dimanche 26 août 2012

Premier pas, dernier héros



C'est juste avant d'aller me coucher, hier soir, que j'ai appris la mort de Neil Armstrong. De quoi passer une mauvaise nuit, de quoi rendre hommage à cet espace étoilé vers lequel il s'était élevé, qu'il avait conquis. Un premier pas, c'est idiot, c'est maladroit, ça ne compte pas vraiment, comme en amour où c'est la suite qui importe. Et pourtant, le sien, que notre époque a tendance à oublier, à minorer, parfois à mépriser, ce "petit pas pour l'homme" a été le plus grand de toute l'histoire de l'humanité. Les nabots, qui sont nombreux en notre temps, ont fait payer à ce géant son audace de profanateur. Car Armstrong a violé ce que les hommes ont de plus sacré : leurs rêves. En réalisant le plus ancien d'entre eux, l'impossible, décrocher la Lune, il le tuait. De quoi rendre incrédule ... (certains, pauvres fous, continuent à croire que les Américains ne sont jamais allés sur la Lune).

Magellan, au XVIème siècle, faisait le premier le tour du monde et prouvait que la Terre était ronde, vingt siècles après que les mathématiciens de l'Antiquité l'eurent calculés. Armstrong a réalisé un comparable exploit : il a détruit concrètement la conception d'Aristote, qui estimait que la Lune était la limite au-delà de laquelle résidaient les Dieux. Non, notre satellite n'est qu'un sale tas de poussière grise plein de cailloux, après quoi il n'y a que la nuit, l'infini et le néant.

Ce premier pas sur la Lune est sublime parce qu'il est dérisoire : l'homme s'arrache péniblement à sa planète, il lui faut plusieurs millénaires d'existence et d'intelligence pour en arriver là, mais c'est à peine un saut de puce, juste une petite étincelle invisible à l'échelle des milliards et des milliards de galaxies. Ce qui est émouvant chez Armstrong, c'est que ce géant n'a rien conquis du tout, pas plus que l'enfant qui fait quelques pas hors de son berceau et qui jamais ne connaît le vaste monde. Regardez bien les photos : l'astronaute avait ce visage d'enfant, simple et rieur.

Cet homme est le dernier héros de notre époque de faux héros. Depuis longtemps, Armstrong n'était plus un homme mais un symbole. Neil, lui, s'était retiré dans sa ferme, ne donnant plus aucun interview, renonçant à la star mondiale qu'il aurait pu être. C'est pour ça que la NASA l'avait choisi : parce que ce type foncièrement modeste, effacé, pilote d'avion et rien d'autres, ne jouait pas les héros. Pour conquérir la Lune, il ne fallait pas un frimeur, pas un lyrique, seulement quelqu'un qui obéit aux ordres, qui répète inlassablement les mêmes gestes, les mêmes opérations. Comment ne pas penser à une incroyable ironie de l'Histoire quand la mort de ce héros malgré lui est précédée par la chute de son homonyme, Lance, faux héros passant pour un vrai, gavé de fric, drogué et tricheur, fier de ses ridicules petits exploits sportifs ! L'un a ouvert une nouvelle phase de l'histoire de l'humanité, l'autre a pédalé comme un fou pour gagner quelques secondes sur ses rivaux, un peu de gloriole et beaucoup d'argent : où est le héros ?

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