samedi 3 septembre 2016

Haine du souverain



François Hollande est très critiqué. C'est normal : nous sommes en démocratie et tout le monde ne peut pas être socialiste. Mais il y a certains reproches qui dépassent le bon sens. Cette semaine, plusieurs commentateurs se sont plaints de ce que le président de la République consacre du temps à rencontrer des journalistes pour exposer et défendre sa politique. De fait, deux ouvrages d'entretiens sont parus. Mais quoi de plus naturel et légitime ? François Mitterrand aussi fréquentait la presse et commentait sa propre action, sans que cela soulève des critiques. Pourquoi une activité de communication, banale dans l'exercice du pouvoir, est-elle aujourd'hui perçue négativement ?

Mon explication, c'est que cette condamnation traduit une haine du souverain. On voudrait assigner le chef de l'Etat à un strict travail de gestion ou de représentation, on voudrait le priver de son bon plaisir, comme on disait sous l'Ancien Régime : converser librement avec les personnes de son choix. Un président de la République n'est pas un employé de bureau, un cadre supérieur ou un haut fonctionnaire : c'est le monarque séculier, laïque et démocratique de la France. Il travaille bien sûr pour le pays, mais il fait surtout travailler un large entourage sur les objectifs qu'il s'est donné. La marque indélébile de tout pouvoir reste celle-là : faire travailler les autres plutôt que travailler soi-même. Dans tout monarque, y compris en République, il y a un roi fainéant, non pas qui sommeille, car rencontrer des journalistes, si ce n'est pas travailler, ce n'est pas non plus ne rien faire.

Faire de la politique, c'est aussi savoir perdre son temps, mais utilement. Mitterrand se lançait dans de grandes ballades où il conviait les uns et les autres, il s'éternisait dans ce lieu où nous allons un jour tous nous éterniser, les cimetières, il aimait "laisser du temps au temps", selon une de ses maximes favorites. Le monarque, c'est le maître des horloges : avoir le pouvoir (et le monarque l'a absolument), c'est avoir le temps pour soi. C'est aujourd'hui ce qu'on voudrait enlever à François Hollande, par haine du souverain : la libre disposition du temps.

De même, le souverain est celui qui ne laisse à personne d'autre qu'à lui-même le soin de raconter son histoire. Les rois de France étaient entourés de chroniqueurs auxquels ils confiaient leurs faits et gestes, afin que l'Histoire les retienne, à leur avantage. Hollande ne fait pas autre chose avec les journalistes qu'il reçoit : il ciselle sa légende. Mitterrand y tenait aussi, à une époque où nul ne songeait à le déplorer, parce que la haine du souverain n'était pas encore entrée dans nos mœurs politiques.

Charles de Gaulle et François Mitterrand étaient encore des souverains, l'un de droite et l'autre de gauche, genre Louis XIV et Louis XI. Giscard, c'était le roi bourgeois, style Louis-Philippe. Avec Chirac, les choses ont commencé à se gâter (une de ses premières mesures de chef de l'Etat : le carrosse présidentiel s'arrêtant au feu rouge pour laisser passer les manants !). Sarkozy et Hollande, c'était fini : le président touche-à-tout et monsieur normal ont creusé leur propre tombe. Sous leur mandat, l'idée du souverain, sa majesté, est définitivement enterrée.

Tout est fait aujourd'hui pour rendre triviale la fonction présidentielle. Contre François Hollande, on atteint des sommets inédits : sa cravate de traviole, sa manche de chemise apparente, son casque de scooter, la pluie sur son visage, l'expression "pas de bol" qu'il a employée, toutes ces remarques banales, insignifiantes, dérisoires, inutiles ne sont pas dues au hasard, sont tout sauf innocentes, elles recèlent un puissant ressort : la volonté de rabaisser, moquer, défigurer, déshonorer la figure du souverain (Hollande maintenant, demain un autre).

Dans une société individualiste, égalitaire et hyper-démocratique (dans ses principes), l'idée même qu'un homme soit souverain nous est insupportable, et tout est mis en œuvre pour la dégrader. On veut priver Hollande de trop longs entretiens avec les journalistes, on souligne ce qui en fait quelqu'un comme tout le monde, on lui dénie le droit de sculpter sa propre statue, on veut le réduire à un pur et simple administrateur de la maison France. Certains y verront un progrès des mentalités, d'autres la perte d'une notion politique précieuse, le souverain. Je me place plutôt dans ce dernier camp.

15 commentaires:

Philippe a dit…

"Le singe qui monte au cocotier doit avoir le cul propre."
Sagesse dite populaire africaine ...

Emmanuel Mousset a dit…

Vous êtes incorrigible ...

Anonyme a dit…

Votre explication selon laquelle cette condamnation (du président) traduit le haine du souverain pour justifiée qu'elle soit, ne suffit pas à rendre compte de la situation. C'est plutôt l'expression de la faiblesse politique, constante et récurrente, du président qui permet ces comportements. Dans notre culture politique on n'aime pas les faibles depuis au moins Louis XVI, un président n'est pas un homme normal mais un homme à qui le peuple français confie pour seulement 5 ans des pouvoirs plus étendus que nos rois dits absolus. Il attend de lui non pas seulement une simple gestion (rôle du Premier Ministre) mais une incarnation dans laquelle ils puissent se reconnaitre. De plus comme le quinquennat a fait coïncider la mandature présidentielle et celle de la Chambre des Députés en temps, il a réduit le rôle de Président à un simple chef de sa majorité parlementaire et de l'action politique de son gouvernement malgré l'existence d'un premier ministre qui n'est plus qu'un exécutant voire son directeur de cabinet ce qui fût particulièrement vrai du temps du duo Sarkozy-Fillon où ce dernier encaissait toutes les avanies de l'excité qui nous a gouverné de 2007 à 2012 et qui prétend nous gouverner à nouveau.

Toute la classe politique et médiatique mesure bien cette faiblesse et elle en profite comme à chaque fin de "règne". Autrefois, avec le septennat, le Président aurait à nouveau changé de premier ministre pour infléchir dans la forme voire dans le fonds sa politique; Comme cela ne se fait plus on assiste à une longue agonie politique, à une impuissance à remonter la pente de l'impopularité fatale.

Anonyme a dit…

Mon explication, c'est que cette condamnation traduit une haine du souverain.
Et la mienne, que tout le monde en a marre de la communication.
Le souverain n'a rien à voir là dedans !

S a dit…

Et bien...
Que dire à ce train là du Président Ben Gourion, qui à la retraite, après avoir servi ô combien sa jeune nation devait demander au parlement israélien l'autorisation de recevoir une nouvelle bouilloire, la précédente étant détériorée.
Un président n'est nullement un souverain.
On est en république ou on ne l'est pas.

Emmanuel Mousset a dit…

1- Il n'y a pas de politique sans communication.

2- Je ne suis pas très chaud pour l'argument de la bouilloire. Quand il y a souveraineté (de la République), il y a forcément souverain (présidentiel) : c'est ce qu'on appelle la représentation ou l'incarnation. La souveraineté n'est pas seulement une abstraction.

Philippe a dit…

"Le Roi est mort, Vive le Roi"
Cette séquence se répète au rythme accéléré de nos sociétés associant communication et consommation.
Le leader devient un effet de mode, fabriqué à la hâte et lancé par des boutiques de publicité, que l'on peut s’acheter à chaque élection.
Ce n'est ni bien ni mal ... c'est !

Emmanuel Mousset a dit…

Paradoxalement, en dénonçant la communication (de ce point de vue, vous êtes parfaitement conformiste, la plupart des gens pensent comme vous), vous lui donnez une importance exagérée, vous lui accordez une valeur qu'elle n'a pas. Je crois en la communication en politique, mais je pense aussi que ses effets, évidents et indispensables, sont en même temps limités. Ce n'est pas la communication qui fait l'élection.

Philippe a dit…

La communication englobe les techniques publicitaires qui ont fait des pas de géant au contact des connaissances en développement des neurosciences.
Je ne vois pas les raisons pour lesquelles ce qui a une bonne efficacité commerciale ne serait pas utilisé en politique.
La communication ( et la pub ) n'est pas un outil plus méprisable que le mensonge, les fausses promesses, les gaz lacrymogènes, les canons à eau, voire pire fréquemment utilisé partout et en France dans le passé proche ou lointain.
Pour cette raison j'avais conclu : Ce n'est ni bien ni mal ... c'est !

Anonyme a dit…

S'il est vrai qu'il n'y a pas de politique sans communication on ne peut que constater que cette dernière a pris une importance démesurée comme si la forme l'emportait sur le fonds. Ce qui est la réalité puisqu'il faut bien que la droite et la gauche se distinguent puisqu'elles font la même politique. De plus il ya tant de candidats à la présidentielle, les partis n'étant que le relai des "écuries de présidentiables" sans compter les candidats hors parti comme votre mentor.
Si la communication a pris une telle place c'est qu'elle comble le vide des idées politique puisque la droite et la gauche sont acquises au néolibéralisme économique et social Europe oblige. Comme le parti socialiste fait sa politique la droite est obligée de s'en démarquer par une surenchère qui la droitise de plus en plus. Il se croit obligé de faire des réformes sociétales au seul service de minorités qui, ponctuellement, peut l'aider à conQuérir le pouvoir mais pas à le garder.
Vous persistez dans l'illusion qu'il y a un conflit interne au PS entre sociaux-démocrates et l'aile gauche alors que cette dernière n'est en désaccord que sur la forme et non pas le fonds.

Emmanuel Mousset a dit…

Je crois bien connaître les courants de l'aile gauche. Ce n'est pas seulement un désaccord de forme. Ce qui est vrai, c'est qu'ils se rallieront à la fin, par intérêt.

Anonyme a dit…

C'est PLUS un désaccord de forme que de fonds. Sinon dits-moi en quoi Martine Aubry et les siens sont en vrai désaccord avec le gouvernement?

Emmanuel Mousset a dit…

Aubry, ce n'est pas l'aile gauche. Elle est certes changeante, mais social-démocrate sur le fond.

Anonyme a dit…

C'est vrai Martine Aubry ne fait pas partie de l'aile gauche du PS mais elle fronde contre le gouvernement. En fait c'est une velléitaire comme son père. Trois petits tours et puis s'en va rentrer gentiment dans sa mairie de Lille.
Ce que vous appelez social-démocrate n'est que social-libéralisme comme la droite. Les deux faces d'une même médaille.

S a dit…

Quand il y a souveraineté (de la République), il y a forcément souverain (présidentiel) : c'est ce qu'on appelle la représentation ou l'incarnation. La souveraineté n'est pas seulement une abstraction.
C'est la République qui est souveraine, c'est l'état qui est souverain.
Ce ne sont pas les personnes qui en ont charge qui sont souveraines.
Un peu plus de modestie ne ferait pas de mal à nos élus.
Des politiques mis en examen, on en a plus qu'assez.
L'argument "bouilloire" n'est pas du tout ridicule.
Ben Gourion n'a jamais eu rien à craindre de la justice de son pays et on souhaiterait qu'il en soit de même pour tous ceux qui se veulent nos "gouvernants".