mardi 12 novembre 2013

Haine de la politique



Le chef de l'Etat hué deux fois dans la même journée, lors des cérémonies officielles du 11-novembre ; le maire UMP de Châteaurenard, Bernard Reynes, victime d'une agression au couteau, ainsi qu'une adjointe et une conseillère municipale : on peut si l'on veut minimiser, relativiser, en disant que dans un cas, il s'agit de l'agitation d'une poignée d'extrémistes, dans l'autre cas, de l'acte isolé d'un déséquilibré. Je ne veux ni minimiser, ni relativiser. Au contraire, je crois que ces deux incidents d'hier sont gravissimes et révélateurs d'un dramatique climat : d'abord parce qu'on a voulu tuer des élus de la République, parce qu'ils étaient élus de la République ; ensuite parce qu'on a porté atteinte au chef de l'Etat dans l'exercice de ses fonctions (non pas à l'homme ou au socialiste), alors qu'il déposait une gerbe aux héros et victimes de la Grande Guerre, sous l'Arc de Triomphe. Tentative de meurtre, sacrilège envers la République : c'est la haine de la politique qui se manifeste.

Ce n'est certes pas nouveau, mais le phénomène est grandissant et inquiétant : la désaffection d'une partie de l'opinion publique envers sa classe politique, qui provoque dans certaines têtes des comportements radicaux et fanatiques. Aujourd'hui, l'image du politique, de l'élu et même du militant s'est considérablement détériorée : vénal, corrompu, opportuniste, voilà comment l'homme politique est souvent dépeint par nos concitoyens dans les conversations ordinaires. Ce tableau est évidemment faux, mensonger, injuste, à décourager en tout cas les bonnes volontés à s'engager en politique. Les causes ne sont pas selon moi circonstancielles, mais profondes et anciennes. J'en vois principalement trois :

1- La perte d'autorité induite par la normalisation de la classe politique, en premier lieu du chef de l'Etat. Depuis une vingtaine d'années, nos hommes politiques veulent ressembler à tout le monde, être des citoyens comme les autres. Chirac, Sarkozy et Hollande ont épousé cette ligne, qui vient de l'air du temps, que jamais De Gaulle ou Mitterrand n'auraient acceptée. Le pouvoir ne se départit pas d'une certaine majesté, même si point trop n'en faut, la République n'étant pas non plus la monarchie. Mais il doit y avoir respect, élévation et exemplarité, ces trois vertus allant ensemble. A défaut, on en vient aux actes désespérés de la journée d'hier.

2- Il faut en finir avec l'idéologie (car c'en est une !) de l'écoute, peut-être utile en psychologie (et encore, car elle nourrit le narcissisme), mais pernicieuse en politique : écouter les gens, selon l'expression à la mode, ça n'a aucun sens, leur parole est forcément multiple, individuelle, contradictoire, il ne peut en ressortir aucune ligne politique claire. C'est aux citoyens d'écouter les politiques (et pas l'inverse), de se faire une idée et de voter en conséquence. Se mettre à l'écoute, c'est se condamner à vouloir faire plaisir à tous, ce qui est impossible. Faire de la politique, c'est faire des choix, donc des mécontents.

3- Le citoyen est aujourd'hui totalement déresponsabilisé. C'est sa parole à lui, non plus celle du politique, qui est d'or. Ca ne va pas du tout. Un citoyen responsable (pléonasme), c'est quoi ? C'est un citoyen qui assume ses choix. Ceux qui ont voté Hollande savaient très bien, en gros, ce qui les attendaient ; les autres ont le droit de protester, dans la légalité ; mais ses électeurs, non : il faut être cohérent avec soi-même. Quant aux déçus, qu'ils s'en prennent à leurs propres désirs illusoires, et pas à la réalité. On nous fait croire que toute protestation serait en soi légitime : non ! L'actuel président a passé un contrat avec la nation pour cinq ans : ce terme doit être respecté. A l'issue, chacun jugera, renouvellera ou pas son choix.

Si on veut faire taire la haine de la politique (et conséquemment de la démocratie, puisque dans ce régime seul, la politique est une activité reconnue et encouragée), il faut un nouvel état d'esprit public : rétablir l'autorité républicaine, restaurer le sens de l'intérêt général, réaffirmer la responsabilité individuelle et collective des citoyens. De son côté, la classe politique, à tout niveau, doit elle aussi faire des efforts : pratiquer un recrutement militant plus large et plus exigeant, s'abstenir des bons mots, des petites phrases et des attaques personnelles. Car ce qui vaut en politique, ce sont les convictions, les propositions et les actions. Alors, la haine irrationnelle de la politique se convertira peut-être en amour raisonnable de la politique.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

on pourrait aussi s'inspirer de la modestie de pays scandinaves qui ont banni "les ors de la République" et où on ne s'étonne pas de voir un ministre déjeuner à la cantine de son ministère j'aurais aimé que la gauche au pouvoir aille dans ce sens mais hélas la France est au fond cultuellement monarchiste et de droite: que la crise s'installe et le naturel revient au galop; un "grand" homme célèbre avait écrit que la France était ingouvernable; la situation actuelle lui donne raison bien qu'il se soit trompé lui-même en maiylorntes occasions

Jacques a dit…

Tout à fait d'accord sur le piège de l'écoute, sur la nécéssaire primauté des politiques, sur le contrat signé avec F.Hollande, sur le bilan à faire dans 5 ans devant les urnes... Pour autant, ce n'est pas parce que les mesures prises ont été annoncées dans la campagne présidentielle qu'il ne faut plus les expliquer! Nous avons besoin que le chef nous redise où on va et nous rassure sur le chemin suivi. Même les parlementaires PS ont l'air d'en avoir besoin! Et ne me dites pas que seuls ceux qui ne veulent pas voir ne voient pas...