lundi 24 septembre 2012

Scène de crime



J'aurais dû me douter qu'il se passait quelque chose d'anormal, en voyant hier en début d'après-midi avenue Faidherbe ce journaliste pressé, qui m'a fait un simple signe alors que d'habitude il vient me saluer et discuter. Je revenais du cinéma quand, en bas de ma rue, Jean-Jaurès, j'ai vu la voiture rouge des pompiers, la police et la circulation bloquée par des cordons. Mais je ne suis pas allé voir, je n'aime pas ça, cette curiosité malsaine qui rapproche d'un lieu de drame. Accident, incendie, je me suis dit que ça devait être ça. Le quartier est tranquille. J'étais loin d'imaginer qu'il s'agissait d'un crime.

J'ai commencé à me poser des questions en fin d'après-midi, quand j'ai vu passer devant ma fenêtre un nombre inhabituel de promeneurs, et des voitures roulant lentement. Le stationnement interdit était rempli de véhicules garés, sur une bonne longueur de rue. Au bout, rien n'avait bougé, le dispositif était le même. Seule différence : une petite foule en train d'observer, de grandes bâches rouges cachant le trottoir. Un passant m'a expliqué : c'est un meurtre, on a tiré sur une personne près du Liberty. Le café où je vais chaque matin acheter mes journaux, y compris le dimanche, mais pas celui-ci ! Et la pizzeria d'à côté, que je fréquente aussi de temps en temps ! C'est ça qui est impressionnant : un environnement quotidien, banal, calme, où la circulation fréquente du boulevard Henri-Martin est un élément de sécurité, où il ne peut rien se passer de grave, mais qui est frappé par l'évènement le plus tragique qui soit, un crime ...

Je ne me suis pourtant pas déplacé pour observer, pris par une forme de décence. Mais j'ai été stupéfait de constater que la scène du crime était devenue la promenade du dimanche pour badauds désoeuvrés . C'est bien connu : un accident sur le bord de la route fait ralentir les automobilistes voyeurs, la grande échelle des pompiers attire son public avide de spectacles à sensations. Parmi cette foule, j'ai noté la présence de nombreux jeunes des quartiers, comme on dit aujourd'hui : peut-être retrouvent-ils ici en vrai ce que les séries télévisées et les chaînes d'information continue leur montrent sans cesse ? Ils en sont gavés ! "Police scientifique", les regards sont captés. C'est aussi la génération Scarface, dit-on. Mais les adultes et les familles ne sont pas en reste, venant faire un petit tour jusque tard en soirée.

Vers 22h00, la scène de crime, sous les éclairs d'un orage non loin, avait pris des allures de fin du monde. Les policiers étaient encore au travail. J'ai refermé ma fenêtre pour aller voir à la télé "Faites entrer l'accusé". Moi aussi je suis fasciné par le crime, mais publiquement je ne le montre pas. Au matin, quand je suis allé acheter la presse, la vie normale avait repris ses droits, avec une seule trace du drame, un ruban de la police laissé sur place, par terre. Dans les journaux, les précisions renforçaient le mystère et les clichés : la victime Jackie la manouche, une personne âgée criblée de balles, une Jaguar surgi de nulle part, un homme encagoulé, une probable kalachnikov. Hier, je revenais du cinéma, et à quelques dizaines de mètres de chez moi j'y retournais, sauf que c'était la réalité.

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