jeudi 28 juillet 2016

Les veilleurs sont toujours là




A Saint-Amand-Montrond (11 000 habitants), un kiosque est au centre de la grande place. Le soir, des jeunes s'y retrouvent pour tuer le temps. Sauf le mercredi, où l'on peut voir 4 à 5 adultes sur des pliants et des coussins, autour d'une petite bougie, récitant, chantant, discutant. Ce sont des "veilleurs", dans le prolongement du mouvement de 2013 contre la loi Taubira portant sur le mariage homosexuel. Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige, ils sont là, imperturbablement, chaque mercredi soir, sans exception, sans vacances, depuis trois ans (en vignette, de gauche à droite : Béatrice, Nathalie et Paul). J'ai voulu les rencontrer, connaître les motivations d'une telle persévérance, en les écoutant, sans débattre avec eux, sans leur faire part de ma propre opinion. Voilà ce que ces veilleurs m'ont dit. A vous de juger.

Au départ, en 2013, ils étaient plus nombreux, 30 à 40 personnes. Chaque veille débute par leur chant fondateur, "Espérance". Mais qu'espèrent-ils donc ? L'abrogation de la loi Taubira, sans démariage des couples existants. Que reprochent-ils à cette loi ? Le mariage homosexuel est "une aberration", pour Paul. "Il bafoue la nature humaine, parce qu'il ne débouche pas sur la vie". "La Terre perd la boule", me dit-il. Béatrice ajoute que ce mariage est "malsain". Nathalie n'est pas en revanche hostile au PACS, à des droits reconnus aux homosexuels. Paul prend l'homosexualité comme "un fait", une attirance intime entre personnes du même sexe, sur laquelle il ne porte pas de jugement. Il reconnaît l'opprobre dont ont longtemps souffert les homosexuels et la condamne.

Le combat des veilleurs est-il religieux ? "Non, l'Eglise ne nous soutient pas". Aucune prière n'est dite durant la rencontre. Pourtant, Béatrice émet un regret : "Il devrait y avoir un prêtre parmi nous ce soir". Leurs références sont philosophiques : ils appuient leur cause sur les textes tirés de la sagesse humaine, me disent-ils. Il y a un mot qui revient souvent dans leur bouche : "anthropologie". Leur conviction, c'est qu'il y a une vérité universelle inscrite dans la nature humaine, que vient contredire la loi Taubira. Ce n'est même pas, pour eux, une question de valeurs (toujours relatives et discutables). Je crois que la réponse à mon interrogation initiale est là : si ces hommes et ses femmes se retrouvent, envers et contre nous, c'est qu'ils ont le sentiment puissant de détenir une vérité, que rien ne peut altérer.

Je les questionne sur la dimension éventuellement politique de leur démarche. Paul me répond qu'il y a bel et bien une dimension politique, à partir du moment où une loi est contestée. Mais Nathalie nuance : "La droite de retour au pouvoir ne fera rien". Béatrice, qui a écrit à Nicolas Sarkozy, a un peu plus d'espoir, auquel Paul n'adhère cependant pas : "Sarkozy a retourné sa veste". Le parti le plus proche de leurs idées, c'est le Parti Démocrate-Chrétien. Deux candidats à la primaire de la droite militent pour l'abrogation de la loi Taubira : Jean-Frédéric Poisson et Hervé Mariton. "Mais ce sont des gens isolés", me dit Nathalie. Et le FN ? "Il n'a pas pris parti non plus contre la loi Taubira, même si des personnes de ce parti peuvent être d'accord avec nous", précise Paul. "On ne peut rien attendre de la politique" (Nathalie). "Ca ne peut passer que par la conversion des cœurs et des idées" (Paul).

Ce que je crois comprendre, c'est que leur action est culturelle. Mais alors, quel peut être le débouché ? Se rencontrer, chanter et réfléchir, est-ce bien utile ? Nathalie a cette formule : "On ne sert à rien, mais on est indispensable". Une autre raison motive son investissement parmi les veilleurs : "Avec le mariage homosexuel, la vente et l'achat d'enfants sont inévitables, puisque ces couples sont stériles". Elle redoute les "fabriques d'enfants". D'où la lutte contre la GPA.

Je leur demande comment qualifier leur mouvement, qui échappe à toute structure religieuse ou politique. Un "rassemblement d'individus", s'accordent-ils. "Et pas de citoyens", corrige Nathalie. Nous avons commencé cette rencontre en veilleurs de jour, nous la terminons en veilleurs de nuit, sur un dernier chant : "Amitié, Liberté". En partant, je ne sais plus qui de Béatrice, Nathalie et Paul m'a dit : "Nous sommes la lumière au milieu des ténèbres". Leur petite bougie va-t-elle encore briller des années et des années, chaque mercredi soir, sous le kiosque de la grande place de Saint-Amand-Montrond ?

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Le religieux reviendra : que ça plaise ou non. Il ne sert à rien de chasser le naturel, il reviendra au galop. Une certaine idée s'est répandue en Occident : la religion serait sur le déclin. C'est faire preuve d’ethnocentrisme, si on peut parler d'ethnie pour l'Occident.

La religion progresse aux Etats-Unis. Elle est au coeur du pays, en plus de sa religion civile. La religion progresse en Chine, où les forces communistes ou se réclamant du communisme luttèrent pendant des années contre. Aujourd'hui, a contrario, les autorités essaient de réguler en utilisant la religion.

Le Vatican, dans son agenda pour l'avenir réfléchit à une réduction de ses forces "morales" pour les concentrer dans de vraies zones stratégiques : L'Afrique, l'Amérique du Sud (où ses positions sont menacées par les Evangélistes), l'Amérique du nord, et surtout l'Asie qui connait un boom religieux.

En Europe de l'Ouest, les conversions à l'Islam augmentent, malgré les récents événements tragiques. En Russie, qui était à 12% d'orthodoxes revendiqués sous l'URSS est devenue majoritairement à sa chute chrétienne. Poutine travail parfaitement cet aspect, et oeuvre à son pays multiconfessionnel. Il vient de construire la plus grande Mosquée d'Europe, des centaines de milliers de musulmans prient dans les rues pour la fin du Ramadan. Les russes ne sont pas complexés avec la religion, tout en étant intransigeants quant à leur vision chrétienne.

http://www.leparisien.fr/international/russie-vladimir-poutine-inaugure-la-plus-grande-mosquee-d-europe-a-moscou-23-09-2015-5119543.php
http://www.valeursactuelles.com/societe/200-000-musulmans-dans-les-rues-de-moscou-pour-la-fin-du-ramadan-63278

Anonyme a dit…

sur leurs motivations il ne me vient que cette réflexion: on existe comme on peut et comme disait Brassens: mourir pour des idées d'accord,mais de mort lente

D. a dit…

Et quel motif pour que ce soit chaque mercredi ?
Mercure, Hermès, mieux que Jupiter, Vénus et autres déités Saturne ou Séléné voire Mars ayant présidé à notre semainier courant ?
Je persiste (voire signe) EM est bien mieux comme anthropologue que comme politique...
Son oeuvre restera.

C a dit…

Tout va par trois à Saint Amand ?
Après deux hommes + une femme...
Deux femmes + un homme ?
Je crois que la destination de mes prochaines vacances, ce pourrait bien être le Berry pour vérifier...
J'ai déjà vu Nohant, Lignières, Vierzon et Bourges, pourquoi pas Saint Amand...