lundi 2 décembre 2013

Un pavé dans la Fonction publique



Je suis heureux que Xavier Bertrand se porte candidat, via les primaires de l'UMP, aux prochaines élections présidentielles. Pourtant, je ne partage pas ses opinions. Mais cette candidature fait parler de Saint-Quentin, et tout est bon dans la communication. Ensuite et surtout, parce que l'ambition présidentielle élève le débat, permet la confrontation d'idées à un niveau élevé, ce qui est une très bonne chose pour la démocratie dans notre ville. La présence du député-maire sur le plateau de France 5 hier soir en a été une nouvelle démonstration. Il a fait de nombreuses propositions, dont l'une est un véritable pavé dans la mare, ou plutôt dans la Fonction publique, puisqu'il suggère de mettre fin à ce qu'il appelle "l'emploi à vie", c'est-à-dire l'un des fondements, sinon LE fondement du statut des fonctionnaires. Je veux dans ce billet lui répondre, poursuivre le débat.

D'abord, je veux préciser qu'il n'y a pas en politique de sujets tabous. Donc, la proposition de Xavier Bertrand mérite d'être discutée. Commençons par les termes employés, pour être précis sur ce qu'on dit : "emploi à vie", tout le monde voit de quoi il s'agit, mais en ces temps de chômage de masse, l'expression a quelque chose de choquant, comme si fonctionnaire était une charge héréditaire, à la façon des titres nobiliaires d'Ancien Régime (sans la transmission entre générations, mais seulement durant toute une existence). De là à prétendre que les fonctionnaires sont des "privilégiés", il n'y a qu'un pas. Non, l'emploi dans la Fonction publique n'est pas forcément "à vie" : quand un fonctionnaire démérite, il peut être radié (c'est rare mais c'est possible) ; quand un fonctionnaire veut partir et faire autre chose, il le peut (ça arrive plus qu'on ne croit). Ma première remarque est certes lexicale et secondaire dans le débat, mais les mots ont leur importance.

De fait, le principe de la Fonction publique repose sur la garantie de l'emploi, parce qu'il doit y avoir continuité du service public, et parfois indépendance de ces agents (je pense aux enseignants). L'"emploi à vie", pour reprendre la formule contestable de Xavier Bertrand, n'est donc pas un avantage indu, exorbitant en période de chômage : c'est une caractéristique fondamentale et fondatrice du service public. De même, la promotion des agents de l'Etat se fait essentiellement à l'ancienneté, sans considération de profit financier (le fonctionnaire ne va pas voir son supérieur pour négocier avec lui une augmentation de salaire !). Le fonctionnaire est soumis à des contraintes que ne connait pas le salarié du privé, car il est en position de subordination, au sein d'une hiérarchie à laquelle il doit professionnellement obéissance. Pas question pour le fonctionnaire de s'installer où il veut : il doit se plier à des obligations de service.

Je ne dis surtout pas ça pour plaindre les fonctionnaires, ce serait indécent : il y a pire situation en France. Mais je tiens à faire ce que Xavier Bertrand n'a pas fait : souligner la spécificité de la Fonction publique, qui n'est pas astreinte à un travail salarié comme un autre mais à un service, défini non par un contrat mais par un statut. Xavier Bertrand, en contestant la garantie de l'emploi chez les fonctionnaires, renverse complètement ce statut, bouleverse le principe de la Fonction publique. C'est son droit, il a ses raisons (bonnes ou mauvaises, j'y viens après), mais d'ores et déjà, nous pouvons certifier que les conséquences seraient révolutionnaires, puisque c'est tout un pan de notre organisation sociale qui serait remis en cause.

Xavier Bertrand nie qu'il y ait une différence importante de rémunérations entre le public et le privé. Il faudra qu'on compare nos chiffres, mais la différence est bel et bien là, elle a toujours existé, elle n'a pas cessé, je pense même qu'elle s'est creusée, au détriment des fonctionnaires, ces dernières années. On sait bien qu'on ne devient pas fonctionnaire pour gagner de l'argent (objectif au demeurant fort honorable, mais qui n'a pas sa place dans la Fonction publique). Si le fonctionnaire voit son emploi garanti, c'est justement parce que son niveau de rémunération est souvent plus faible que dans le secteur privé, l'un compensant en quelque sorte l'autre. En tout cas, on ne peut pas dire que les payes de nos fonctionnaires soient puissamment attractives !

La justification de Xavier Bertrand est de faire des économies. L'intention est louable, mais le prix à payer est paradoxalement trop élevé. Le maire de Saint-Quentin propose d'augmenter de 5 à 10% tous les nouveaux fonctionnaires (hormis les missions régaliennes, police et justice, qui ne sont pas touchées par son projet) qui accepteraient de renoncer à l'"emploi à vie" contre un traitement plus conséquent. Mais c'est financièrement impossible ! Pas besoin d'être grand économiste pour comprendre que les salaires de la Fonction publique s'envoleraient et que le déficit en serait d'autant plus creusé. Ce qui serait économisé d'un côté serait non seulement repris, mais doublé, triplé de l'autre côté : la proposition de Xavier Bertrand est économiquement intenable. Et puis, au plan des principes, pourquoi un policier ou un magistrat bénéficieraient-ils automatiquement de l'"emploi à vie", et pas une infirmière ou un enseignant ?

Autre difficulté, pour ne pas dire obstacle : la fin de l'égalité entre fonctionnaires effectuant les mêmes tâches dans un même établissement, certains étant sous contrat et d'autres sous statut. C'est inimaginable, sauf à changer radicalement de système et réduire la Fonction publique à son noyau régalien, minimal. Et ce n'est même pas des contrats à durée indéterminée que propose Xavier Bertrand, mais de cinq ans ! Je suppose que les concours de recrutement seront, en toute logique, supprimés. Hôpitaux et établissements scolaires deviendront rapidement ingérables, parce qu'un service public ne fonctionne pas comme une entreprise privée, n'est pas soumis aux mêmes besoins, ni aux mêmes finalités. Il y a un esprit d'entreprise comme il y a une exigence de service public : aucun des deux n'est supérieur à l'autre, et la France a autant besoin d'entreprises compétitives que de services publics efficaces. Mais vouloir les mêler, faire entrer la logique de l'un dans les cadres de l'autre, ce n'est pas une bonne chose, c'est source de confusion.

La France a besoin de stabilité. La proposition de Xavier Bertrand provoquerait des turbulences dans notre pays, opposerait une partie de la population à l'autre, ne réglerait rien sur le fond à nos problèmes structurels, ne ferait qu'accroître l'angoisse sociale. La Fonction publique est un des fondamentaux de notre nation, une forme de repère collectif : vouloir modifier aussi radicalement son mode d'organisation ne peut qu'être déstabilisant. D'autant que cette Fonction publique n'a plus le lustre dont elle bénéficiait autrefois, il y a quarante ou cinquante ans, lorsqu'elle était véritablement une voie de promotion sociale, ce qui n'est plus tout à fait le cas maintenant.

Ma position, si elle est opposée à celle de Xavier Bertrand, ne consiste pas non plus à ne rien changer du tout dans la Fonction publique. Mais lui veut faire la révolution, alors que je me contente plus modestement de certaines réformes, par exemple sur la notation, la mobilité, le déroulement de carrière des agents administratifs, les passerelles entre les différents corps. Oui, il y a des changements à faire : des statuts particuliers (je pense à ceux des enseignants) peuvent être revus, mieux adaptés aux réalités nouvelles. Mais le statut général de la Fonction publique et son principe basique de garantie de l'emploi ne doivent pas être modifiés, pour les quelques raisons que j'ai tenu à indiquer. Le débat ne fait que commencer, et c'est très bien comme ça.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

vos arguments ne tiennent pas puisque de nombreuses missions de service publics sont affectés à des salariés de droits privés, non fonctionnaire.
agents de l urssaf, des caisses primaire d'assurance maladie, des caisses d allocations familiales ,.... plus de 200 000 personnes
ils sont bien payé par l état sans être fonctionnaire, avec le même statut qu'un salarié de Peugeot
Apportez la preuve qu'il n y a pas continuité de services et qu'il n'y a pas obligation de service.
il ne s'agit pas de privatiser mais de mettre l'égalité entre tous les salariés par rapport au droit du travail.

Emmanuel Mousset a dit…

Que des salariés de droit privé travaillent, en minorité, dans les services publics n'implique pas que les fonctionnaires, très majoritaires, s'alignent sur leur statut. Cette conception de l'égalité, je ne la partage pas.

Anonyme a dit…

Preuve est faite en France depuis bien longtemps par les agents de la sécurité sociale que c'est la privatisation qui nuit à la qualité du service publique, pas le statut du salarié.


Anonyme a dit…

1)de toute ma vie d'instit' je n'ai jamais vu un enseignant viré pour incompétence et portant il y en a qui massacrent des générations de gamins; les syndicats en voulant défendre tout le monde finissent ne plus être crédibles
2) la calcul de la retraite est aussi inégalitaire par rapport au privé puisque calculé sur les 6 derniers mois; la pension de réversion n'est pas soumise à conditions de ressources pour les fonctionnaires contrairement au régime général; bien sûr qu'il ne faut pas tirer l'égalité par le bas mais il faudra bien comme dit l'autre" remettre les choses à plat" un jour; je suis homme de gauche et j'ai toujours défendu le mot" "égalité" de notre devise républicaine