samedi 23 janvier 2016

35 heures, de jure et de facto



Emmanuel Macron fait encore débat, à propos des 35 heures cette fois. On l'accuse de vouloir les supprimer. C'est évidemment faux. Mais les réformer, oui, et je suis, une fois de plus, d'accord avec lui. Remarquez bien qu'aujourd'hui, à gauche, c'est la social-démocratie, dont le ministre de l'Economie est la pointe avancée, qui est à l'initiative en matière d'idées. L'aile gauche n'a plus grand chose à dire et à proposer.

Revenons donc sur les 35 heures. Depuis 1eur mise en place, il y a 18 ans, cette importante réforme de la gauche n'a jamais cessé d'être contestée. C'est un cas assez rare. Forcément, quelque chose ne va pas. Si les critiques venaient de la droite, ce serait le jeu politique normal : jamais les libéraux n'ont milité pour la réduction du temps de travail. Seul le centre droit envisageait son aménagement (qui ne vaut pas réduction). Non, les reproches les plus virulents sont venus, à l'origine, de la gauche et de son électorat.

A l'époque, sous Lionel Jospin, j'étais secrétaire de section et, à ce titre, défenseur des réformes en cours. Je me souviens des fréquents griefs qui étaient adressés aux socialistes. Le fond de la protestation, c'est que les salariés n'étaient pas tant intéressés par moins d'heures, qui désorganisait certains secteurs et mettait la pression dans d'autres, que par plus de pouvoir d'achat. Avec le temps, les critiques se sont tassées, une partie des classes moyennes apprécient ce gain de temps que leur apporte les désormais fameuses RTT. Mais les problèmes demeurent dans bien des entreprises, connus depuis le début, jamais totalement réglés : les 35 heures, c'est très bien, mais leur cadre juridique et réglementaire est trop rigide.

Emmanuel Macron, en avant-gardiste de la social-démocratie, est allé le plus loin dans les propositions, sans cependant contredire la ligne du gouvernement. A-t-il proposé d'abroger la loi sur les 35 heures, comme le souhaite une grande partie de la droite, Nicolas Sarkozy en tête ? Non, cette durée reste ce qui fixe le taux de rémunération des heures supplémentaires (car le problème n'est pas dans la réduction du temps de travail, sur laquelle la gauche ne reviendra pas, mais sur la majoration des heures au delà de la 35e).

L'assouplissement des 35 heures est déjà ancienne. Ce n'est pas Macron qui l'a inventé hier. Au lieu de rémunérer l'heure sup à 25%, on peut descendre actuellement à 10%, et le gouvernement prévoit de pouvoir aller en deca, quand les représentants du personnel sont d'accord. Ce qu'Emmanuel Macron apporte de nouveau, en quelque sorte de radical, c'est de descendre à 0%, décidé par une majorité qui ne serait plus absolue mais relative (30% des représentants du personnel). J'admets que la mesure se discute, mais je la soutiens : d'abord parce que, économiquement, les rigidités qu'entraînent les 35 heures sont à faire sauter ; ensuite parce que, politiquement, pour être compris et efficace, il ne faut pas faire les choses à moitié.

Est-ce la fin des 35 heures ? Non, puisque la durée légale du temps de travail demeure inchangée, comme je l'ai dit. Certes, à Davos, en réponse à une question, Macron a affirmé que, de facto, la loi initiale sur les 35 heures ne s'appliquerait plus, ce en quoi il a raison. Mais, de jure, elle continue à fixer la durée légale. Ne me dites pas que c'est une chinoiserie : la distinction juridique entre la loi et la pratique, c'est quand même le fondement du droit ! Par cette approche, Emmanuel Macron réactive la social-démocratie, qui donne sa préférence à la négociation et au compromis plutôt qu'à l'Etat et à la loi, principe qu'il n'applique pas seulement au niveau national ou de la branche professionnelle, mais ici au sein de l'entreprise. Tout social-démocrate ne peut qu'approuver.

19 commentaires:

Le futur a dit…

Je vous félicite pour cet article pertinent.
Iriez-vous jusqu'à admettre que l'aile gauche du PS pourrit tout par son archaïsme économique et ne regarde pas les réalités en face ?
Je pense que les vomissures antimacron sur ses "réformes nécessaires" (qui n'ont que pour seul objectif que notre économie fonctionne mieux je le rappelle) limite les possibilités et empêche d'exprimer clairement la ligne social-démocrate.

Emmanuel Mousset a dit…

Non, ce ne sont pas mes façons de parler. L'aile gauche représente un point de vue qui n'est pas le mien, que je combats vivement mais que je respecte. C'est un socialisme traditionnel qui a sa cohérence et qui n'empêche nullement la ligne social-démocrate, majoritaire au PS, de se développer et de s'imposer. Au contraire, l'effet de contraste est profitable à tous, parce qu'il clarifie les lignes de clivage.

C a dit…

Un cas presque parfait de comportement à la jésuite. On reviendra si on continue ainsi vite aux 48 heures et avec un peu de patience aux 60 heures.
Et pendant ce temps là, le chômage ne régresse pas.
Ce qui devrait être un objectif, c'est que le maximum de personnes en âge de travailler puissent le faire afin de pouvoir se dire qu'ils gagnent leur vie, pas qu'on les nourrisse à ne rien faire.
La dignité humaine, c'est de manger le pain qu'on a gagné par ses propres efforts.

Emmanuel Mousset a dit…

C'est une belle leçon de morale. Mais la politique et l'économie, c'est autre chose.

Philippe a dit…

"C'est une belle leçon de morale. Mais la politique et l'économie, c'est autre chose."

Depuis quelques années la morale, la politique, l'économie se rejoignent lorsque la désespérance surtout celle de la jeunesse conduit les plus violents à vouloir éradiquer dans le sang notre société qu'ils abhorrent. De Utøya au Bataclan, de Damas à Tunis en passant par San Bernardino nous voyons ce type de désespérance se manifester.

Emmanuel Mousset a dit…

Je pense tout le contraire de vous : ce n'est pas la désespérance sociale qui est le moteur de l'islamisme, mais c'est l'espérance religieuse, qu'on a du mal à comprendre dans une société sécularisée et largement agnostique.

Philippe a dit…

Espérance et désespérance sont les deux faces d'une même médaille, la seconde étant le remède à la première.

Anonyme a dit…

Mais pourquoi aller chercher un espoir quelque part ? (la religion en l'occurence)
c'est bien que le désespoir existe quelque part non ?

Emmanuel Mousset a dit…

De mon point de vue, l'espoir et le désespoir s'excluent, ils sont indépendants l'un de l'autre, et même contradictoires. Un vrai désespéré, par définition, n'espère rien du tout. Les djihadistes ne sont pas des marginaux, des égarés, des soldats perdus, mais les militants fanatiques d'une espérance terrible, cruelle et criminelle, le paradis d'Allah, avec pour corollaire l'enfer promis aux infidèles. Voilà comment je comprends la chose, voilà ce qui les motive, qu'un monde athée ou sceptique a du mal à concevoir.

Le futur a dit…

"C" ou la bêtise politique...
Les salariés sont trop protégés en France, notamment par cette loi rigide des 35 heures qui empêchaient à nos entrepreneurs -qui font l'économie - de créer. Macron constate leur "décès", et c'est tant mieux. http://www.lepoint.fr/economie/pour-macron-la-reforme-du-temps-de-travail-signe-la-fin-des-35-heures-22-01-2016-2012025_28.php

Être de gauche c'est être progressiste, c'est donc admettre la société dans laquelle on vit et lui donner toutes ses chances de progresser. C'est l'objectif de la loi de libéralisation de l'économie par Macron, qui est fondamentalement une loi de Gauche.
C'est oser dire que c'est en baissant les charges des entreprises (cf le CICE, mis en place en 2013) qu'elles investiront et construiront notre avenir. Je rappelle que le CICE a permis de débloquer 18,5 milliards d'€ pour nos entreprises. Chaque euro sera investi dans notre économie. Si on avait investi ces € dans du social, il n'y aurait eu aucun investissement.
Etre de gauche c'est comprendre qu'il faut envoyer l'argent vers ceux qui ont le courage d'investir - actionnaires, entrepreneurs (sans oublier ceux des PME qui font aussi notre économie. Il n'y a pas que les grandes entreprises !) afin de créer, valoriser, fabriquer un monde.

Voilà pourquoi je considère Macron comme étant plus un homme de gauche que le prétend l'aile gauche du PS, qui est pour l'immobilisme et donc pas de gauche.

Emmanuel Mousset a dit…

1- Non, les 35 heures ne "protègent" pas les salariés, l'expression n'a pas de sens.

2- Il ne faut pas opposer l'économique et le social.

3- En affirmant que l'aile gauche n'est pas de gauche, vous produisez sa propre erreur, qui consiste à refuser la qualité de "gauche" à tous ceux qui ne pensent pas comme elle.

En résumé, je partage votre enthousiasme pour Macron, mais vos arguments sont souvent maladroits ou erronés. En tout cas, je ne pense pas exactement comme vous.

D a dit…

"c'est en baissant les charges des entreprises (cf le CICE, mis en place en 2013) qu'elles investiront et construiront notre avenir" est un beau credo d'individu.
Cet individu se souvient-il du pourquoi et du comment qui ont été à la source de la création desdites "charges" ?
Un peu d'histoire ne ferait pas de mal à cet individu et à tous ceux qui se veulent entrepreneurs...
Des entrepreneurs de pompes funèbres pour les moins bien lotis de nos concitoyens et les laissés sur les bermes des chemins par ces fumeux penseurs.

Philippe a dit…

Concernant les 35 heures
Toutes les entreprises ont-elles été génées de la même façon ?
Les aménagements internes (pauses, relations de travail etc.) du travail dans les entreprises n'ont-ils pas eu pour effet d'augmenter la productivité en rognant sur tous les temps morts ?
N'a-t-on pas vu fleurir des firmes d'audit qui sont venues dans les entreprises dans le but d'augmenter la productivité ? (souvent dirigées par d'ex DRH en retraite !)
Mr Macron un peu jeunot (en 2000 il avait 23 ans) n'a jamais vécu la période d'installation dans les entreprises des 35 heures avec son cortège d'audits et de réaménagement du temps de travail.

Anonyme a dit…

Emmanuel:

Le Futur devrait lire le livre de Patrick ARTUS.

Tu parles de durée légale. Grossière erreur, il s'agit maintenant d'une durée normale (et non plus légale, les mots ont un sens, surtout en législation) et bientôt non encadrée par la Loi, mais bien par les accords d'entreprises (et non de branche), ce qui, à l'heure d'une raréfaction de l'emploi, revient à des négociations non libres et faussées.

Laurent

Anonyme a dit…

Je viens de finir la lecture de Futur.

Franchement, ce personnage résonne et non raisonne. Où a t'il vu que le CICE aller créer de l'emploi vu que notre production de richesse régresse et que la part de rémunération du capital augmente ?

Je tombe des nues.

Laurent

Anonyme a dit…

Plus tard, on saura que le CICE n'aura quasiment servi que les intérêts patronaux.
Mais l'état étant aussi patron, et les élus actuels devant devenir à terme chercheurs d'emploi du côté des boîtes des dirigeants d'entreprises concernées par ce CICE, on comprendra aussi sans doute les raisons sous-tendues.
Le CICE n'a pas vocation de créer de l'emploi mais d'endormir les capacités de comprendre des électeurs.

Le futur a dit…

Quand vous dites que le CICE ne fonctionne pas, vous réfléchissez mal.
Le CICE - qui fait partie du pacte national pour la compétitivité lancé par F.Hollande en novembre 2012 - a permis d'envoyer près de 20 milliards d'€ directement aux entreprises. Un retour direct sur l'emploi n'est aucunement prouvé, je le reconnais, mais il n'est pas à prouver. Le but est de créer un système qui permet à la croissance de prospérer, à nos entreprises de prospérer. Et forcément, avec une croissance forte, l'économie sera meilleure.

Si vous trouvez ça scandaleux de ne pas demander de comptes aux patrons suite au CICE, posez-vous cette question : demande-t-on aux salariés d'être productifs avant qu'ils aient un salaire ? Non, on les paye. Le salariat coûte extrêmement cher.


Soutien total au pacte national pour la croissance. Je pense même qu'il aurait fallu aller plus loin. Mais à l'époque du gouvernement Ayrault, le gouvernement était encore un peu trop frileux. Aujourd'hui, avec Valls et Macron aux commandes, j'ai confiance.

H a dit…

A Le futur...
Allez vous délocaliser en extrême orient et faîtes y vos affaires avec des travailleurs exploités qui se laissent faire, avec des mineurs enchaînés aux métiers que les parents laissent maltraiter, en laissant ainsi aux français en âge de travailler la joie de le faire pour quelque chose qui en vaille la peine (dont les charges qui correspondent aux parts patronales versées pour assurer des retraites dignes).
Et bon vent, disparaissez de notre paysage !

H a dit…

Concernant les 35 heures
Toutes les entreprises ont-elles été génées de la même façon ?
Et les salariés ?
Entre ceux payés 39 pour un horaire de 35...
Ceux payés 35 pour un horaire de 35...
Ceux de 35 payés 39 : en cas d'heures sup, 4 heures déjà payées augmentées de 25%...
Avec un tel système, une telle pagaille, il y a de quoi se réjouir selon certains mais surtout on a divisé le corps des employés de façon irrémédiable entre ceux qui auraient gagné au grattage et au tirage et ceux qui n'auraient gagné qu'au grattage et ceux qui n'ont rien gagné du tout vu que s'ils avaient pu être embauchés pour 39 heures, ils les auraient faites mais embauchés pour 35 heures touchaient et touchent encore des paies moins importantes qu'il aurait pu être possible...
Et après ça, il faudrait dire merci Monsieur Strauss-Kahn, merci Madame Aubry, et maintenant, merci Monsieur Hollande, merci Monsieur Macron, merci Monsieur Valls ?
Et aussi merci Monsieur Le futur ou Monsieur Mousset ?