mardi 17 décembre 2013

Le Conseil municipal s'éclate



Pour sa séance consacrée hier soir au budget 2014, le Conseil municipal de Saint-Quentin s'est éclaté. D'abord parce que les interventions d'élus ont été plus nombreuses qu'à l'ordinaire ; ensuite parce que la fin de mandature et l'approche des élections municipales encourageaient à se lâcher ; enfin parce que les bons (ou mauvais) mots, les remarques cryptées, les remises en cause personnelles, les développements techniques, les flash-back (parfois 30 ans en arrière) ont fusé.

La première intervention du maire a été brève : le budget de la ville, c'est 103,1 millions d'euros, pas d'augmentation des taux d'imposition pour la 7ème année consécutive, des investissements constants. A la suite de quoi Michel Aurigny (POI) a pris la parole pendant vingt minutes, demandant des précisions sur les chiffres, car il a trouvé des "erreurs", des "pourcentages fantaisistes", en comparant les données du ministère du Budget et celles de la Municipalité. Le fond de sa démonstration, c'est que la dette par habitant a augmenté, ce que conteste Xavier Bertrand. Le lambertiste récuse aussi la réalité d'une "explosion fiscale" sous la municipalité de gauche (thème récurrent de la droite).

Les propos d'Aurigny ont soulevé deux points intéressants de philosophie politique. Peut-on faire dire n'importe quoi aux chiffres ? Pour moi, oui ; pour lui, non, à quoi il met cependant une restriction de taille (qui abonde dans mon sens) : les chiffres doivent s'accompagner d'honnêteté. CQFD. A Bertrand qui soutient que les seuls chiffres qui comptent, c'est le résultat des élections, le prof de maths répond : "on ne vote pas pour décider si 2 et 2 font 4 ou 5". Le lambertisme, c'est une mathématique morale et politique (je ne suis pas sûr que Marx y retrouverait ses petits).

Michel Aurigny a terminé par un verdict définitif : "Le gouvernement actuel poursuit et aggrave la politique du gouvernement précédent". Anne Zanditenas (LO) et Olivier Tournay (PCF) ont continué dans la même veine, sans oublier de condamner à leur tour la politique socialiste. Jean-Pierre Lançon, socialiste, n'a pas bronché. Il est intervenu en quatrième position, revenant d'abord sur la séance précédente, du 25 novembre, qu'il n'a visiblement pas digérée, à cause des paroles jugées "humiliantes" de Xavier Bertrand, ainsi que les "grognements" et "gloussements" des élus de la majorité. S'en est suivi un exercice d'imitation censé dénoncer le style oratoire du maire, où il a été question, entre autres, de la déesse romaine Fama et de ses deux trompettes, de la comparaison entre deux restaurants de la rue Vignon à Paris, le "Terres de Truffe" que fréquente Nicolas Sarkozy, et le "Cristal", où va Jean-Pierre, au prix de 17 euros le repas (je cite de mémoire, je n'ai pas tout bien compris).

Jean-Pierre Lançon a tenu à justifier sa 13ème place sur la liste socialiste, interprétée par Xavier Bertrand comme une rétrogradation, alors que ce n'est qu'un choix personnel de redevenir "militant de base", après avoir détenu plusieurs mandats (mais si la gauche gagne, Jean-Pierre sera encore élu municipal, et même en situation de devenir adjoint ?). Sur la question du budget, le chef de file de l'opposition a rappelé que la politique de l'actuel maire n'était possible qu'en partenariat financier avec les collectivités territoriales, département et région, que pourtant le premier magistrat de la commune critique sévèrement. Il a martelé un principe, en riposte aux accusations fiscales de Xavier Bertrand : "Non à l'augmentation des impôts locaux et oui à l'impôt utile". Enfin, il a conclu par une métaphore, annonciatrice d'une prochaine victoire socialiste : "Après l'hiver viendra le printemps".

Ce sont ensuite plusieurs conseillers de la majorité qui sont intervenus pour manifester leur soutien à Xavier Bertrand, en premier lieu Pierre André, qui s'est appuyé sur un article récent dans Le Monde du socialiste Christian Pierret, lançant un "cri d'alarme" des villes moyennes qui voient leurs dotations en baisse et le levier fiscal devenu inutilisable. Mine de rien, l'ancien maire a révélé une tendance nouvelle : la "pédale douce" sur les grands projets, dont celui du quai Gayant. Comme Jean-Pierre Lançon a imité Xavier Bertrand, Pierre André a imité Michel Aurigny, en citant sa feuille d'impôts et les différentes taxes, pour démontrer ... le contraire du conseiller municipal d'opposition.

A son tour, Monique Ryo a tenu à exprimer la solidarité des centristes, en reprochant, comme conseillère régionale, aux socialistes picards d'avoir abandonné la région de Saint-Quentin dans le tracé du canal Seine-Nord, sacrifiant ainsi des centaines d'emplois. Ce qui a suscité la réplique de Nora Ahmed Ali, qui a justifié son refus du projet et s'est étonnée que la Maison de l'Emploi ait accordé des formations pour une réalisation qui ne verra pas le jour. Freddy Grzeziczak et Vincent Savelli ont clos les soutiens majoritaires.

A 19h42, après une heure trente d'interventions où il est resté la plupart du temps silencieux, Xavier Bertrand a repris la parole, en pointant une seule question pour l'avenir de Saint-Quentin : l'augmentation ou non des impôts, ajoutant que ce qui avait été raté avec la machine-outil, il fallait le réussir avec le robonumérique, en préparant les métiers d'avenir, non délocalisables. Il a confirmé la prudence évoquée par Pierre André : "ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre", "pas de projets pharaoniques".

En réponse aux attaques de l'opposition, le maire a employé un néologisme : la "tournay-isation des esprits", la gauche s'étant alignée selon lui sur les positions communistes, à propos de la vidéo-surveillance et de la fiscalité. Il s'est particulièrement focalisé, à son habitude, sur Jean-Pierre Lançon, accusé malgré ses dénégations virulentes de vouloir supprimer la Plage de l'Hôtel de Ville et le Village de Noël. Il s'est essayé à une formule : "L'homme libre est devenu l'homme-lige", allusion au soutien de Jean-Pierre à Michel Garand, perché au dessus des débatteurs. Mais curieusement, ni le maire, ni le socialiste n'ont prononcé son nom.

"L'homme-lige" n'a évidemment pas laissé passer, en s'écriant : "J'ai peur de personne, personne ne me fera plier, je suis un homme libre !" Mais après avoir soupçonné de "copinage" l'attribution des chalets sur le Village de Noël, il a retiré le mot, sous la menace judiciaire de Xavier Bertrand. Courageux, mais pas téméraire ... Et puis, cette étrange formule est sortie de sa bouche : "Je suis un homme libre et de bonnes moeurs" (sic), dont le sens n'a pu être compris que de quelques-uns, le maire, certains élus de la majorité et de l'opposition, initiés à la chose.

Après le ralentissement des grands projets, j'ai discerné une autre inflexion de la politique municipale : la reconnaissance, par Xavier Bertrand, de l'insuffisance en matière de tourisme, dans l'exploitation du patrimoine historique et de l'art déco, notamment les séjours de courte et moyenne durée.

Le Conseil municipal s'est éclaté hier soir pendant près de trois heures, durée exceptionnelle. Mais il n'a pas explosé : en politique, on recolle toujours les morceaux. A droite, les intervenants ont marqué leur territoire, sachant que la liste à venir sera très largement renouvelée et que les places seront chères. A gauche, les prises de parole, plus longues qu'à l'ordinaire, ont été en partie testamentaires, sachant que la plupart ne retrouveront pas leurs sièges d'élus. Oui, après l'hiver viendra le printemps.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Juste un "petit" rectificatif Emmanuel : le budget est de 103 millions et non 203 !

Emmanuel Mousset a dit…

Exact. C'est même le chiffre que j'avais pris en note ! Lapsus à la relecture ... Je corrige.