lundi 27 mai 2013

Internel



On croit souvent, c'est un lieu commun, que l'internet représente le triomphe de l'éphémère sur la longue durée, du court instant sur la mémoire. Nous serions entrés, avec lui, grâce à lui, dans l'ère de l'immédiateté. Exemple, ce blog : je le rédige chaque jour et je passe très vite à un autre jour, car rien n'est plus rapide qu'une journée qui passe. Mais je n'adhère pas du tout à cette façon de voir, qui aboutit généralement à critiquer l'internet, qui nous aurait soi-disant fait perdre le sens de la distance. Au contraire, avec l'internet, nous renouons avec une forme d'éternité (je vais jusque-là !).

D'abord, le vrai triomphe du net, c'est celui de l'écriture sur la parole. Or, rien n'est plus fugace, oublieux, éphémère que la parole, qui s'envole alors que les écrits restent, comme le dit la fameuse formule. Ensuite, l'écriture électronique demeure à jamais, tandis que le papier est voué à disparaître. En quelque sorte, le billet que je suis en ce moment en train de rédiger l'est pour l'éternité. Dans la blogosphère, rien ne s'efface, sauf par autodestruction (je n'en suis pas là !). Ce blog pourra être consulté bien longtemps après ma mort, et même quand j'aurai cessé de le remplir, même quand je m'en serai désintéressé (en supposant que cela puisse un jour arriver), ce blog continuera à vivre en dehors de moi.

Imaginez un peu l'incroyable mémoire que constitue un blog après sept ans d'existence, la multitude d'informations qu'il contient sur la vie politique saint-quentinoise et qu'on ne trouve nulle part ailleurs, même dans la presse locale ! C'est une mine qui sera exploitée plus tard, une sorte d'archivage que nulle méthode d'archive traditionnelle ne peut vraiment stocker. Si je n'avais réussi politiquement qu'une seule chose, ce serait encore celle-là, qui bien sûr ne me suffit pas, mais qui est déjà beaucoup quand tant d'autres ne font rien.

Si cette réflexion m'est venue aujourd'hui à l'esprit, c'est que les circonstances récentes m'y ont conduit. Sylvain Logerot m'a informé qu'une référence à mon ancien blog Prof Story avait été faite sur le site bien connu Rue89, dans un billet d'Emmanuelle Bonneau, daté de vendredi dernier, "Notation des profs : l'obscur critère du rayonnement", à la suite du rapport de la Cour des comptes sur le métier d'enseignant. Le 4 février 2009, je faisais une critique de la notation administrative des professeurs, à partir de mon cas personnel. Quatre ans plus tard, mon analyse resurgit, ailleurs !

Coïncidence, je reçois hier un courriel d'une ancienne élève, Lisa-May Polino, très heureuse de retrouver un billet dans lequel je parlais d'elle et de son militantisme lycéen, dans un billet de Prof Story du 20 décembre 2008 ! Evidemment, j'avais oublié tout ça. L'internet n'est pas seulement une mémoire collective, pour les autres, c'est aussi une mémoire personnelle, pour soi-même. Quand je replonge dans des billets d'il y a quelques années (ça m'arrive rarement, car le présent et l'avenir me préoccupent plus que le passé), je vous jure que c'est impressionnant, et je vous invite, s'il vous plaît, à en faire la petite expérience. C'est fou tout ce qu'on peut oublier ! L'internet, c'est l'indispensable mémoire. Sur quel autre support pourrait s'inscrire les micro-événements de la vie locale ? Et pour penser et préparer le futur, il ne faut pas effacer le passé.

Puisque je parle d'avenir, j'ai une autre information récente à vous confier, en rapport avec notre sujet : la revue Philosophie magazine, ayant repéré mon blog pour les billets que j'ai consacrés à certains de ses numéros, m'a proposé un partenariat qui consistera à faire, une fois par mois, une lecture critique du numéro de Philosophie magazine en cours. Je n'ai pas pour habitude de faire de la pub pour qui que ce soit, mais là, la proposition est honnête et la cause est juste. J'ai donc dit oui. Si l'internet n'existait pas, jamais le magazine ne serait remonté jusqu'à moi.

Mon assiduité à rédiger ce blog, depuis de nombreux années, avec seulement quelques rares et courts moments d'infidélité, laisse croire à beaucoup de gens que je suis un internaute fervent. Pas du tout ! Je surfe assez rarement sur le net, j'ignore complètement le monde de Facebook : je préfère la lecture des bouquins et la conversation en vrai, pas en ligne (je ne condamne pas, je dis simplement que ce n'est pas mon truc). Ma vie, ce n'est pas l'écran. Je noircis beaucoup plus de papiers que de billets, et sur des sujets qui n'ont rien à voir avec la politique, dont peut-être un jour je parlerai (mais je ne crois pas !). Il n'en reste pas moins que le phénomène du blog, les réactions passionnées qu'il suscite, les coups de folie que parfois il occasionne, m'impressionnent. La raison profonde est celle que je viens d'exposer : l'internet, c'est l'internel, la forme contemporaine que se donne l'éternité, qui a toujours quelque chose de fascinant et d'un peu effrayant.

3 commentaires:

Hubert a dit…

Cela vient du fond
Cela ne s'oublie pas
Tous ces mots envoyés
Souvent nous ont atteint
Continue Emmanuel
Car il y a tant à dire !

Emmanuel Mousset a dit…

J'espère, Hubert, qu'ils ne t'ont pas atteint comme la balle du chasseur atteint l'oiseau ...

Hubert a dit…

La balle du chasseur
Jamais ne peut atteindre
Cet oiseau qui s'élève
Au dessus des nuages.
Quand ses balles se perdent,
Tes mots nous illuminent !