lundi 29 juillet 2013

La popularité d'un ministre



Quand un socialiste est populaire, je suis content, quel que ce soit ce socialiste. Je vais plus loin : un idiot socialiste, s'il est populaire, je suis content. En politique, peu importe qu'on soit idiot : ce qui compte, c'est d'être populaire. Et puis, en démocratie, où le peuple a toujours raison par principe, quelqu'un de populaire ne peut pas être complètement idiot puisque des gens votent pour lui. De toute façon, je ne connais pas de socialiste qui soit idiot, en tout cas au niveau national.

Pourquoi je vous dis tout ça ? Parce que le Journal du Dimanche, dans son édition d'hier, a confirmé que Manuel Valls était le ministre socialiste le plus populaire de France, à tel point que la moitié des Français trouvent qu'il ferait un bon Premier ministre. Quand on pense qu'il n'a fait que 5% aux primaires de 2 011 ! La politique, à bien y réfléchir, on ne sait pas par quel bout la prendre ... Donc, pour illustrer ce que je disais au début, Manuel est loin d'être idiot, c'est un socialiste authentique, ancien partisan de Michel Rocard, et un camarade à mon goût, de centre gauche. Ce que j'apprécie surtout chez lui, c'est qu'il assume totalement ce que doit être une gauche de gouvernement, il n'est pas complexé par le pouvoir.

Mais Valls n'est-il pas le ministre de Sarkozy, suivant ses pas et se glissant dans ses bottes ? Non, absolument pas : la politique aujourd'hui suivie au ministère de l'Intérieur n'est pas celle que menait la droite. Ministre de la droite, alors, puisque sa popularité dépasse son propre camp ? Oui, sûrement, mais je m'en réjouis : plus il y a d'électeurs de droite qui approuvent un homme de gauche, mieux ça vaut, selon moi (que les électeurs de gauche l'approuvent, c'est en revanche normal, banal, cohérent).

Alors, suis-je vraiment content que ce ministre et socialiste soit populaire ? Bin non, pas vraiment ! Je vous surprends ? Attendez mes explications. Je crois que les raisons pour lesquelles j'apprécie Valls (qui sont des raisons socialistes) ne sont pas les mêmes que celles pour lesquelles une moitié des Français l'apprécient et le verraient bien chef du gouvernement. J'en veux pour preuve le détail du sondage Ifop commandé par le JDD : à la question de savoir si Manuel Valls aurait la capacité à sortir le pays de la crise, sa popularité retombe à ... 30%. Bref, la popularité de Valls est une popularité d'image. Tant mieux, c'est toujours bon à prendre, quand on est socialiste comme moi. Mais quelle est cette image exactement ?

Valls, c'est d'abord le ministre des médias, celui qu'on voit à la télé. C'est bête à dire, mais en politique, si on ne vous voit pas, bon boulot, belle intelligence ou jolie gueule, vous n'existez pas. Valls surexiste. Sa patrie, c'est BFMTV. Mais je ne m'en plains pas, au contraire. Valls n'est pas que ça : c'est surtout le ministre des flics. L'ordre et l'autorité, c'est son rayon, et il en faut en République. Mais c'est là où ça fait hic chez moi : que les Français choisissent comme chouchou le ministre de la répression (un mot qui n'est pas à mes yeux péjoratif).

Sous la Vè République, les ministres de l'Intérieur n'ont jamais été très populaires, et d'ailleurs ils ne sont pas faits pour ça (de même qu'un bon prof est craint par ses élèves, éventuellement admiré, mais pas populaire). Michel Poniatowski, sous Giscard, n'était pas populaire (Gros Ponia, comme on l'appelait, chasseur de gauchistes). Gaston Defferre, sous Mitterrand, n'était pas populaire non plus (il ne faisait pas très socialiste). Pierre Joxe, tout en raideur, comme il sied à la fonction, ne donnait pas envie qu'on l'aime, et il avait raison.

Des ministres populaires, il y a vingt ou trente ans, c'était Simone Weil, Robert Badinter, Jack Lang ou Jacques Delors, quelqu'un qui attache son nom à une grande réforme, un projet ambitieux, ce que ne peut pas faire un ministre de l'Intérieur, qui est là pour faire régner l'ordre, qui a une mission en quelque sorte administrative, mais pas essentiellement politique. Le locataire de la place Beauvau, c'est l'homme lige du président de la République ; son action, qui est d'application des lois, ne peut pas dessiner une ligne politique propre.

C'est l'objet de mon inquiétude, et mon peu d'enthousiasme devant la popularité de Manuel Valls : elle traduit la crise morale que traverse notre peuple, son désarroi, son besoin d'autorité, son envie de chef. Ce peuple ne croit plus en la politique mais en la force, et c'est préoccupant. Je n'ai aucun problème avec l'ordre, l'autorité et la répression, qui sont nécessaires à toute société. Mais je ne pense pas qu'on puisse réduire la politique à ça, ni l'apprécier pour ça. Surtout, je ne comprends pas qu'une popularité puisse en être issue. Javert qui devient populaire, ça ne va pas. Je rêve d'un peuple qui rendrait populaire le ministre du Logement, le ministre de la Culture ou le ministre du Travail. Mais l'Intérieur, non. Le détenteur de ce portefeuille doit être utile et efficace (ce qu'est Valls) ; mais pas populaire.

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