samedi 9 novembre 2013

Une France raciste



La France est-elle raciste ? A l'occasion des graves injures proférées envers Christiane Taubira, je suis surpris qu'on se pose la question, qui est désobligeante pour notre pays, notre histoire et notre peuple, tant la réponse est évidente : non, la France n'est pas raciste. La tradition des droits de l'homme est ancienne et bien implantée dans les moeurs, nous vivons depuis plus d'un siècle en République, personne ou presque ne songerait à renoncer à la démocratie (qui proclame l'égalité entre les êtres humains), le Front national est rejeté par une majorité de Français et on imagine mal ce parti xénophobe parvenant au pouvoir et dirigeant la France.

Mais si la France n'est pas raciste, il existe bel et bien, hélas, une France raciste, dont les attaques contre la ministre de la Justice sont la manifestation. Cette France raciste ne date ni d'aujourd'hui, ni d'hier : elle est aussi ancienne que la France républicaine. Il faut remonter loin, d'abord dans notre passé colonial, qui a installé dans les têtes le sentiment d'une supériorité de l'homme blanc. Ensuite, il y a l'anti-judaïsme chrétien, qui a marqué profondément les esprits (jusqu'à la Seconde guerre mondiale, la presse catholique était souvent antisémite). Enfin, la France a connu un régime raciste, celui de Vichy, dont la figure de proue, le maréchal Pétain, a été jusqu'au bout très populaire. Aujourd'hui, le vote FN s'inscrit dans cette filière, bien sûr sous des modalités nouvelles. Mais c'est bien la même France raciste.

La France est-elle plus raciste maintenant qu'autrefois ? Je ne le pense pas. D'abord, il est difficile de mesurer le périmètre de cette France raciste, d'en évaluer l'importance. Elle n'est représentée par aucun parti ouvertement raciste (le FN est xénophobe et joue sur les sous-entendus, les non dits, les ambiguïtés). C'est plutôt une mentalité, une culture, une parole racistes, qui circulent à travers des blagues, des anecdotes, des rumeurs, des peurs, des préjugés : d'où la difficulté à la cerner. J'ai toujours rencontré des personnes racistes, mais pas plus aujourd'hui qu'il y a trente ans.

Cependant, il y a une grande différence, une déplorable nouveauté : c'est que le racisme hésite moins aujourd'hui à s'exprimer, à cause du vote FN qui lui a donné une forme de reconnaissance. La pensée et la pulsion racistes sont désormais décomplexées, désinhibées, politiquement légitimées par les succès électoraux de l'extrême droite. A quoi s'ajoute la culture contemporaine de la dérision et du divertissement, qui fait que se développe un racisme fun, provocateur, libéré, transgressif, parfois inconscient de lui-même. Et puis, l'internet a permis le retour du refoulé : sous anonymat, c'est le grand défouloir, impudique, obscène, vicieux.

Cette France raciste, qui se garde bien d'avouer généralement qu'elle l'est ("je ne suis pas raciste, mais ...", combien de fois ai-je entendu cette antiphrase !), se trouve excusée, justifiée, confortée par de pseudo-explications qui visent à nier l'existence même d'une France raciste, pouvant ainsi avancer masquée. Par exemple, on réduit le racisme à une crise d'identité nationale, à une perte des valeurs morales ou à un déclin des idéologies. Tout ce fatras n'est que foutaises pseudo-philosophiques qui n'expliquent rien du tout, mais qui dédouanent le raciste de toute mauvaise intention.

De même, on avance des explications pseudo-sociologiques : le racisme ne serait que l'expression de la colère et de la souffrance sociales. Ce serait un moyen de contestation des catégories populaires. En quelque sorte, le racisme poserait de bonnes questions mais apporterait de mauvaises réponses. Cette grille d'analyse est évidemment fausse et détestable. Car pourquoi la protestation sociale ne profiterait-elle pas, à égalité, à l'extrême gauche, beaucoup plus révoltée que le FN contre le système ? C'est bien parce que le FN veut casser de l'étranger ...

En dernier lieu, et tout aussi méprisable, il y a la pseudo-explication psychologique : nous serions tous racistes, par nature. C'est une forme d'auto-justification : je suis raciste, comme tout le monde, proclame le raciste ! Eh bien non, il y a des tas de gens qui ne sont pas, n'ont jamais été, ne seront jamais racistes, n'en déplaise à ceux qui le sont et qui voudraient que leur vice soit partagé dans le but d'être atténué et relativisé.

Que faire contre le racisme ? Tout simplement le combattre, sans relâche, sans baisser la garde, en commençant par appeler un chat un chat et un raciste un raciste. L'école fait tout son possible dans cette lutte, et depuis très longtemps. C'est à la classe politique de se montrer exemplaire, en excluant autant que faire ce peut le Front national de la vie publique, en rassemblant contre lui tous les républicains de gauche, de droite et d'ailleurs. Car en République, il ne faut jamais oublier qu'au dessus de la droite et de la gauche, il y a la République.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

On ne vois pas plus de racistes et de fachos mais on les entend plus, c est ce phenomene qui rend le climat en france plus raciste. Oui avec l absence de moderateur sur internet, un etranger ,un juif, un musulman, un homosexuel souffrent davantage de propos discriminatoires et injurieux. La france n est pas plus raciste mais elle protege moins ses citoyens des agressions et de la violence liees a l intolerance. La france n a plus les moyens face aux nouveaux support de communication de lutter contre le racisme et de punir ceux qui anonymement salissent la france
Il y a bien en france un nouveau probleme a traiter pour pretendre encore etre un modele au niveau des droits de l homme.

Anonyme a dit…

Pas raciste mais hélas devenue communautariste à cause de la crise mondiale ...

Emmanuel Mousset a dit…

Le mot change, la pulsion reste la même.