vendredi 27 juin 2014

Une question de vie ou de mort



En politique, quand on est honnête et cohérent, il n'y a aucune raison de changer d'avis. Seuls les opportunistes modifient leur opinion au gré des situations, soutenant parfois le contraire de ce qu'ils avaient défendu la veille. Mes lecteurs peuvent être en désaccord avec mes prises de position : en 8 ans de blog, elles n'ont guère varié. Il y a tout de même une exception : mon jugement sur l'euthanasie. J'ai été longtemps favorable, sans hésiter : aujourd'hui, je m'interroge, je doute et je serai plutôt contre. Les affaires Lambert et Bonnemaison ont relancé le débat, une loi est sans doute prévue pour l'an prochain, il est temps de faire le point.

Au départ, comme tout le monde, je suis pour le libre choix : continuer de vivre ou non. Surtout, une vie de souffrance extrême et irrémédiable n'est pas une vie. La loi sur l'euthanasie s'imposait donc à mes yeux. Qu'est-ce qui me rend maintenant plus méfiant ? Je ne suis plus sûr du tout qu'on puisse parler de liberté. Dans le coma, il est évident qu'elle n'existe pas. Mais en état de conscience, que choisit-on vraiment ? Quand j'autorise à ce qu'on prélève des organes sur mon corps après ma mort, je le fais en connaissance de cause, dans une situation très précise. Mais demander à être débranché (expression horrible) dans une situation extrême, je ne sais pas très bien d'avance laquelle, nous avons du mal à nous projeter dans un tel drame, à l'anticiper, à décider ce que nous voudrions alors.

Et comment confier, déléguer le terrible choix à une autre personne, parent, famille, médecin ? La liberté ne peut qu'être personnelle, pas assumée par quelqu'un d'autre que moi. Bref, je pense qu'il y a un problème difficile à régler, que je n'arrive pas à surmonter quand j'y réfléchis bien. Ce qui me dissuade finalement, ce sont les arguments des partisans de l'euthanasie : ils se réclament d'une évidence trop facile, le refus de la souffrance, mais leur vocabulaire est contestable. Par exemple, comment peut-on parler d'une "mort douce" ou d'une "mort digne" ? La mort est toujours violente, dégueulasse, indigne, tragique, la vie lui est supérieure. La notion de "suicide assistée" est terrifiante : le suicide est un échec, un drame, une folie que rien ne peut justifier, légaliser.

Il y a autre chose qui me gêne. La loi sur l'euthanasie, de l'aveu de ses défenseurs, ne concernerait qu'un nombre très minime de grands malades en fin de vie. Mais justement, c'est ce qui ne va pas : une loi est une norme générale, elle ne peut pas statuer sur des cas exceptionnels, qui doivent trouver bien sûr une solution humaine et médicale, mais sous une autre forme que juridique. Le débat sur l'euthanasie traduit bien un défaut de l'époque : vouloir tout soumettre à la loi, croire que celle-ci est la réponse à nos drames les plus intimes et les plus insolubles.

Autre chose me fait carrément peur : c'est la facilité à laquelle notre société pourrait succomber en adoptant une telle loi. On règle un problème, non pas en lui apportant une solution, mais en supprimant le problème. Quelqu'un qui sombre dans un état végétatif ou dont le handicap est extrême coûte cher à la collectivité et est une charge matérielle et psychologique pour les familles. Alors, la mort règle tout, mais à quel prix moral et humain ! L'histoire de l'humanité a souvent montré que les individus sont capables du pire, y compris sous les meilleures intentions du monde. Se tuer par amour, faire le sacrifice de soi, j'y crois. Mais tuer l'autre par amour, c'est un mensonge, une hypocrisie, un crime. On peut sans doute être amené à tuer quelqu'un pour des tas de raisons plus ou moins légitimes, l'intérêt, la haine, la pitié : mais pas l'amour ! L'amour veut la vie de l'autre, pas sa mort.

Un sondage annonce que 9 Français sur 10 seraient pour une loi sur l'euthanasie. Dans une société qui se divise très facilement sur n'importe quoi, qui s'est récemment divisée sur cet autre débat de société qu'a été le mariage homosexuel, l'euthanasie passerait comme une lettre à la poste, alors que c'est la question la plus grave, la plus complexe qui soit, une question de vie ou de mort ? C'est bien ça qui m'inquiète, qui me fait hésiter : le consensus trop rapide, trop facile qui s'établit autour de ce sujet. Il y a des formes d'unanimité qui sont suspectes, qui en tout cas conduisent à s'interroger. Ce sera précisément l'objet du débat, qui peut encore modifier mon point de vue.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Nulle part vous ne prononcez le mot acharnement ... Et pourtant c'est bien de cela dont on parle et dont LEONETTI et BONNEMAISON ont expliqué le contexte ....

Emmanuel Mousset a dit…

Je n'emploie pas l'expression "acharnement thérapeutique" parce que c'est l'exemple même d'expression piégeuse qui fausse le débat. Il va de soi qu'un "acharnement", quel qu'il soit, est condamnable. Mais je ne veux pas qu'une question de vie ou de mort soit faussée et piégée par des mots faciles, convenus, fabriqués, politiquement corrects.

Anonyme a dit…

Ne parlez pas d'euthanasie, c est un mot horrible qui ne correspond pas à la réalité.
quand on débranche un malade on entame alors un autre processus d'accompagnement pour laisser partir en douceur un patient.
Comme cela est fait pour toutes les personnes en fin de vie hospitalisées et non appareillés.
On quitte l artificielle pour revenir à une chose naturelle.
Le mot euthanasie évoque le meurtre, la souffrance, la torture, l inhumanité, ôter la vie d une personne en pleine santé pour des convictions barbares.
Non ne parlez pas d'euthanasie, laissez ce mot aux intégristes.
c est un débat sur la fin de vie, pas sur l'euthanasie.

Emmanuel Mousset a dit…

Les partisans de l'euthanasie médicale (et non pas criminelle) emploient eux-mêmes ce mot.

Anonyme a dit…

L'être humain est toujours ambigu.
De même il pratique avec délice le déni de ce comportement.
Un être cher dont la fin de vie est interminable on peut finir par le détester ... la fatigue physique et psychologique ... les problèmes financiers etc. peuvent conduire au désamour.
La société devrait être là pour nous aider certes mais aussi pour protéger les sans défense que sont les malades en fin de vie.