vendredi 13 décembre 2013

Brrrrrrr



C'est dans toutes les conversations actuellement : qu'est-ce qu'il fait froid ! Attention, ça va glisser ... Couvrez-vous avant de sortir, etc. L'hiver n'est pas encore là, mais le psychodrame des saisons précédentes s'installe doucement. Aux premiers flocons, c'est sûr, les passions vont se déchaîner autour des trottoirs enneigés, des routes bloquées, des agents municipaux et de la DDE qui ne font pas leur travail, etc. Les superlatifs seront bientôt de retour : glacial, polaire, sibérien. Le site de la Ville de Saint-Quentin a anticipé les cris et les gémissements, en mettant une belle photo (de l'an dernier) montrant des employés municipaux en pleine action, sablant nos chaussées couvertes de neige. Est-ce que cela suffira à rassurer, à faire baisser d'un cran l'angoisse hivernale ? Pas sûr ...

Vous vous souvenez de ce slogan publicitaire, aujourd'hui imprononçable, d'une marque de maillot de corps : Froid, moi ? Jamais ! Désormais, nous sommes tous plus ou moins frigorifiés. Dans mes réunions publiques, je commence par veiller au thermostat. L'uniforme est de sortie : bonnet à pompon, chapka soviétique, grosse laine autour du visage, sorte de burka pour frileux. Quand je pense que l'enfant que j'étais a lutté pendant des années contre le port des cagoules et des bonnets, que je trouvais ridicules, inutiles et humiliants ... Ils sont devenus maintenant des objets de fierté. Je résiste encore : une tête est faite pour être nue, pas pour qu'on pose quelque chose dessus.

Car, en fin de compte, il ne fait pas si froid que ça. La température est normale pour un mois de décembre. On a connu pire. Il n'y a pas si longtemps (20 ou 30 ans ?), le froid ne faisait pas parler de lui, on le remarquait à peine tant il semblait naturel. J'ai vécu en montagne, des pays de neige : La Bourboule, Argelès-Gazost. Je n'y faisais pas attention, ça ne me préoccupait pas. Et je crois que la plupart des gens étaient ainsi, vivant encore aux rythmes de la nature, ne songeant pas à s'en plaindre. Qu'est-ce qui a donc changé dans notre société, en l'espace d'une génération, pour en arriver là, pour que le froid devienne un problème ?

D'abord, la civilisation du confort s'est installée dans les têtes. Or, le froid, c'est le comble de l'inconfort. Et le pire, c'est qu'on ne peut rien contre lui, une fois sortis de nos appartements et maisons. On ne peut que geindre, le maudire. Le froid, c'est le grand scandale contemporain. Sa présence et son invincibilité nous renvoient aux temps préhistoriques, à la barbarie, à l'absence de civilisation. Le froid, c'est la grande régression.

Mais ça ne suffit pas pour expliquer la phobie du froid, l'hystérie collective douce que parfois il provoque. Il faut y ajouter que nous sommes entrés dans un monde de vieux, qui donnent le ton. Quand j'étais gamin, qui avait froid ? Pas les gamins, pas même les adultes actifs, mais les personnes âgées. Les enfants, au contraire, se réjouissaient de la venue des grands froids, prélude à l'époque merveilleuse des fêtes de Noël. Les parents partageaient souvent cette joie. Dans une société où la durée de vie s'est allongée, où les seniors seront de plus en plus nombreux et de plus en plus influents, nous aurons de plus en plus froids, même si la température ne monte pas.

Troisième facteur de cette ère néo-glaciaire, ou plutôt qui se perçoit comme telle : la médiatisation de la météorologie. Il y a quelques décennies, la météo n'avait pas l'importance qu'elle a prise aujourd'hui. Je me souviens des interventions à la radio d'Albert Simon et de sa grenouille, reconnaissable à sa voix rocailleuse (Albert, pas la grenouille). C'était à la fois utile et rigolo, sérieux mais un peu folklo. Aujourd'hui, le bulletin météo, à la télévision, est devenu un spectacle à part entière, avec ses stars. Les chaînes d'information continue nous parlent du temps qu'il fait comme s'il s'agissait de nouvelles du front, en période de guerre. Ainsi, la célèbre "alerte orange" qui frappe les départements, dont on ne sait pas très bien ce qu'elle signifie, mais qui interpelle et inquiète.

Il y a un dernier élément qui explique l'émergence du froid dans nos préoccupations quotidiennes : avec lui, c'est aussi le retour du tragique, que nos sociétés hyper-sécurisées ont tenté de refouler, mais qui ne surprenait pas autrefois, qui était assumé par les êtres humains. Cette tragédie, c'est celle de la fatalité mêlée au hasard : le froid tue. Ce phénomène a priori aussi inoffensif que le froid, qui est peu de choses par rapport aux catastrophes naturelles, peut se révéler meurtrier. Une simple plaque de verglas sur la route, et c'est l'accident absurde et mortel. Chez nous, deux agents municipaux et un facteur, dans le cadre de leur activité professionnelle, y ont ces jours-ci perdu la vie. Il y a une cruauté invisible du froid, dans ses effets pernicieux. C'est pourquoi l'humanité ne s'y fera pas, ne l'acceptera jamais. C'est la chaleur que nous recherchons, pas le froid.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

la discussion dans mon entreprise à également pour sujet le froid mais c'est surtout du cout de l'énergie dont on parle. les factures à venir sont notre inquiétude.