dimanche 3 juillet 2016

Michel Rocard



Mon billet de dimanche dernier était consacré à Michel Rocard, à son dernier entretien au Point, plein de vie, d'intelligence et d'avenir. A chaque fois que Rocard s'exprimait, j'en parlais, j'y réfléchissais. Maintenant qu'il nous a quittés, je me pose la question : puisque suis-je entré en socialisme en devenant rocardien ? Je me demande même si je ne suis pas plus rocardien que socialiste, tant ce dernier terme a aussi couvert des crimes, alors que le premier est tout à l'honneur de ceux qui le portent.

Après Michel Rocard, en soutenant Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn, François Hollande, aujourd'hui Emmanuel Macron, c'est encore et toujours Michel Rocard que je soutiens. Pourquoi un tel engouement, alors que d'autres socialistes, à l'inverse, ont détesté et combattu Michel Rocard ? A l'heure de sa disparition, que reste-t-il de Michel Rocard en moi ? Trois choses essentiellement, qui ne cesseront pas de me marquer :

La liberté d'expression. Dans son langage à lui, Michel Rocard, dès les années 70, appelle ça le "parler vrai". Dire ce qu'on pense, quoi qu'il arrive, quoi qu'il en coûte. Je crois que c'est d'abord ça, le rocardisme et être rocardien. En règle générale, la politique est faite de faux semblants, de positionnements artificiels, de considérations tactiques où il est plus avantageux de rester dans l'ambiguïté et la dissimulation que de pratiquer la sincérité. Ce qui me frappait chez Michel Rocard, ce qui contrastait avec beaucoup d'autres, c'est ce souci de dire ce qu'on pense, sans chercher à faire plaisir, à séduire ou à être populaire. Sur le fond, on peut être en désaccord et même en opposition avec les analyses et les idées de Michel Rocard. Mais on ne peut pas lui enlever cette liberté de parole qui aura été la sienne et qui est si rare dans cette comédie à quoi se réduit trop souvent la politique.

L'ouverture d'esprit. Si j'ai aimé, suivi et soutenu Michel Rocard, c'est parce qu'il faisait de la politique sans sectarisme, sans fanatisme. Là aussi, ce n'est pas si fréquent dans une activité où l'on rencontre souvent l'esprit de clan, où l'on exclut celui qui pense autrement, où l'on ne l'écoute même pas. Les rocardiens ne formaient pas un courant au sens étroit, restrictif et partisan du terme. Chez eux, pas d'inquisiteurs, de procureurs ou de commissaires politiques, dont Rocard, tout au long de sa vie politique, aura été la victime. A la tête du gouvernement, il aura fait le premier ce qu'on appelle l'ouverture, que préconise encore aujourd'hui Emmanuel Macron : faire entrer des hommes de droite dans une équipe de gauche, au nom de l'intérêt général, parce que toutes les compétences sont à solliciter quand le contrat entre elles est clair. Compétence : voilà de nouveau un maître-mot du rocardisme, qui m'a pleinement convaincu, tant la politique en dilettante, en amateur, parfois en paresseux et en inculte me révulse.

Le débat d'idées. J'ai gardé pour la fin, pour le meilleur, ce trait de caractère du rocardisme. En politique, les intellectuels sont moins répandus qu'on ne croit. Je me demande même si c'est une bonne carte d'entrée dans la carrière ! On trouve parmi les élus, les responsables et les leaders, des aventuriers, des ambitieux et des désoeuvrés, mais rarement des intellectuels. Rocard en était un, à sa façon, parfois irritante, mais pour moi séduisante. Il mettait la défense des convictions avant la recherche du pouvoir. Sa pensée politique aura été d'arracher la gauche à l'emprise du communisme, dont on a oublié aujourd'hui à quel point elle était forte il y a 30 ou 40 ans, y compris jusque dans les rangs du PS. Le grand vainqueur idéologique de la gauche actuelle, c'est lui, c'est Michel Rocard : cette social-démocratie dont il était le meilleur représentant est désormais hégémonique au Parti socialiste, et nul ne songe à revenir là-dessus. Il n'y a pas si longtemps, le mot même, avant d'être honni, était méconnu. Alors que bien des leaders, y compris à gauche, cultivent le style cynique, opportuniste et grand seigneur, Rocard était le gars sympa, abordable, fidèle.

L'Aisne n'a jamais été une terre de rocardisme. La sociologie n'y portait pas. A Saint-Quentin, la longue domination du communisme n'a pas été favorable. Après, plus rien. Mais quelques figures tout de même se détachent, passées comme Rocard par le PSU : Maurice Vatin, Bernard Lebrun, Yves Daudigny et surtout René Dosière, dont le travail parlementaire est l'expression même du souci rocardien de rigueur, de justice et de vérité.

17 commentaires:

Anonyme a dit…

Michel Rocard est bien emblématique de cette gauche avec alibi de modernité a été le fourrier du néolibéralisme et dont l'UE est le vecteur. Il meurt au moment où la gauche est en crise profonde faute de vouloir transformer le monde avec le souci de justice sociale et non une simple gestion selon les canons de l'orthodoxie de l'idéologie dominante. Cette crise de la gauche n'est pas seulement française mais elle traverse toute la gauche européenne qui s'éloigne de son électorat populaire. Il suffit d'examiner les situations des forces de gauches dans tous les pays européens pour en être convaincus.

Erwan Blesbois a dit…

La vie en société est violente, car elle exige le mensonge permanent et la recherche de bouc-émissaires, c'est en cela que je ne suis pas du tout d'accord avec Emmanuel Mousset, quand il dit que notre société fait preuve de mièvrerie et d'un trop plein d'empathie : " La violence est plus d'ordre moral et psychologique dans la mesure où l'esprit de performance nous est imposé partout et surtout dans le monde du travail ", comme le rappelle fort justement un intervenant sur ce blog. La plupart des psychologues qui en appellent constamment à l'empathie, n'appliquent pas forcément pour leur entourage, leurs beaux discours généraux et généreux. Quant à la psychologisation de la société, c'est une plaie, qui permet à la corporation des psys, de gagner globalement très bien sa vie, et d'avoir un pouvoir de manipulation sur le reste de la société, très fort. Comme le dit une personne de mon entourage proche, si les psys avaient un quelconque pouvoir de guérison, cela se saurait.
Pour en revenir à Michel Rocard, il fut plutôt, tout au long de sa carrière une victime, ce qui nuit fortement à l'exercice du pouvoir. Pourtant il était beaucoup plus du côté de la vérité que Mitterrand, ce dernier étant clairement du côté du mensonge permanent. La probité et l'honnêteté ne paient pas en politique, lui, Rocard, qui proposait de rétablir une très grosse dose de morale en politique, ne fut finalement jamais reconnu par ses pairs, qui lui riaient au nez devant tant de vertu ouvertement affichée. Je me souviens même qu'une fois, rencontrant personnellement un des conseillers de Fabius, en 1995 environ, j'eus le malheur de lui avouer ma préférence pour Rocard, quelle ne fut pas sa réaction hautaine de mépris à mon égard et surtout envers ma préférence.

Antoine a dit…

Michel Rocard, un des rares à soutenir encore la diminution du temps de travail. (Mais par la négociation, pas par la loi).
Michel Rocard était contre l'autoritarisme, contre toutes ces pseudos références creuses à la République.

J'ai donc un peu de mal avec l'idée relayée régulièrement par les médias que Valls serait le "jeune Rocardien".

yvesgerin a dit…

Bien sur ce soir,pas de coeur bleu blanc rouge mais la grisaille de la beaufitude foot ét le triomphe de quelques richissimes mercenaires venus à bout de la lutte contre loi traval . ces engouements nationalistes troubles.m'atterrent ét francois qui cautionne,helas.

Anonyme a dit…

Certains, comme Benoit Hamon, l'ont soutenu dans les années 90 pour devenir frondeurs par la suite ! Comprenne que pourra car il n'y a aucune cohérence idéologique dans tout cela !

Anonyme a dit…

Vous omettez le fait que Michel Rocard a commencé sa carrière politique à l'extrême-gauche parce que la gauche officielle, la SFIO ancêtre du PS, n'était pas très attractive, s'était discrédité sous la IVè notamment par le fait qu'avec Guy Mollet avait, en déni de ses engagements, envoyé le contingent en Algérie pour, disait-on, une opération de pacification qui nous a conduit à une guerre coloniale dont seul un homme réputé de droite le général de Gaulle nous a sortis.
La gauche officielle, celle du genre que vous aimez tant et qui se fourvoie toujours.

Emmanuel Mousset a dit…

Vous savez, j'omets tant de choses ... Autant que vous, d'ailleurs.

Anonyme a dit…

Les choses sont toujours plus compliquées que la façon dont vous les présentez de façon partielle et partiale. Vous vous refusez à voir que la gauche, toutes les gauches européennes sont en crise profonde pour avoir entériné une UE libérale-rétrograde.

Emmanuel Mousset a dit…

Les choses sont toujours plus compliquées pour celui qui ne comprend rien.

Erwan Blesbois a dit…

" Les choses sont toujours plus compliquées pour celui qui ne comprend rien. " : Emmanuel quand arrêteras-tu avec tes réponses de vieux sage chinois ? Qui semblent toutes droit sorties de " The Karate Kid " ! A croire que toi-même tu aimes la pratiques des arts martiaux, et que tu as des influences bouddhistes zen ! Je ne suis pas sûr que tes chinoiseries marcheraient face à un adversaire tel que Xavier Bertrand ou du même acabit.

Emmanuel Mousset a dit…

J'ai pratiqué le zen soto en 1986-1987, chez les disciples de maître Deshimaru (et ce n'est pas une chinoiserie). L'influence est-elle perceptible 30 ans après ? Peut-être ...

Erwan Blesbois a dit…

Et ça consisterait pas à se prendre des coups de bâton ? A toi maintenant de les donner !

Emmanuel Mousset a dit…

Oui, à la demande, pendant les longues séances de méditation, nous pouvions volontairement demander à recevoir des coups de latte sur les épaules. C'est impressionnant mais ça ne fait pas mal. Au contraire, le corps se décontracte et élimine les douleurs causées par la position assise plutôt torturante au bout d'un certain temps. Bref, ce ne sont pas les coups de bâton de Guignol.

M a dit…

J'étais encore jeune et guère vraiment politisé à l'époque (vers 1960-1961) mais très impliqué dans l'éducation populaire. J'ai en mémoire que Michel Rocard se démenait au milieu du très compliqué PSA. Dans ce contexte de "guerre" en Algérie et d'autodétermination pour les colonies aficaines (sauf pour l'Algérie, considérée comme la France par une large frange de la population parce que départementalisée en trois entités, Oran, Alger et Constantine), "on" disait de Rocard que c'était un homme destiné aux plus hautes fonctions dans l'état, vu son intelligence et un lien comportemental évident avec Mendès. Donc dès ce temps là, si ni François Mitterrand ni Michel Rocard n'étaient socialistes au sens SFIO (Mendès non plus si je me souviens à peu près bien) le premier, considéré par nous comme un homme du passé et le second plutôt admis comme un homme d'avenir étaient déjà en opposition sur presque tout sauf se déclarer de gauche.
La plupart des clivages comportementaux encore actuels chez nous viennent en ligne droite de ce qui s'est passé en Algérie entre 1945 et 1965 c'est à dire les événements du 11 novembre et le renversement de Ben Bella. Je ne comprends toujours pas ce qu'il s'est passé avec Ben Bella et pour avoir connu et pu discuter du sujet avec le maire d'Abbeville, Max Lejeune, un socialiste SFIO qui fut rejeté par ladite SFIO et qui de ce fait créa une une sission "socialiste" située entre la gauche et le MRP (qui fit long feu), lui non plus.

Emmanuel Mousset a dit…

Aucun parti n'a le monopole du socialisme. La SFIO s'est dévoyée dans les jeux d'appareil, l'opportunisme et le soutien à la guerre d'Algérie. Rocard est un socialiste de toujours, d'abord à la SFIO, puis en dehors. Mitterrand est devenu socialiste en 1971 ... quand il a fondé le Parti socialiste. Avant, il était un républicain de gauche. Mendès n'a jamais été socialiste, mais radical (au sens de la IIIème République). Je crois que c'est ce qu'on peut honnêtement dire sur les uns et les autres, même si tout peut se discuter. Mais la leçon que j'en tire, c'est que c'est l'action qui fait l'homme politique, pas l'étiquette.

E a dit…

C'est l'action qui fait l'homme...
Mais c'est aussi l'homme qui fait l'action, non ?
On reconnaît l'arbre à ses fruits, est-il écrit dans un livre qui fait référence.
On associe ainsi très précisément l'acte à l'acteur, le geste à son auteur et la (ou les) conséquence (s) à sa (ou ses) cause(s)...
La leçon que vous en tirez, comme vous dites, est objectivement la justification que l'information est fondamentale et que la communication, c'est du blabla pour les gogos.
Ce qui me semble en contradiction avec votre propension à privilégier la communication dès qu'il s'agit de politique.
Continuez ainsi, vous êtes en train de découvrir le chemin qui mène à se faire reconnaître (et donc possiblement élire) !

Emmanuel Mousset a dit…

Je ne cherche ni à me faire reconnaître, ni à me faire élire. Je suis dépourvu de toute ambition. Je ne cherche que l'action : faire des choses, voilà ce qui m'intéresse. J'aime beaucoup cette formule d'Oscar Wilde : "L'ambition, c'est le refuge des ratés".