mercredi 6 novembre 2013

Tu es belle, mon amour



Avez-vous regardé hier soir, sur D8, "Campagne intime" ? Ce documentaire sur la dernière campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy était annoncé comme un événement, un film déjà culte. En son genre, oui, c'est vrai, on n'a jamais vu ça : l'événement du rien, le culte du néant. Aucune révélation, pas de nouveauté, le degré zéro de la politique et de l'information : même pas amusant.

Une suite de banalités : après Hollande, candidat normal, c'est Sarkozy, monsieur tout-le-monde, filmé comme nos repas de famille, nos rencontres entre potes ou nos soirées de vacances, c'est-à-dire totalement vain, creux, inintéressant. Sarko fait bisou à bébé, puis téléphone, pendant que Carla chante ou gratte sa guitare, tellement elle s'emmerde à l'Elysée. Lui : "tu es belle" ; elle (en lui passant la main dans les cheveux) : "mon amour". On croirait une réplique de Laurent Gerra, le matin sur RTL. Mais c'est le vrai Sarkozy et la vraie Bruni ! Lui, quand il se déplace, marche comme Al Pacino dans Scarface, elle, se prend parfois pour Dalida ...

Oui, ce documentaire est vraiment un événement : une étape supplémentaire, et aggravante, dans la désacralisation du chef de l'Etat. On a atteint le fond : il ne reste plus qu'à le voir faire caca. Une lignée d'empereurs, de rois et de présidents qui ont gouverné la France ont dû se retourner dans leurs tombes ! Mais Sarkozy n'est pas entièrement fautif. La majesté du pouvoir, que de Gaulle a instauré, que Giscard a prolongé et que Mitterrand a préservé, a pris fin en 1995, avec Jacques Chirac, lorsqu'il a eu l'idée complètement saugrenue de faire arrêter le cortège présidentiel aux feux rouges, comme pour n'importe quelle bagnole. Non, un président de la République, pour la dignité de sa fonction, n'est pas un vulgaire pékin qui attend sagement que le feu passe au vert : il continue, il fonce, il ne s'arrête pas. Du jour où un chef de l'Etat a accordé plus d'importance à des piétons qu'à la nation, l'autorité a été dramatiquement compromise. Depuis, cette délégitimation de l'institution suprême n'a pas cessé. Le premier magistrat du pays n'est plus guère considéré comme le premier (princeps, le prince). Sa souveraineté n'est plus souveraine.

De "Campagne intime", j'ai tout de même tiré deux enseignements politiques, qui sont pour moi des confirmations. D'abord, Nicolas Sarkozy le dit fort justement : on ne choisit pas de faire de la politique, pas plus que Simenon n'a choisi d'écrire ou qu'un comédien choisit de faire du théâtre. Une passion, quelle qu'elle soit, et la politique en est forcément une, on la porte depuis toujours en soi, elle ne vous quitte pas. Quelqu'un qui décide, du jour au lendemain, de faire de la politique, c'est un très mauvais politique. La politique, c'est l'engagement d'une vie.

Ensuite, j'ai beaucoup aimé la scène à l'Elysée, au soir du premier tour de la présidentielle, quand Sarkozy rédige son discours aux médias et aux Français. Il est sûrement crevé, un peu déçu par son résultat, mais il trouve la force de répliquer à l'un de ses conseillers, qui voudrait remplacer le mot "contrôle" du budget par "limite" du budget. L'explication est brève, précise et magistrale. C'est ça la politique : ne rien lâcher, même pas un mot, y compris un soir de fatigue, alors que ce mot, tout le monde s'en fout, tout le monde l'aura vite oublié, sans même y faire vraiment attention. Un chef ne cède sur rien, surtout pas sur un mot : il assume tout, renvoie à sa nullité un conseilleur, qui n'est pas un payeur, c'est bien connu. L'entourage d'un chef est là pour le soutenir, le défendre, l'admirer, pas pour le corriger. Les conseilleurs en politique, c'est la plaie : ils veulent exister en pinaillant sur des mots, parce qu'ils sont incapables d'être des chefs. Sarkozy a torché le nez au sien, il a bien fait.

Moi qui n'aime pas Sarkozy, ni dans ses idées, ni dans son style, il y a un moment où je lui dis : chapeau !c'est dans la défaite, où il a su se montrer grand, digne et républicain. Lui, l'énervé, le réactif, il a accepté cette défaite, il s'est montré serein. J'ai apprécié sa formule : "Je déteste ceux qui sont forts dans la victoire et faibles dans la défaite". Oui, rien de plus détestable que ces battus par le suffrage universel, incapables de faire face, allant jusqu'à nier leur échec, se cherchant un bouc émissaire pour excuser leur médiocrité, osant parfois se complaire dans une défaite qu'il transforme minablement en quasi et pseudo victoire. Sarkozy, qui a beaucoup de défauts, a échappé à celui-là, et c'est tant mieux. Giscard, qui n'a pas su être sage dans la défaite, a terminé sous les huées et les crachats en 1981. Sarkozy, digne sur ce point, a rejoint Jospin en 2012 et de Gaulle en 1969 : en démocratie, quand le peuple veut tourner la page, on s'en va la tête haute, sans regret ni rancoeur, en se soumettant à la volonté générale.

Comment ne pas terminer en signalant que deux Saint-Quentinois apparaissent, à plusieurs reprises, dans "Campagne intime" : Xavier Bertrand et Jérôme Lavrilleux. Ils fréquentent les sommets de l'Etat alors que je n'ai même pas réussi à franchir le perron de l'Hôtel de Ville de Saint-Quentin ! Là aussi, pour mon compte personnel, il vaut mieux garder la tête haute et l'esprit lucide ...

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Le passage sur la chaise percée faisait partie du grand lever de Louis XIV, seuls les privilégiés pouvaient y assister.

Anonyme a dit…

Le classement des individus en GAUCHE et DROITE est une notion purement artificielle ; STALINE très à gauche et MUSSOLINI très à DROITE n'étaient pas vraiment des humanistes et VOUS l'êtes vous ancré dans des certitudes de GAUCHE qui sont d'un autre temps , tout comme celles de DROITE ... Bien trop sclérosées autour de quelques slogans désuets et réducteurs ...

Emmanuel Mousset a dit…

Oui, c'est vrai, j'ai des certitudes de gauche, qui sont d'un autre temps, mais d'un temps que j'aime bien.