jeudi 11 juillet 2013

La France de Verchuren



Je n'écoutais pas spécialement André Verchuren, je ne suis pas très musique, l'accordéon pas plus qu'un autre instrument. Mais sa disparition, hier à Chantilly, me fait quelque chose, me rappelle des souvenirs : le matin, de bonne heure, mes grands-parents allumant la radio, RTL, et commençant la journée sur des airs de Verchuren. L'accordéon nous donne du courage et de la gaieté : il en faut, pour affronter une nouvelle journée, le travail, l'école, la famille, les soucis ... Grâce à André Verchuren, on partait du bon pied, la joie dans la tête, certes pas pour toute la journée : un air d'accordéon n'effacera jamais, hélas, toute la misère du monde, les tristesses de l'existence. Mais du moins le petit matin était-il égayé ...

André Verchuren, c'était aussi les bals musettes, les thés dansants, les guinguettes au bord de l'eau, les galas dans les salles polyvalentes de la France profonde, toute une culture populaire qui a tendance à disparaître dans notre société infestée par l'esprit bourgeois, qui se moque de tout ça, qui le méprise. Verchuren, c'était la possibilité de l'amour et du bonheur simple chez les gens simples. Le "piano à bretelles", c'était le nom infamant et fièrement revendiqué de son drôle d'instrument, qui faisait gentiment la nique au vrai piano, à queue, celui des bourgeois, que les enfants d'enseignants, de pharmaciens et d'avocats rêvent d'avoir dans leur appartement. Dans cette lutte des classes qu'est la vie, je serai toujours du côté de l'accordéon, contre le piano.

Mais le bourgeois est malin là où le peuple est benêt : Giscard, faux aristo mais vrai grand bourgeois, a récupéré l'accordéon pour faire peuple. Nos bobos d'aujourd'hui aiment bien introduire le piano à bretelles dans leurs groupes musicaux, comme ils ont su s'approprier le vélo et la casquette du prolo. Sacrés bourges ! je ne connais pas de classe sociale qui ait autant le sens de l'adaptation ...

La France de Verchuren se met de la gomina dans les cheveux et s'endimanche pour aller danser. L'accordéon soulage ses malheurs (le bourgeois a l'argent pour ça). André Verchuren était à l'image de cette France silencieuse parce qu'elle ne sait pas très bien parler : c'est pourquoi elle joue de l'accordéon ou en écoute. Le malheur, André connaissait : celui de Dachau, où il avait été interné pour faits de Résistance (cette France-là est courageuse et héroïque, mais elle ne le dit pas : les bourgeois causent beaucoup alors qu'ils n'ont souvent rien fait, surtout à cette époque-là). Verchuren a connu aussi, dans les années 70, la tragédie alors ordinaire de l'accident de la route, qui lui a enlevé son épouse.

Je n'oublie pas, pour terminer, qu'il était Picard, né dans l'Oise et débutant sa carrière dans notre région. Je retiendrai son sourire et ce clin d'oeil du destin : André Verchuren nous quitte à quelques jours du 14 juillet, la fête par excellence populaire où se font entendre, dans ses bals, les airs d'accordéon. La gauche se demande comment reconquérir l'électorat populaire : au lieu de relire Karl Marx, elle ferait bien d'écouter André Verchuren ...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Tout automobiliste capable de déplier et replier une carte routière est mur pour apprendre à jouer de l'accordéeon.

André Verchuren