lundi 16 décembre 2013

Le rapport au feu



Les commentaires autour du rapport sur la refondation de la politique d'intégration, adressé au Premier ministre, ont ces jours-ci frisé l'hystérie. D'abord, la droite est malhonnête lorsqu'elle affirme que ces préconisations sont soutenues par le gouvernement, qui au contraire a pris ses distances. Le texte n'est qu'une base de discussion. Qu'il ait été publié sur le site de Matignon n'est rien d'autre qu'un souci de transparence, pas un quitus. Ensuite, la façon de discréditer un travail d'experts nombreux et variés est démagogique, populiste : on devrait au moins prendre ce rapport au sérieux et en débattre rationnellement, y compris pour le critiquer. Enfin, ce rapport que l'opposition condamne et que la majorité refuse est pourtant riche de propositions, que j'aimerais commenter et défendre.

Une mesure, parmi beaucoup d'autres, a créé la polémique : il s'agit de la suppression de la loi sur le port ostentatoire de signes religieux à l'école. Je me réjouis de cette proposition, que j'ai soutenue à plusieurs reprises sur ce blog, en conformité avec l'association laïque à laquelle j'appartiens, la Ligue de l'enseignement. Pourquoi ? Parce que depuis que l'école laïque existe, aucune loi n'a prohibé le port des signes religieux, laissant aux enseignants le soin de traiter avec douceur et fermeté ce problème humainement délicat, tant il est vrai que les appartenances spirituelles doivent demeurer discrètes, respectueuses et non conflictuelles. La laïcité s'exerce par le contenu des cours, pas dans l'interdiction des tissus, des objets ou des talismans.

Surtout, cette loi contre les signes religieux à l'école est anti-laïque, anti-républicaine, sous de fausses apparences. Elle contrevient à la liberté élémentaire des enfants et des parents (c'est pourquoi je me réjouis aussi de la remise en cause de la circulaire de mars 2012, privant les mères voilées d'accompagner les enfants dans les sorties scolaires). Plus grave, elle stigmatise une communauté, une religion, les musulmans et l'Islam, alors que la laïcité s'interdit toute prise de position en matière religieuse, favorable ou hostile : sa règle, c'est la neutralité. Les laïques n'ont pas à juger de la façon dont les citoyens s'habillent et quel sens attribuer à leurs vêtements.

Le malheur de cette loi, c'est qu'elle donne le mauvais exemple : elle généralise des situations particulières et même marginales, elle crée le problème qu'elle prétend régler, elle conforte l'opinion xénophobe, elle répand dans toutes les sphères de la société son infect ostracisme (après l'école, pourquoi pas l'université, les services publics, les entreprises et la rue, tant qu'on y est ?).

Le meilleur argument contre l'actuelle loi sur les signes religieux se trouve, involontairement, dans les commentaires de ses partisans, qui ont tous affirmé durant ce week-end qu'il ne fallait pas revenir sur l'interdiction du voile à l'école, preuve que cette loi, dans l'interprétation qu'on en fait, se focalise sur une seule religion, alors que la République n'en reconnaît aucune (loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat), en pour ou en contre. De même, il ne s'agit pas pour moi d'autoriser le voile ou les signes religieux à l'école, mais d'exclure cette question de la législation (c'était la sage position de Lionel Jospin en 1989).

Cet excellent rapport contient d'autres suggestions intéressantes. La recommandation aux médias et journalistes de ne plus mentionner l'origine, l'appartenance ou la couleur de peau des gens, lorsqu'il n'y a pas nécessité. Laissons à l'extrême droite le soin ignoble de faire ce genre de distinctions, dont les républicains doivent s'abstenir. Il y a là un point de déontologie à réglementer. Et puis, plus anecdotique mais non moins utile, donner de nouveaux noms de rues et de places à des personnalités en rapport avec l'histoire des migrations (les vieilles barbes du XIXe siècle dont plus personne ne se souvient de l'action, ça suffit !).

En revanche, je suis plus réservé sur certains propositions. La création d'un délit de harcèlement racial me semble céder à la mode des multiples harcèlements. Notre droit a déjà ce qu'il faut en la matière, pas besoin d'en rajouter. J'ai la même réaction à propos de l'inscription dans les programmes scolaires de l'histoire des migrations, de l'esclavage et de la colonisation, qui existent déjà, qui n'ont pas besoin de chapitres spécifiques. Il y a enfin une mesure dont on n'a pas parlé et qui est pourtant la plus révolutionnaire : supprimer les conditions de nationalité pour accéder à un emploi, qui vise essentiellement la Fonction publique. Franchement, je ne sais pas trop quoi en penser, je suis indécis.

Vous vous souvenez de cette comptine de fin d'année scolaire : Les cahiers au feu, la maîtresse au milieu ! Pendant tout le week-end, je l'ai entendu ainsi : le rapport au feu, les laïques au milieu ! Paradoxalement, ceux qui entretiennent le bûcher le font au nom de la laïcité, dont ils ont perverti le sens. Et ceux qui fournissent le combustible, ce sont toujours les mêmes : l'extrême droite anti-laïque. Je regrette que le gouvernement ait pris ses distances avec ce rapport, croyant qu'il y avait le feu à la maison. Mais le parti socialiste, qui n'est pas tenu à cette prudence élémentaire, doit organiser dans ses sections des débats autour de ce rapport (il a été rédigé pour ça, en discuter).

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous avez oublié l'essentiel ; la trop grande précipitation de MATIGNON ( de certains fonctionnaires irresponsables où certainement pas bien intentionnés) à publier un rapport sur des questions sensibles sans annonce , ce qui se fait en général sur le perron de l'ELYSEE pour sa remise et ensuite par un communiqué de la Présidence sur les délais , modalités d’études et de recevabilité … On ne peut qu’être circonspect et votre recherche de bonne idées tient plus du slalom géant que de la démarche républicaine, qui aurait été de rattacher ce travail à la commission parlementaire ad hoc comme par exemple pour l’affaire de OUTREAU où la nation a eu là le temps de se faire une opinion en dehors de toute polémique partisane ou idéologique … Aurait – on oublié les règles élémentaires de la démocratie …

Emmanuel Mousset a dit…

Non, un rapport d'experts n'a rien à voir avec une commission parlementaire. Il en parait un par semaine, sinon par jour. Le protocole et la solennité que vous réclamez n'ont donc pas lieu d'être. Et puis, la forme de l'annonce n'a que peu d'importance : c'est le contenu qui intéresse.