mardi 5 juillet 2016

Des choses sans importance



Sur ce blog, depuis bientôt 10 ans, j'essaie de commenter ce qu'on appelle les événements, l'actualité politique au sens large. Mais je n'y crois pas trop, finalement. Car que restera-t-il, dans longtemps, de ce qui nous préoccupe aujourd'hui, de ce qui fait la une des médias ? Moi-même, je me prends au jeu, mais je ne suis pas dupe.

Prenons les deux faits majeurs de ces derniers jours. D'abord la disparition de Michel Rocard. J'en ai parlé, tout le monde en a parlé. Je l'aimais beaucoup, c'était mon modèle. Mais je sais aussi, pertinemment, que l'ancien Premier ministre n'avait plus d'influence politique de premier plan depuis une bonne vingtaine d'années. D'ailleurs, pour les plus jeunes, ce nom leur disait-il vraiment quelque chose ? Prenons ensuite ce qui s'est passé aujourd'hui, la poursuite du mouvement contre la loi El Khomri et l'utilisation du 49.3 par le Premier ministre : où est la nouveauté ? Nous sommes dans la stricte répétition des mêmes comportements depuis plusieurs semaines. Tout cela est attendu, sans surprise et nous en connaissons le dénouement. Où est l'actualité, où est l'événement là-dedans ?

Ma tendance naturelle serait d'aller chercher la vérité ailleurs, dans les micro-événements autour de moi, dans ce qu'on appelle parfois les faits divers, qui sont plus parlants, plus intéressants, plus révélateurs que l'actualité officielle et médiatique. J'incline vers ce que Victor Hugo qualifiait de "choses vues", dans la trame de la vie ordinaire, dans notre proche environnement, qu'on remarque à peine, qui ne font pas les gros titres des journaux mais qui prêtent à réflexion.

Par exemple, ce matin, en allant aux résultats du bac, je tombe sur quatre ou cinq jeunes à l'entrée du lycée, en tee-shirt rouge, distribuant des prospectus aux élèves qui entrent et qui sortent. Je me demande de quoi il s'agit, ce genre de présence aux portes de l'établissement est inhabituelle. Des évangélistes qui informent sur le salut des âmes ? C'est déjà arrivé, rarement, mais là, non, ce n'est pas ça. Des militants politiques contre la loi travail ? Cela se pourrait, j'ai déjà vu, c'est dans l'air du temps, la couleur rouge peut y faire penser, mais non, raté, une fois de plus.

Alors quoi ? Eh bien des jeunes gens qui font de la publicité pour la banque CIC. Je n'ai pas pris leur document, j'ai même affiché une très légère hostilité en passant devant eux, mais les banques ont le droit de faire le trottoir, y compris aux abords d'un établissement scolaire : il n'y a pas de délit de racolage lorsqu'il s'agit de profits financiers. Il n'empêche qu'une telle présence, qui a sûrement son utilité, qui semblait ne surprendre personne, aurait été inconcevable autrefois et qu'elle en dit long sur notre société et ses préoccupations, sans avoir à passer par une grande analyse idéologique.

Autre choses vues, ou plutôt lues, dans la presse locale cette fois. Nous avons eu dimanche soir un beau match de football, où la France est sortie grand vainqueur, entraînant la liesse des supporters, l'engouement joyeux de beaucoup de nos concitoyens. Très bien. Mais il y a les détails. A Saint-Quentin, deux frères sont arrêtés pour avoir menacé des policiers. A Tergnier, un passant s'en est pris, sans raison apparente, à une voiture de police. Les agents ont voulu l'interpeller, la foule s'est rassemblée, a fait pression sur les forces de l'ordre pour qu'elles relâchent l'individu.

Pour qui observe de près les manifestations de joie qui suivent le résultat des matchs, il constate que quelque chose déborde la joie, la dépasse largement, parfois explose carrément : la violence, la pure violence, sans motif, irrationnelle, le vandalisme qui s'attaque aux biens, aux personnes et aux représentants de l'ordre (je ne parle pas des hooligans, qui sont des délinquants, mais des spectateurs ordinaires). Bien sûr, c'est minime, anodin. Ce sont des phénomènes qui affleurent, qui ne sont pas massifs. Mais ils sont bien là, inquiétants, dérangeants, inexplicables. Il y a quelque chose de barbare, de primitif, de pulsionnel dans ces foules qui se rassemblent sous le prétexte officiel de célébrer une victoire sportive, mais qui renferment des tendances obscures, enfouies, négatrices. Elles sont contenues, refoulées, elles surgissent inopinément, elles signalent une réalité plus puissante, qui ne s'exprime pas complètement (par bonheur !). Ce sont des choses sans importance auxquelles j'accorde de plus en plus d'importance.

9 commentaires:

B a dit…

"ils sont bien là, inquiétants, dérangeants, inexplicables"...
Oui, cela vous inquiète, cela vous dérange et pour dire cela vous utilisez des mots à suffixe en ...ant.
Puis vous continuez avec un mot avec un tout autre suffixe...
En ...able.
Ce n'est pas neutre...
J'ai, par moi-même observé cette expression de violence spontanée et d'apparence injustifiée depuis au moins vingt-cinq ans.
Une violence jamais constatée avant le début des années 90 ce qui ne signifie pas qu'elle n'existait pas, mais du moins, personnellement, je ne l'avais pas rencontrée.
Je suis certain que cela date de bien plus longtemps (relire la Bible ou revisiter l'histoire de France et des autres nations (dont celle des United States of America en particulier) pour s'en faire une idée plus proportionnée).
Pour paraphraser quelqu'un : "L'homme porte en lui la violence comme le nuage porte l'orage..."
Et un autre : "Je suis une force qui va..."
L'une est entièrement climatologique et au stade de nos connaissances, les pouvoirs humains n'ont guère de pouvoir sur elle.
L'autre est intrinsèquement humaine donc les pouvoirs humains pourraient avoir tôt ou tard une certaine influence sur elle...
On peut rêver ?
Quoi qu'il en soit, des trois mots ayant valeur d'adjectifs, "inquiétants, dérangeants, inexplicables", que vous avez utilisés, les deux premiers sont acceptables sans conteste mais le troisième n'est pas raisonnable.
La violence dont vous parlez est peut-être inexplicable à vos yeux en 2016 mais il n'est pas dit qu'un jour ou l'autre cela ne le soit plus : quelqu'un aura trouvé l'explication.

Emmanuel Mousset a dit…

Je suis d'accord avec vous : quand l'inexpliqué deviendra explicable, il sera expliqué.

Erwan Blesbois a dit…

Il n'est pas très compliqué selon moi de trouver les raisons de la barbarie qui vient, que j'appelle perversion dans les rapports humains. La cause ? La chute des idéologies et des religions dans l'imaginaire collectif (catholicisme, communisme...), remplacées par un libéralisme pur et dur, porteur de destructions sociales donc de conflits entre les gens, la guerre de tous contre tous. L'homme a besoin de foi collective, c'est un fait, sinon il se condamne à un isolement pathogène.
Autre cause : la psychologisation à outrance de la société, qui dédouane l'individu de toute responsabilité collective, et renvoie chacun à sa propre pathologie individuelle, et l'encourage à adopter pour s'en sortir des conduites amorales voire immorales.
Voilà je t'ai expliqué les causes soi-disant " inexplicables ", mais tu t'en fous, puisque surtout il ne faut rien changer à ce modèle libéral et psychologisant, car ce serait soulever l'hypothèse d'un "autre monde " possible, non ? Donc tu vas continuer à t'enfoncer dans la défense du modèle libéral et de ses adeptes, comme Macron.

Emmanuel Mousset a dit…

Mon cher Erwan, il n'y a pas d'"autre monde" que notre monde. Sauf dans la tête des rêveurs, des idéalistes et des malades.

Erwan Blesbois a dit…

Tu es un nietzschéen pur et dur, c'est bien. Tu es au fond bien plus " intéressant " en étant comme tu es, qu'avec une once, je dis bien une once, de compassion et d'idéalisme. Je me demande quand-même si tu ne " surjoue " pas la dureté.

Emmanuel Mousset a dit…

Je n'ai pas besoin d'être "pur et dur".

Erwan Blesbois a dit…

"L'Incorruptible" si tu préfères.

P a dit…

Emmanuel : il n'y a pas d'"autre monde" que notre monde. Sauf dans la tête des rêveurs, des idéalistes et des malades.
Fort logiquement, la déclaration : "Mon cher Erwan, il n'y a pas d'"autre monde" que notre monde" est claire et définitive.
Pourquoi ajouter un "sauf" ?
Si ce "sauf" convient, la déclaration précédente devient caduque.
Donc l'alternative est :
1 - il n'y a pas d'autre monde que notre monde
ou 2 - il y a au moins un autre monde que notre monde
Rationnellement je souscris à l'affirmation qu'il n'y a pas d'autre monde que notre monde
CQFD.
Erwan : je t'ai expliqué les causes soi-disant " inexplicables "...
Ah bon... Ainsi le petit bébé qui brise ses jouets est un barbare pervers dans ses rapports avec les autres humains.
Démonstration, SVP ?

Emmanuel Mousset a dit…

Je ne comprends rien. C'est inexplicable. Sauf si vous êtes malade.