Les notables à la lanterne ?

Il y a un point commun, un seul et unique, entre le tract du Front national (voir mon billet d'hier) et le journal de la section communiste de Saint-Quentin, L'Eveil n°3 (paru cette semaine) : tous les deux critiquent les notables et les refusent sur leurs listes municipales. Pourquoi donc mes ennemis frontistes et mes amis communistes portent-ils ce regard négatif sur les notables ? Longtemps, ce sont les aristos, les bourges, les richards, les gros, les technos ... qui suscitaient la réprobation de certains militants : aujourd'hui, sont-ce les notables qu'on veut mettre à la lanterne, comme le chantait le Ca ira révolutionnaire ?

Au fait, c'est quoi un notable ? Je crois que tout part de là. Quelqu'un qui a du pouvoir ? Pas forcément. La politique est pleine d'incertitude et d'aventure : ce n'est pas dans les goûts rangés d'un notable. Et ceux qui ont du pouvoir ne sont pas forcément des notables : un homme de l'ombre, une éminence grise, un administratif décisionnaire ont une influence énorme, sans avoir le profil de notables.

Si ce n'est pas le pouvoir, est-ce l'argent qui définit le notable ? Pas vraiment non plus. Un cadre supérieur ou un haut fonctionnaire mènent des vies aisées qui n'en font pas des notables. La richesse aime trop la discrétion pour postuler à une existence de notables. Un grand patron n'est même pas un petit notable ! Ceci dit, personne n'imagine un notable au smic ou fréquentant les Restos du Coeur ...

Alors, la profession fait-elle le notable, comme l'occasion fait le larron ? Un médecin ou un avocat sont bien partis mais pas nécessairement arrivés à la case notables. A Saint-Quentin, je dirais volontiers que le docteur Huguet est un notable, mais parce que c'est un médecin engagé. Mon toubib de quartier n'est pas l'ombre d'un notable. De même, maître Vignon est un notable parce que c'est un avocat très en vue. Un proviseur peut être considéré comme un notable : quand il quitte la ville, il y a réception en mairie, signe de respectabilité sociale qui ne trompe pas. Mais un directeur d'école, tout directeur qu'il est, n'est pas un notable, parce qu'il dirige seulement des classes d'élèves, n'a pas la supériorité hiérarchique d'un chef d'établissement dans un lycée.

Est-ce que la notoriété aide à mieux cerner l'identité du notable ? Oui, sûrement, mais pas complètement. On peut être connu comme le loup blanc, vedette dans sa ville et pas notable pour un sou. Car cet état social est aussi un état d'esprit. J'aurais tendance à caractériser le notable par la conjugaison du pouvoir, de l'argent et de la notoriété. Mais aucun de ces termes pris séparément ne suffit à faire de vous un notable.

Je crois surtout qu'on ne choisit pas d'être notable : comme la fonction crée l'organe, c'est le milieu qui produit le notable. On n'est jamais notable tout seul ; c'est le regard des autres qui vous le fait devenir. Notable de province, c'est un pléonasme : à Paris, dans l'anonymat des grandes villes et la complexité de leurs réseaux sociaux, le notable n'existe pas vraiment. Notable va de pair avec local.

Ce qui signifie aussi que le notable est souvent l'objet de fantasmes : on se l'imagine plus qu'il n'est en réalité. En politique, il apporte moins qu'on ne croit. Mais sa présence sur une liste municipale est un gage d'expérience, de responsabilité, d'influence : elle ne fait pas gagner, mais elle crédibilise. Si les frontistes et les communistes les critiquent et n'en veulent pas, c'est tout simplement qu'ils ne veulent pas du pouvoir, mais ambitionnent de représenter un contre-pouvoir (où les notables n'ont en effet aucune part).

En revanche, le parti socialiste, parti de gouvernement, se doit d'avoir quelques notables à ses côtés, auprès des syndicalistes, des associatifs et des politiques. Je rêve d'une liste municipale avec des ouvriers, des employés, des petits fonctionnaires, mais aussi des avocats, des médecins, des chefs d'entreprise engagés. C'est une alchimie pas facile à réaliser.

A Saint-Quentin, va-t-on assister aux prochaines municipales à une bataille de notables ? Non, je ne pense pas. Le parcours professionnel et personnel de Xavier Bertrand n'en fait pas un notable, malgré ses titres de maire, de député et de ministre. Mon camarade Garand porte beau, parle bien, affiche rosette à la boutonnière et a été appelé "Monsieur le Directeur". Mais pas plus que l'habit ne fait le moine, l'apparence ne fait pas le notable. Michel m'a dit un jour : "je n'ai pas l'esprit bourgeois", et je veux bien le croire. N'en déplaise aux frontistes et aux communistes, le choix de mars ne sera pas entre notables de gauche et notables de droite, mais entre deux projets pour la ville (c'est en tout cas mon souhait).