lundi 23 décembre 2013

Fini de rigoler



Il y a des affaires d'Etat, des secrets d'Etat et même des crimes d'Etat. Aujourd'hui, il y a des blagues d'Etat, si j'en crois le tollé qu'ont soulevé les récents propos de François Hollande devant le CRIF, portant sur Manuel Valls et son retour d'Algérie. A vrai dire, ce n'était pas une blague, ni une boutade ou une plaisanterie : seulement une légère allusion, au sens d'ailleurs incertain et discuté. Ce qui est stupéfiant, c'est l'abîme entre la cause et l'effet : quelques mots assez anodins, qui normalement auraient dû être vite oubliés, et c'est quasiment un début de crise internationale, attisé par la condamnation en France de l'opposition. Dans cette disproportion, je pense à l'effet papillon : un clignement d'oeil de François Hollande à Paris déclenche un ouragan à Alger !

La droite a trouvé l'attitude du chef de l'Etat déplacée, Jean-Luc Mélenchon en a eu la nausée. Les uns et les autres sont en train de nous faire un caca nerveux (tiens, moi aussi je m'y mets, j'ai envie de rigoler) pour quelque chose qui n'en vaut vraiment pas la peine. Ou alors il faut poser comme principe qu'un président de la République, et peut-être par extension n'importe quel représentant du peuple, n'ont pas le droit à l'humour, au second degré, de par leurs éminentes fonctions. La République est-elle compatible avec la rigolade ? Voilà un sujet de philosophie politique fort intéressant.

La réponse est dans l'expérience historique et nationale : oui, l'humour a été pratiqué par tous les chefs d'Etat, même si le trait a tendance à se perdre. De Gaulle était un maître en la matière ; Mitterrand maniait souvent l'ironie cruelle. Hollande, par comparaison, est dans un registre plutôt gentillet. En démocratie, l'humour est une arme, comme autrefois dans la monarchie absolue ou l'empire romain on utilisait le poignard et le poison. Il y a quand même eu un progrès dans le degré de civilisation.

Alors, fini de rigoler quand on fait de la politique ? C'est un paradoxe : notre société rit de plus en plus (voyez dans les émissions de télévision, ou bien par le succès que rencontrent les humoristes) et les hommes politiques devraient rire de moins en moins. Ils sont l'objet constant de moqueries mais en seraient interdits. Quel sacerdoce !

A cette affaire de blague politique, je vois aussi une autre explication : la sensibilité contemporaine est devenue hyper-susceptible, très portée à se vexer pour un rien, au moindre mot. Elle est ombrageuse, irritable, chochotte, prompte à se sentir humiliée, méprisée. Autrefois, il n'y a pas si longtemps, dans les grands moments de la IIIe République, les échanges entre politiques étaient virils, violents et même injurieux. Personne ne s'en scandalisait, ne songeait à réagir par des leçons de morale, de bonne tenue et de langage séant, en invoquant à tout bout de champ la notion de respect. C'était le bon vieux temps.

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