lundi 1 juillet 2013

Un assassin normal



Si vous passez cet été par Paris, allez voir une exposition formidable, consacrée à Henri Désiré Landru, au musée des lettres et manuscrits (voir vignette). Landru, quelle histoire, et quel homme ! Un homme très ordinaire, au physique banal, petit escroc sans envergure (l'anti-Arsène Lupin) qui devient pourtant une immense vedette, presque un héros populaire bien que condamné pour assassinats, particulièrement horribles (il découpe ses victimes à la scie à métaux et les brûle dans une cuisinière). Emprisonné, il recevra néanmoins des centaines de lettres de femmes le demandant en mariage ! Lors de son procès, au lieu d'épouvanter la salle, il la fait rire ! Ce mystère Landru est passionnant.

Qu'est-ce qui motive un homme normal ? L'argent, normalement. C'est ce qui pousse Landru à truander. C'est un menteur professionnel, pas fou du tout, très travailleur, méticuleusement organisé (il établit des fiches, rédige un carnet, c'est un homme d'écriture). Comme tous les hommes qui s'affairent, son emploi du temps est très occupé : il court de rendez-vous en rendez-vous. Il n'est pas beau mais il a du charme ; il n'est pas très intelligent mais il est malin. Son idée de génie, il la doit aux circonstances : la première guerre mondiale, qui laisse de nombreuses femmes esseulées. Ce sera son coeur de cible, comme on dit aujourd'hui, son marché du crime.

Pourquoi les tue-t-il alors qu'il pourrait se contenter de les voler ? Landru n'est pas un sadique ou un psychotique, il est trop normal pour ça. C'est que les dames finissent par devenir encombrantes, et que la meilleure façon de se débarrasser de quelqu'un, c'est de le faire disparaître pour l'éternité, corps et âme. Sinon, Landru n'est pas foncièrement méchant. Le grand mystère, c'est que ce petit homme chauve et barbu n'a rien pour plaire et qu'il plait : aux dames, puis à l'opinion publique. Il ne se dégage de sa personne rien de charismatique. Mais justement : un homme si normal, si banal qui charme, c'est fascinant.

Ce malin n'est pas non plus très malin : il invite ses victimes à domicile, au vu de tous ; la fumée des cadavres empeste le quartier ; ses carnets, qu'il ne prend pas soin de dissimuler, l'accable. Mon explication ? La motivation de Landru, ce n'est pas tout à fait l'argent, ce n'est pas du tout la cruauté ; non, cet homme n'a eu qu'une obsession : sortir de cette normalité qui l'emprisonnait, qui le rabaissait, surtout à une époque en quête de héros et pas de gens normaux.

En compensant son physique ingrat par l'élégance vestimentaire, en fréquentant de belles dames aisées, il sort de sa condition moyenne, petits boulots et charges familiales. Il devient un monsieur dans un pays où les hommes sont partis à la guerre. On le remarque, on lui prête attention, il mène une double vie. Ses imprudences (les visites, la fumée, les carnets) n'en sont pas vraiment : il assume, il signe, il s'en moque ; ce sont elles qui en feront une vedette nationale, un personnage médiatique, comme on ne disait pas encore.

Pendant le procès, il fait son show, amuse la galerie, séduit la gente féminine. Il a réussi, il a gagné : ce n'est plus un petit bonhomme minable, grassouillet, tristement normal, c'est LANDRU, à jamais. Sa dernière maîtresse en date fera dire une messe pour le salut de son âme chaque jour que Dieu fera, jusqu'en 1972, où elle se suicidera. Aucune preuve matérielle ne sera retenue contre son grand homme, mais la multitude des indices suffira à le conduire à la guillotine. Jusqu'au bout, Henri Désiré Landru affirmera calmement qu'il est innocent. Dans sa tête d'homme normal, il l'était sûrement ...

Comment ne pas comprendre ce premier grand fait divers du siècle sans le relier à l'immense boucherie qui constitue sa toile de fond ? Des centaines de milliers de jeunes hommes qui meurent dans les tranchées et sur les champs de bataille, une dizaine de femmes qui sont découpées et qui partent en fumée dans un pavillon de banlieue : ceci permet de conjurer cela, en se laissant aller au rire et à la fascination. Landru, un boucher dans une époque de boucheries.

Savez-vous que Landru a séjourné à Saint-Quentin ? Eh oui, pendant trois ans, de 1890 à 1893, à l'âge de 20 ans, faisant son service militaire dans le 87e régiment d'infanterie. Nos historiens locaux pourraient peut-être se lancer dans une petite enquête ... Landru, à coup sûr, s'est promené en ville, s'est attablé à la terrasse des cafés, a peut-être compté fleurette dans le parc des Champs Elysées. Mais chez nous, aucune sinistre fumée n'est montée des toits. Quoique, allez savoir, en cherchant bien ...

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