dimanche 17 janvier 2016

Valls, ennuyeux et parfait



Je ne me suis pas couché hier soir, comme nous y invite chaque samedi soir Laurent Ruquier. Mais c'est parce que l'invité politique était le Premier ministre, l'émission très attendue et contestée (voir le billet de vendredi). J'ai été largement rassuré, et je me dis maintenant que mon inquiétude était excessive. Le ton était sérieux, du début à la fin, à part une ou deux blagounettes, beaucoup moins que d'habitude. Nous avons eu droit à une séquence de gravité au milieu de trois heures de divertissement.

Très bien ? Oui et non : à vrai dire, je me suis ennuyé. Aucune surprise dans les propos de Manuel Valls, qui a été parfait dans son genre : clair, déterminé, convaincant. Mais comme je suis déjà convaincu, depuis bien longtemps ... Les chroniqueurs, Salamé et Moix, n'ont pas été très incisifs. Léa souriait et regardait avec ravissement, comme si elle avait le Bon Dieu sous ses yeux. Le Premier ministre s'est lancé dans de longs monologues, qui à la télévision passent toujours très mal. Pas vraiment de lyrisme dans sa parole, monocorde. Valls n'est vraiment lui-même que dans l'adversité : là, il jouait sur du velours, trop lisse, trop caressant à mon goût. J'ai suivi jusqu'au bout, mais j'aurais pu arrêter en chemin.

Salamé a bien cherché à faire l'indignée, à propos de la déchéance de nationalité, mais sa leçon de morale sonnait faux. Il aurait fallu qu'elle soit un peu plus politique ... Valls, sur le sujet, est rodé. Quant à moi, je ne suis toujours pas convaincu. Qu'est-ce qu'être français ? c'est, selon le Premier ministre, ce qu'il faut se demander après les attentats de l'an dernier. Non, je ne crois pas. Au contraire, il faut sortir de cette fichue question nationale, qui est inutile, qui empoisonne le débat public, affole l'opinion et fait le beurre de l'extrême droite.

J'ai dit que l'émission n'était pas tombée dans le divertissement. Sauf à un moment, où Moix n'a pas pu s'empêcher de faire le clown, en revêtant une kippa, par solidarité. Une bonne intention n'excuse pas la pitrerie : la kippa est un symbole religieux, qu'on porte quand on est juif croyant ou visiteur d'une synagogue. Ce n'est pas respectueux que de s'en servir d'amusement, même quand la cause est juste. Car quel besoin de se déguiser pour défendre une idée, pour afficher son soutien ? Deux députés de droite, à l'Assemblée, ont commis eux aussi cette singerie ; c'est déplorable.

La perfection génère l'ennui. Mais je ne dois pas critiquer : l'ennui est une force puissante en politique, où l'on ne demande pas aux citoyens d'être intéressés ou de se passionner, mais de suivre et de soutenir. Si l'homme public tient un discours lyrique, enthousiaste, il va provoquer de la controverse, de l'inimitié qui ne lui seront pas profitables. L'homme politique parfait n'est pas celui qui excite mais qui endort. Manuel Valls, chez Ruquier, a asséné des évidences partagées par tous, des banalités dans l'air du temps : c'est ce qui fait sa force, lui donne un bel avenir et engendre chez moi l'ennui. Ce qui n'enlève rien à mon soutien total.

A la fin, je suis sorti de ma torpeur parce que Valls est sorti de sa monotonie. Un jeune humoriste, que je ne connaissais pas et dont j'ai déjà oublié le nom, a tenté de le provoquer. Valls est resté maître de lui et a torché comme il le fallait le morveux. Mais j'en senti, dans le frémissement de sa narine, ce reniflement du sang et du combat qui donne à la politique tout son intérêt. Le Premier ministre, parce qu'il veut devenir un jour président de la République, ne s'est pas laissé aller. Quand on veut être parfait en politique, il faut passer par l'ennui, qui est une forme de sagesse, d'une grande efficacité.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Emmanuel,
Jai particulièrement apprécié la partie avec Jean d'Ormesson.

Laurent

Anonyme a dit…

Il me semble si ma mémoire est bonne qu'Hegel a dit que rien de grand ne se fait sans passion. Donc un homme politique ennuyeux ne peut que faire une politique ennuyeuse guère susceptible de susciter une adhésion. Avec Valls-Hollande comme leurs prédécesseurs de droite nous n'avons comme dirigeants de médiocres dirigeants qui n'ont qu'une petite vision de petits comptables aux ordres de comptables de la Commission de Bruxelles et de la Grande Dame Politique qu'est Madame Merkel qui défend très bien les intérêts de son pays.

Emmanuel Mousset a dit…

1- D'Ormesson a compris, comme nous tous, que Valls braconne sur les terres de la droite pour se constituer une majorité. Mais peut-on le reprocher au Premier ministre ? C'est ça aussi, la politique.

2- Rien ne se fait de grand sans passion, en art, en littérature, en philosophie, en religion ou dans la conquête militaire. Mais en démocratie parlementaire, où il faut trouver le plus petit dénominateur commun pour faire une majorité, la passion est déconseillée. En politique, on gagne à l'usure, souvent par défaut, aidé par les circonstances, mais rarement à travers un élan de passion. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Je ne sais pas.