samedi 9 février 2013

Réseaux asociaux



Un étrange incident a troublé cette semaine, à l'assemblée nationale, le débat sur le mariage pour tous : des députés de droite ont fait circuler sur les réseaux sociaux des photos de députés de gauche penchés sur leurs tablettes numériques, s'adonnant à des jeux de société dans l'hémicycle. Je ne sais pas, dans cette triste affaire, qui sont les plus coupables, les photographiés ou les photographes, mais tous contribuent à endommager l'image des parlementaires. Cet épisode qui pourrait paraître anecdotique est, en démocratie, préoccupant ; il atteste d'une dégradation des moeurs parlementaires, qui nuit à l'esprit de la République.

Certes, le Parlement en a vu d'autres, et de pires ! Quand les députés s'insultaient copieusement sous la Troisième République, était-ce moins condamnable ? Oui, parce que la passion excuse beaucoup de choses. En revanche, l'usage ludique de la tablette numérique prouve chez certains députés une négligence, un désintérêt, un ennui qui sont forcément répréhensibles. On a toujours connu d'éminentes figures du Parlement rédiger leur courrier ou lire le journal pendant de non moins éminents débats. Mais au moins se consacraient-elles à une activité, lecture de la presse ou rédaction du courrier, qui a son utilité en matière de service public. Le scrabble, non.

A vrai dire, le déplorable incident de cette semaine est révélateur d'un laisser aller général, d'un relâchement des manières qui affectent une partie de la classe politique, nationalement comme localement. Désormais, dans les réunions ou au restaurant, tout le monde (mais pas moi) a son téléphone mobile devant lui et en fait usage, en dépit de la politesse et de la sociabilité (je mets bien sûr de côté les nécessités professionnelles, qui sont rares). Et que font-ils tous avec leur bidule ? Ils tirent la langue de plaisir à la moindre petite information nouvelle, ils sont tout contents d'être les premiers à l'annoncer, ils rient de ce qu'ils croient être drôles.

Mais surtout, au fond d'eux-mêmes, ces politiques et ces élus, je crois qu'ils s'emmerdent et que le play mobile et la tablette de chocolat viennent les sortir de cette torpeur qu'est parfois la politique. Ils se savent plus ou moins les marionnettes d'un système qui les dépasse, les ficelles étant tirées par d'autres, et ils s'en jouent en jouant, instinct de survie comme un autre, réaction de légitime défense. Je pourrais presque leur pardonner, s'ils n'étaient mandatés et indemnisés par le peuple, qui attend d'eux d'autres manières de le servir.

Quand je les vois à la tribune, certains mâchouillant un chewing-gum, d'autres baillant aux corneilles, lâchant une blague vaseuse ou bien regardant du bout de leurs chaussures jusqu'à la hauteur du plafond, je me demande ce qu'ils font là. Je sais bien que la politique consiste à attendre qu'une place quelque part se libère, mais ce n'est pas une raison pour manquer de tenue. Les citoyens vous observent, nom d'une pipe ! Quand on est de gauche, il faut, en plus, éviter les grosses bagnoles, les sapes voyantes et les restos chics (avec la droite, on est moins exigeant), et à Saint-Quentin, faire gaffe à tout ce qui a trait à la bibine.

Si des personnages comme Jean Jaurès, Léon Blum, Pierre Mendès-France ou François Mitterrand ont su se faire aimer du peuple de gauche, c'est qu'ils savaient se tenir en public, quoi qu'on pense de leur action politique. Ils avaient les manières et le langage. Qu'on ne s'y trompe pas : les plus pauvres sont sensibles à ces choses-là, ils n'acceptent pas qu'on se présente à eux n'importe comment. Politique et politesse ont la même racine étymologique. Les riches se moquent qu'on les respecte ou pas : avec l'argent, ils ont tout ce qu'ils veulent. Mais les pauvres font attention, il n'y a bien souvent que le respect qui puisse leur redonner un peu de dignité.

Si je suis tête de liste aux élections municipales à Saint-Quentin, j'interdirai pendant la campagne, dans les réunions de travail, téléphones mobiles et tablettes numériques à usage personnel (je ne sais pas si cette résolution va m'aider à être désigné, mais tant pis). Dans un effort collectif, surtout politique, on ne doit pas autoriser le narcissisme, le divertissement, la paresse et l'insociabilité. Personne n'oblige à faire de la politique, à mener campagne, à figurer sur une liste. Mais quand on a fait ce choix-là, on s'abstient de tout relâchement personnel. Qu'on se le dise ! Pourquoi permettrait-on à des adultes ce qu'on défend à des enfants, autour de la table familiale ou dans les établissements scolaires ?

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