mercredi 18 juin 2014

Désordres dans la République



En tant qu'homme de gauche, l'ordre et l'autorité ne sont pas mes valeurs de prédilection. Je leur préfère la justice et la liberté. Car je sais que l'ordre peut être répressif et l'autorité injustifiée. C'est pourquoi il est bon de renverser parfois la table et de contester l'autorité. Mais il y a tout de même un ordre et une autorité que l'homme de gauche ne peut pas remettre en cause, qu'il doit au contraire absolument défendre (sauf s'il est anarchiste ou révolutionnaire !) : c'est l'ordre et l'autorité de la République, dans la République, qui sont aujourd'hui mis à mal, à travers trois faits d'actualité :

1- La grève cheminote. Le projet contesté est ancien. Il a été élaboré après de nombreuses consultations et négociations avec les syndicats. Il est aujourd'hui adopté, et soutenu par deux organisations de cheminots, l'UNSA et la CFDT. La CGT et SUD persévèrent dans leur désaccord, pour des raisons qui leur appartiennent et que je n'ai pas à discuter. La grève est un droit inaliénable, quel qu'en soit le motif. Mais c'est le devoir du gouvernement de se montrer ferme avec ce mouvement, qui doit cesser. Sinon, il n'y a plus de République, c'est le règne ou plutôt la dictature des rapports de forces minoritaires. Cette grève est d'autant plus incompréhensible à l'opinion publique (qui forme le socle de la République) qu'elle ne touche pas aux intérêts immédiats des cheminots (salaires, retraites, avantages), mais qu'elle modifie seulement la structure de leur entreprise.

2- La fronde parlementaire. On parle maintenant de "guérilla" de certains députés socialistes, à coups d'amendements, à l'approche du vote du collectif budgétaire. Or, un parlementaire n'est pas un franc-tireur. Il doit son mandat à son parti et à ses électeurs : il n'a pas à en faire un usage personnel, pour défendre des opinions privées, aussi éminentes soient-elles. Un parlementaire est membre d'un groupe, qui se réunit, discute, décide. Toute initiative individuelle est donc condamnable, car elle est irrespectueuse des choix collectifs. Si un député n'est plus d'accord, il doit, en toute responsabilité, démissionner, mais ne pas miner l'unité de la majorité parlementaire dont il fait partie. Comme le gouvernement doit faire cesser la grève à la SNCF, le parti socialiste doit faire cesser la fronde de ses parlementaires indisciplinés.

3- La résistance territoriale. Le gouvernement a décidé de réformer la répartition et les pouvoirs des collectivités territoriales. C'est un projet qui traîne dans les cartons depuis longtemps, qui reçoit généralement l'assentiment populaire, qui fait même consensus, chose rare, dans la classe politique. Mais il y a un hic : l'être humain accepte rarement de scier la branche sur laquelle il est assis. Du coup, certains présidents de région ou de département sont entrés en résistance. Humainement, c'est compréhensible : ils ont des compétences, ils ont bien travaillé pour leurs collectivités, ils veulent continuer. Mais politiquement, ce n'est pas acceptable : un mandat n'est pas un poste de travail, une fonction élective n'est pas une profession, un élu n'est pas propriétaire de sa charge. A tout moment, il doit accepter de la perdre, de s'en démettre, quand l'intérêt supérieur l'exige. Bien sûr, on peut être, pour des raisons politiques et non plus personnelles, hostile à la réforme territoriale du gouvernement. Mais c'est alors au sein du parti que la question se discute, et non plus en vertu des grades et qualités des élus.

Grève cheminote, fronde parlementaire, résistance territoriale, il faut que le gouvernement et le parti mettent fin à ces désordres dans la République, qui ne conduisent les uns et les autres nulle part, sinon à encore plus de désordre.

15 commentaires:

Anonyme a dit…

CHER MONSIEUR MOUSSET : la République; notre vieille dame RES PUBLICA n'a plus les serviteurs d'antan ...Un exemple tout proche : des associatifs tous bénévoles qui animent le petit train du VERMANDOIS ont été trompés par des dates pas confirmées pour des travaux sur la ligne de SAINT - QUENTIN à ORIGNY SAINTE BENOITE ... 20 PETITS Kilomètres encore propriété du CONSEIL général plus ou moins en conflit avec les 2 entités SNCF et RFF ( en cause pour des histoires de quai puis dans la réforme que vous évoquez ) .. Le deuxième utilisateur TEREOS ( sucre d'ORIGNY ) veut développer ses transports par RAIL ... Si on en croit la PRESSE , on est presque dans une impasse ... A l'heure de revoir les modes de transports moins énergivores dont le RAIL (tout comme la voie d'eau )est un des modes sans doute à retenir ...
Alors on a transféré les routes nationales au département , ne peut on transférer les 20 petits kilomètres de cette voie à SNCF // RFF et on en sortirait grandi et surtout exemplaire ..
Messieurs des préfectures de l'AISNE et de région PICARDIE qui de passages ( trop rapides chez nous ) avaient en charge l'aménagement du territoire; il eut été formidable de voir résolu au mieux de tous les intérêts et aussi d'éviter des pertes financières pour les deux cités ; le chemin de fer du VERMANDOIS et TEREOS ... Il est encore temps d'agir et de se montrer inventifs ....
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Erwan Blesbois a dit…

Ah si tout le monde était aussi obéissant que toi. Ils ne savent pas que tu es kantien, c'est dans l'obéissance que se trouve pour toi, le sens de la vie et bien plus encore. Dans le fait d'obéir, la plus grande dignité humaine. Le bonheur ? On se fout, mais comme dit Kant se rendre digne du bonheur (qui n'existe pas), et la dignité est dans l'obéissance.

Emmanuel Mousset a dit…

N'oublie pas, chez Kant, le respect qu'on doit à la loi, pourvu que celle-ci soit nécessaire et universelle, c'est-à-dire humaine (idéalement).

Erwan Blesbois a dit…

Tu as raison de dire idéalement, car la loi n'est jamais humaine. Qui dit loi dit jugement, qui dit jugement dit bien et mal. Au nom de quelle valeurs, de quelle morale ? Dans le cas de Kant, il s'agissait de la morale prussienne étriquée, qui place l'obéissance à la loi comme fin en soi, comme contenu de la connaissance : résultat les Prussiens, puis les Allemands avec leurs armées d'esclaves, n'ont jamais gagné aucune guerre. Ce sont des hommes libres qui gagnent les guerres, les Français, puis les Américains l'avaient compris, en mots en tout cas.
Or c'est le contenu de la connaissance, par le savoir de ce qui est bon ou mauvais pour nous qui permettrait de sortir du système du jugement, c'est-à-dire des récompenses et des châtiments, immanence contre transcendance. Après que Kant ait posé la question de l'obéissance en des termes géniaux, personne ne remet en question cela.
C'est malheureusement le système de l'école, qui n'arrive pas répondre à la question du "pourquoi l'élève est en difficulté" et qui préfère répondre par un système de récompenses et de châtiments. Je reconnais que souvent l'école se pose la question du "pourquoi l'élève est en difficulté", mais elle apporte des réponses pédagogiques, qui sont pires que la simple transmission du savoir.
Je comprends que certains comme toi y trouvent leur compte, mais ce n'est pas de la vraie connaissance. Je pense que le système éducatif français qui s'inspire malheureusement de Kant, Kant comme référence ultime de tout bon prof de philo, est malheureusement un des systèmes scolaires les plus inhumains du monde. Ce qui explique la crise morale contemporaine en France.
Je comprends que ceux qui trouvent leur compte dans un tel système ne le remettent pas en question. Pour ma part je suis évidemment du côté de Cyrulnik et de Pennac, quand ils proposent de supprimer les notes, car elles sous entendent un système de jugement.
Qu'est-ce que je veux? Je suis perdu, je n'accepte pas les règles du jeu. Les gens comme moi pour survivre doivent malheureusement être hors la loi, ou des escrocs.
Je n'ai pas de ressentiment, je te souhaite d'être heureux, et n'oublions pas qu'objectivement l'école est le dernier rempart contre la barbarie et la guerre civile.
Tu me diras : mais fait un autre métier, mais c'est partout pareil, et même pire qu'à l'école. L'école protège encore un peu. Ceux qui sont livrés au monde extérieur sont des esclaves ou des tyrans, la nature est cruelle, mais le monde créé par l'homme au nom des droits de l'homme l'est plus encore : car ici bas dans le monde extérieur à l'école, c'est le monde de la technique, et comme je l'ai déjà expliqué la technique est immaîtrisable. Instrumentalisation de l'espèce humaine au nom de la technique, et pour couronner le tout : système économique libéral, consumérisme à outrance, jusque dans l'intimité de chacun. Instrumentalisation, manipulation des travailleurs par le grand capital. Que peuvent Kant et l'école contre ça ?
Quant à la libération sexuelle, vaste rigolade. Le monde de la séduction, comme en système libéral (voir Houellebecq, extension du domaine de la lutte), avantage quelques prédateurs (les pervers narcissiques). Tout comme le système économique avantage quelques prédateurs. Ceux qui détiennent le grand capital se lavent les mains des sacrifices quotidiens que le capitalisme entraîne. De toute façon le communisme était pire, ce qui enterre le front de gauche et les communistes pour toujours. On constate aussi que l'UMP et le PS font la même politique économique. Vers qui se tourner, je te le demande, vers qui se tourner ?

Emmanuel Mousset a dit…

Une école sans notes, sans profs, sans règles : le pied, quoi !

Anonyme a dit…

Quand les commentaires sont plus longs que les billets , c'est une sorte d'OPA pour ce blog ... On voit de tout dans ce monde virtuel!!

Erwan Blesbois a dit…

Tout prof est un peu un fasciste qui s'ignore. Le tout est d'en avoir conscience, et de ne pas avoir bonne conscience, même si l'on est issu d'un milieu populaire.

Emmanuel Mousset a dit…

Allons allons, Erwan, un peu de tenue ...

Erwan Blesbois a dit…

Le pire en y réfléchissant un peu, c'est que sans doute dans le fait d'obéir se trouve la plus grande dignité humaine. Obéir ou admirer c'est un peu la même chose.

Emmanuel Mousset a dit…

Pas tout à fait : l'obéissance est active (on obéit à un ordre, ce qui entraîne un acte), alors que l'admiration est passive, béate. Pour ma part, je considère que l'obéissance est une vertu et l'admiration une faiblesse (sans compte que l'admiration est souvent une projection idéalisée de soi dans l'autre : quand quelqu'un dit, à propos d'un acte, "je vous admire", c'est qu'il est lui-même incapable de le faire).

Erwan Blesbois a dit…

D'après Aristote c'est l'étonnement qui poussa les premiers penseurs aux spéculations philosophiques, or l'étymologie du mot admiration, indique que ce mot vient du latin "admiratio" qui veut dire étonnement. Dans l'admiration, il y a cette dimension de l'étonnement, qui nous pousse à nous dépasser pour être à la hauteur de celui qu'on admire. L'ordre donné peut être inhibant, il vient d'un autre que l'on peut ne pas aimer, et cela peut pousser à la désobéissance. Alors que l'admiration est un sentiment intime, un sentiment amoureux que l'on porte en soi, et qui pousse aux plus grands exploits. Une fois de plus c'est immanence (sentiment que l'on porte en soi, se faire du bien à soi-même) contre transcendance (le "tu dois" de la loi morale, qui postule qu'il y a un Bien et un Mal)

Emmanuel Mousset a dit…

Disons que je suis du côté de la transcendance, contre l'immanence (se faire du bien à soi-même, l'individu passe son temps à ça : pas la peine d'en faire toute une philosophie !), avec ce bon vieux Platon, contre Aristote.

Erwan Blesbois a dit…

Oui mais les ignorants ne savent pas se faire du bien à eux-même. Se faire du bien à soi-même, ce n'est pas l'onanisme (encore que...), c'est être dirigé par la raison.

Emmanuel Mousset a dit…

Je ne suis pas certain que la raison mène à soi. Le plaisir, en revanche, oui.

Erwan Blesbois a dit…

Là est le paradoxe : il faut faire usage de la raison enfant, donc obéir, pour pouvoir jouir de la vie adulte, d'où l'intérêt de la religion : une fable utile pour les enfants. Ceux qui n'ont pas fait usage de la raison enfant, seront des esclaves ou des tyrans.