes populaires, qui restent son électorat et son soutien naturels.

Le parti socialiste français d'aujourd'hui est beaucoup plus celui de Blair et Schroeder, pour le dire là aussi un peu brutalement, que celui de Blum et Jaurès. Et c'est normal, inévitable : nos grands ancêtres, et qui le demeurent, n'ont pas connu la mondialisation économique, le capitalisme financiarisé, ni l'éclatement de la classe ouvrière. On peut toujours faire brûler des cierges au pied de leurs statues, rien n'empêchera que la réalité que nous connaissons n'a plus rien à voir avec la leur. Les socialistes ne sont pas des gardiens de musée ou des abonnés perpétuels à l'opposition. Il leur faut agir dans leur époque et dans les conditions de l'exercice du pouvoir.

De toutes les mesures préconisées par François Hollande en matière d'économies, de réduction des dépenses, j'en vois une qui me semble primordiale, et qui est très courageuse de sa part : la réduction du nombre des régions et la simplification de notre organisation territoriale. J'en ai souvent parlé sur ce blog. S'il y a des économies à faire, et massives, c'est bien de ce côté-là. Prenez Saint-Quentin : trouvez-vous normal, cohérent, efficace, rationnel qu'Harly, Gauchy et Neuville-Saint-Amand, qui se confondent géographiquement avec notre ville, qui en sont en quelque sorte le prolongement, trouvez-normal qu'elles disposent de leur propre organisation politique et administrative ? La question mérite au moins d'être débattue. Et notre Picardie riquiqui, avec ses trois pauvres départements sans véritable cohérence historique, ne trouvez-vous pas normal qu'elle devrait regarder vers le nord ou vers l'est afin d'envisager un destin plus grandiose ?

Hollande est courageux sur ce coup-là, car il va se mettre à dos tous les élus concernés, c'est-à-dire la plupart de ses copains. En politique, on peut toucher à votre femme, éventuellement à votre argent, mais jamais à votre pouvoir : c'est sacré, c'est votre identité, c'est ce qui fait ce que vous êtes, un politique. Supprimer un mandat, c'est vécu comme une forme de castration. Et pourtant, il va bien falloir y passer. Xavier Bertrand a une bonne idée sur ce sujet : procéder à un référendum. Les élus ne céderont jamais à d'autres élus, y compris et surtout amis. Mais devant le peuple, ses représentants ne peuvent que trembler, comme les croyants devant le Dieu de la Bible. En République, il y a plus sacré que les mandats accordés par le peuple : c'est le peuple lui-même ! Ceci dit, si j'adhère à la méthode proposée par Xavier Bertrand, je ne crois pas qu'on se retrouvera sur le contenu du projet soumis à référendum. En tout cas, le débat sur cette nouvelle phase de la décentralisation et de la réorganisation territoriale a été lancé, et il sera fondamental.

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