mardi 13 septembre 2016

L'horreur militante



Ce matin, à 07h10, sur RTL, le journal a diffusé un reportage à la sortie d'une réunion de Nicolas Sarkozy. Des militants étaient interviewés sur Alain Juppé. Les réponses étaient horribles. Le maire de Bordeaux était devenu leur pire ennemi, à les entendre. Comme s'ils n'appartenaient pas, eux et lui, au même parti ! On reprochait au candidat à la primaire de la droite de flirter avec la gauche, d'être indulgent envers l'immigration. Surtout, ce n'était pas tant les idées de Juppé qui étaient critiquées que son prétendu tempérament : mou, indécis, intriguant, trop vieux ... Les attaques personnelles fusaient, très virulentes. A la fin, un militant a porté l'estocade : "S'il y a un deuxième tour entre Juppé et Le Pen, je préfère voter Le Pen". Consternant, effrayant.

Soyons honnêtes : ces réactions de militants sont de tous les partis, hélas. C'est la culture militante qui provoque ces comportements, presque inévitablement. Je le dis et le constate avec un déchirement de cœur. Pendant longtemps, j'ai porté très haut, dans l'échelle morale, la figure du militant. Je célébrais ses vertus d'engagement, de désintéressement, sa disponibilité, son combat pour une juste cause, sa fidélité à un parti, sa prise de responsabilité, son humble contribution à des tâches ingrates. Oui, tout cela me semblait relever d'une certaine noblesse ordinaire, d'une forme d'élévation humaine, d'un altruisme digne d'admiration. J'en suis revenu, je n'y crois plus.

Au contraire, j'observe avec horreur et accablement des militants trop souvent sectaires, fermés, soumis à des personnes plutôt qu'à des idées, prompts à des réactions violentes, aveugles. J'ai l'impression qu'on les retrouve dans les partis parce qu'ils ne savent rien faire d'autre. Ce qui est incroyable, c'est que leur bagage politique est mince, que bien des simples citoyens non adhérents à une organisation en savent beaucoup plus. Ce qui me stupéfait, c'est leur rapport négatif, conflictuel, négatif aux médias, à la presse, soupçonnés de comploter contre eux et leurs champions. On a le sentiment qu'ils n'acceptent les journaux qu'à la botte, qu'à leur botte. L'horreur militante, c'est ce fond-là, antidémocratique. Si ces personnes se retrouvaient à exercer un pouvoir, il y aurait de quoi avoir peur. Le pire, je crois, c'est l'incurable bêtise du militant : on ne sait jamais si elle est sincère ou s'il fait semblant, on ne sait pas quelle serait la pire de ces deux hypothèses.

Oui, je tombe de haut. Ce n'est bien sûr pas nouveau, mais il m'a fallu tout de même du temps. Qu'est-ce qui s'est passé ? Je crois qu'on ne fait pas attention quand on est porté par l'action. Les aspects négatifs du militantisme sont relativisés, minorés, parfois refoulés. Quand l'essentiel est ailleurs, les détails sont ignorés. Et puis, la défense des idées est censée tout excuser. Il n'empêche qu'aujourd'hui je déplore que les militants donnent une mauvaise image de la politique, que ce ne sont pas eux qui donnent envie de s'engager. Je les vois sensibles à la flatterie, avides de reconnaissance, satisfaits de peu, serviles. Ils sont les caricatures de ceux qu'ils croient défendre et qu'en réalité ils desservent.

Mon étonnement horrifié a une raison plus profonde. J'ai connu les heures de gloire du militantisme politique, qui se sont terminées dans les années 80, quand la gauche est devenue gouvernementale, quand l'idéal s'est estompé devant la réalité. Durant sa grande période, le militantisme était une véritable école, une sorte d'éducation populaire, qui puisait dans le syndicalisme et l'associatif. L'ancrage dans la société, dans la population était plus fort, les adhérents des partis de gauche beaucoup plus nombreux. Les meilleurs, les plus déterminés, les plus cultivés aussi s'y retrouvaient. Le recrutement de piètre qualité existait déjà, mais ne se voyait pas, n'influait pas, était en quelque sorte noyé dans la masse. On ne remarque pas la lie inévitable d'une bonne bouteille. Mais quand il ne reste plus qu'elle à consommer, on fait la grimace. Nous en sommes là aujourd'hui. J'ai toujours à l'esprit cette formule terrible de Pierre Mauroy, qui sonnait comme un avertissement : "Quand les dégoûtés seront partis, il ne restera plus que les dégoûtants".

Voilà ce que m'a inspiré ce reportage horrifique, ce matin, à la radio, sur ces soi-disant partisans de Sarkozy qui, dans leur zèle fanatique, agissent sans le vouloir contre leur propre camp, rendent impossible tout rassemblement une fois que la primaire sera terminée. Les mêmes, on les retrouve au Parti socialiste, coupables d'une pareille psychologie débile. Un militant, ce n'est plus à mes yeux un passionné, mais un diviseur irresponsable. C'est un constat qui m'étreint, quand je le compare à mes croyances d'autrefois et à mes espoirs pas si anciens.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Pauvre petit Emmanuel Mousset, ce vieux militant blanchi sous le harnais, ne sait pas encore que les querelles à droite sont d'autant plus féroces qu'elles portent sur des questions de personnes et d'égos. Il a oublié la querelle Giscard/Chirac puis Balladur/ Chirac. A côté les querelles internes du PS semblent porter sur des questions politiques mais dans un cadre bien étroit : celui de la mondialisation et de l'Europe ultralibérales.

A a dit…

Ce que vous dénoncez est ce qui est à reprocher à tous les fanatiques, en raccourci, les nervis des partis comme les fans des clubs professionnels de sport et votre observation rejoint celles de Luc Ferry me semble t'il à propos de tous les comportements humains lorsque ces mêmes personnes ont des lacunes dans la pensée ou se sentent (ou craignent seulement de se voir) frustrées, ces lacunes ne provenant pas forcément d'un manque d'intelligence, hélas mais plutôt d'un manque d'humilité. Ce ne sont ni des républicains ni des démocrates au sens qu'un homme en vaut un autre, absolument, quelque soit son parcours, ses origines, sa situation en tous points de vue et tout particulièrement au moment de voter. Ils ont le culte de la supériorité de leurs meneurs.

Anonyme a dit…

"Voilà pourquoi la seule qualité que les politiques attendent, des militants, c'est la fidélité (absolue, inconditionnelle, bornée) : moins ils réfléchissent, plus ils sont appréciés."(Marianne)
Résumé sur la place du militant aujourd'hui!