jeudi 7 novembre 2013

Dieu, Pétain et le Père Noël





Quel est le point commun entre Dieu, le maréchal Pétain et le Père Noël ? Ce sont trois figures, certes différentes, du vieillard, et l'une de mes accroches lors de ma conférence sur la vieillesse, hier après-midi, à Cambrai, devant l'Université du Temps Libre (le plan, en vignette). A partir de la Renaissance et dans notre imaginaire, Dieu, qui pourtant n'a pas d'âge, est affublé d'une barbe blanche et juché sur un nuage. Le Père Noël, c'est un peu la même chose, mais en manteau rouge et traîneau. Pétain, c'est les rides, la moustache et la voix chevrotante, un vieux moins sympa que le précédent, mais formidablement populaire jusqu'à la chute du régime de Vichy. Plus tard, de Gaulle dira, à 68 ans : "ce n'est pas à mon âge que je vais commencer une carrière de dictateur !" Pétain, lui, commença à 84 ans !

Pourquoi m'intéresser à la vieillesse ? Parce que les vieux sont de plus en plus nombreux, très influents. Il est significatif que le débat politique tourne autour de la réforme des retraites. Mais paradoxalement, dans ce monde de vieux, ce sont les valeurs de la jeunesse qui sont exaltées. Vieux, j'ai dit vieux ? Peut-être devrais-je parler d'anciens, de personnes âgées, de 3ème âge, de seniors ... Quoique, si le vieux monde est une expression péjorative et dévalorisante, un vieux meuble est quelque chose de précieux et de valorisant.

Et puis, à quel âge est-on vieux ? Au lycée, quand j'étais en classe de Seconde, les filles de Terminale étaient pour moi des vieilles. En Mai 68, les plus de 30 ans étaient considérés comme des vieux cons, conformistes et conservateurs. Dans mon Berry natale, il y a trente ou quarante ans, on était vieux à partir de 50 ans. Aujourd'hui, quand quelqu'un meurt à 75 ans, je m'entends dire : "C'est pas vieux !" Alors, je ne sais plus quel est l'âge de la vieillesse. Mais dans notre société, on reste jeune le plus longtemps possible et on devient vieux le plus tard possible.

Le privilège de l'âge, c'est évidemment l'expérience, qui devrait normalement déboucher sur une certaine sagesse (il n'y a pas de jeunes sages, mais que des vieux sages à barbe blanche). Vieux sages ou vieux singes ? Car "ce n'est pas à un vieux singe qu'on apprend à faire des grimaces" : le proverbe nous éloigne de la sagesse et nous rapproche de l'habileté, de la malice, de la rouerie. La vieillesse, c'est le temps de la retraite, de la liberté, de la fin du travail obligatoire. Mais là aussi, il y a ambiguïté : la retraite, c'est le recul, la défaite, l'éloignement de la vie sociale.

La plus grande vertu de la vieillesse, c'est l'extinction du désir et de sa tyrannie : plus d'ambition, plus de séduction, plus de vanité. C'est pourquoi Platon fait l'éloge de cet âge. Mais pas dans notre société, qui exacerbe les désirs de toute sorte, parce qu'ils sont des moteurs de consommation. J'ai entendu il y a quelques jours à la radio cette accablante information, qu'une jeune journaliste a donnée sans éclater de rire, sans percevoir l'involontaire dérision de son propos : on a distribué dans une maison de retraite des sex toys !!!

O rage, O désespoir, O vieillesse ennemie ! Ce que j'entends autour de moi, c'est le refus de la dépendance. Mais pourquoi donc ? Quel orgueil secret motive cette réaction ? La vieillesse devrait s'accepter, s'assumer : il n'y a pas de honte à être à la charge des autres. A vrai dire, nous sommes tous à la charge de la société, sans laquelle nous serions incapables de quoi que ce soit. C'est cette même société contemporaine qui, ne jurant que par l'autonomie, culpabilise les personnes âgées.

La véritable autonomie de la vieillesse, mais celle-là n'est pas acceptée, c'est le divorce du corps d'avec l'esprit, car l'un vieillit et l'autre pas ou moins. Notre société ne veut que des gens beaux et en bonne santé. Bien que la tête ne soit pas non plus épargnée : c'est l'angoisse d'Alzheimer, d'une perte de soi-même, là où autrefois on ne s'inquiétait guère que le vieillard retombe en enfance, expression charmante qui maintenant fait horreur.

Enfin, la vieillesse n'a pas la cote parce qu'elle est synonyme de mort, d'approche de la mort. La société moderne vénère le progrès, la nouveauté, l'avenir : comment faire avec des vieux qui n'en ont plus et qui ne représentent que le passé ?

Ma conclusion : le drame de la vieillesse n'est pas la vieillesse, mais la volonté désespérée de vouloir rester jeune, de tourner le dos à son âge, de refuser sa condition. Cougars, sexygénaires, vieux beaux et vieillards concupiscents sont pitoyables. A quand des vieux fiers de l'être, brandissant le drapeau de la vieillesse et foulant du pied le détestable jeunisme ?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

A lire V.Caradec, un sociologue de la vieillesse qui démontre dans ses travaux - en référence à Bourdieu - que la vieillesse n'est "qu'un mot", qu'il s'agit avant tout d'une construction sociale, d'une catégorisation.