mercredi 17 juillet 2013

Politique aux ciseaux



Quand je vais chez ma coiffeuse, je cause politique. Elle me voit dans le journal, elle m'interroge. La dernière fois, elle m'a demandé, en me faisant un shampoing : vous n'êtes pas trop déçu ? (à propos de mon échec pour la tête de liste aux municipales). Je lui ai répondu que non, que la politique n'était pas faite de sentiments personnels, mais de choix collectifs. Elle n'a pas eu l'air de me suivre. Vous serez quand même sur la liste ? a-t-elle insisté. Non plus, lui ai-je dit : quand on est vaincu, il faut laisser la place aux vainqueurs. Ca ne l'a pas mieux convaincu, mais le shampoing était terminé.

Quand elle a commencé à me couper les cheveux, je lui ai demandé comment allait son mari, un ouvrier qui installe des câbles électriques. Elle m'a appris qu'il était ... en Corée, en train de travailler sur un bateau de croisière en cale sèche. Ce n'est pas la première fois que sa boîte (saint-quentinoise) l'envoie à l'étranger : à Abu-Dhabi, il est même tombé dans un restau sur un cuisto venant de Saint-Quentin ! Le monde est petit, surtout avec la mondialisation, que j'ai défendue hardiment, profitant de l'occasion.

De fil en aiguille et de mèche de cheveux en mèche de cheveux, nous avons parlé de l'éducation de ses enfants, qui sont à Saint-Jean. Croyant contrarier ma laïcité, elle m'explique qu'au départ, habitant dans un village, l'établissement privé lui permettait plus facilement une dérogation. Est-elle contente de son choix ? Dans les petites classes, il y a mélange social, ça va. Mais arrivé au lycée, son fils se retrouve avec les "fils de ..." (sic) et c'est plus difficile pour lui, en matière de niveau scolaire. Je n'ai pas voulu m'écrier vive la laïcité !, je craignais qu'elle me coupe par accident ...

Au moment d'attaquer au rasoir ma nuque, nous avons discuté pouvoir d'achat. Elle s'est installée à Saint-Quentin, pour économiser les frais d'une voiture entre son village et son salon. Et puis, pour les enfants, c'était plus simple. Mais elle n'y a pas gagné : les impôts, en comparaison d'où elle vient, sont trop élevés, se plaint-elle ! Je lui demande si au moins les affaires vont bien, elle peste contre la concurrence : dans le quartier, il y a quatre ou cinq salons de coiffure, dont un à quelques mètres seulement !

Au moment de me montrer dans le miroir le résultat de son travail et l'état de ma nouvelle tête, elle me confesse que la crise se fait sentir jusque dans son secteur : la clientèle âgée se réduit forcément, par les lois de la biologie ; les jeunes tiennent à se faire beaux et belles, mais les rendez-vous sont plus espacés qu'avant. Pour la consoler, en mettant ma carte bleue dans sa machine, je lui dis que les êtres humains auront toujours besoin d'acheter du pain et de se faire couper les cheveux. En la quittant, j'ai pensé que ma coiffeuse pourrait être candidate aux élections municipales, qu'elle avait en elle une sorte de politique spontanée. On en reparlera dans environ deux mois, quand mes cheveux auront suffisamment repoussé.

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