vendredi 29 janvier 2016

Suis-je libéral, docteur ?



Par les temps qui courent, un tas de virus circulent. Les hivers trop doux sont mauvais pour la santé. Mes élèves tombent comme des mouches. Moi-même, je me demande si je n'ai pas chopé une saloperie : la macronite aigüe. Dès que j'entends Emmanuel Macron, quel que soit le sujet et ce qu'il dit, je me retrouve d'accord avec lui. Serais-je devenu libéral ? Faut-il que je consulte, que je me soigne ?

Prenez la grève des taxis. Le ministre de l'Economie a demandé à ce qu'elle cesse, qu'il n'était pas possible pour l'Etat de négocier sous la pression et dans la violence. Que voulez-vous que je redise à cela ? Les chauffeurs de taxi se conduisent d'une manière inadmissible, pire que des agriculteurs en colère, ce qui n'est pas peu dire ... Certains ont carrément des comportements de voyous, que n'excuse pas la défense de leur casse-croûte. Ce n'est pas un médiateur qu'il faut leur envoyer, ce sont les CRS ...

Mes amis politiques qui les soutiennent ou les comprennent ont perdu le sens historique. La gauche n'est pas la voiture-balai de toutes les revendications qui traînent. La lutte des classes, l'émancipation du prolétariat, c'est quand même autre chose que la défense d'une petite corporation furibarde, accrochée à ses rentes et privilèges, refusant toute forme de concurrence nouvelle, se souciant exclusivement de ses propres intérêts. C'est son droit, ce n'est pas blâmable, mais sans casse, et sans mêler la gauche à cette jacquerie bien peu progressiste. Leur profession n'a pas su s'adapter, les services rendus ne sont pas toujours à la hauteur. Il faudrait peut-être aussi que les chauffeurs de taxi se remettent en question. Et puis, à mes amis de gauche qui n'ont plus de mémoire, faut-il rappeler que le gouvernement socialiste de Salvador Allende a été torpillé par une grève des camionneurs, qui, même téléguidés par la CIA, avaient sûrement eux aussi de bonnes raisons de protester ?

Bon, tout ça ne me guérit pas : un socialiste atteint de libéralisme, il peut y avoir des suites, des complications, éventuellement des aggravations, pire, des contagions. Mais non : je crois qu'on peut être libéral et de gauche, comme Macron. Car être de gauche, c'est défendre les intérêts de tous, pas d'une minorité qui ne fait pas partie des Français les plus malheureux. Etre de gauche, c'est vouloir l'égalité et la justice, et non pas que certains en tiennent à leur pré carré, à leur petite féodalité, à leur situation de monopole, même si elle a été chèrement acquise. Etre de gauche, c'est défendre la liberté : il n'y a pas des "chauffeurs de taxi" patentés qui interdiraient aux autres d'exercer cette activité. Ce qui compte, c'est le travail qu'on produit, le service qu'on rend, l'utilité qu'on représente, pas le fait de s'être acheté une "plaque" au départ, comme la noblesse de robe se payait des titres. Etre de gauche, c'est s'ouvrir au progrès, pas s'accrocher à un passé mythifié : il faut être fou pour refuser la révolution numérique, car c'est elle, et elle seule, qui oblige les chauffeurs de taxi à bouger, à ne pas rester ce qu'ils ont été.

J'assume donc ma maladie, la macronite aigüe, j'essaie même, au passage, de vous la refiler, en lisant ce blog. C'est quoi, être libéral ? Simple : c'est être pour la concurrence. Avant de l'être en matière économique, je crois que je l'étais dans mon éthique personnelle, dans ma psychologie : je déteste la rente, l'héritage, le clientélisme, l'entre soi, la cooptation, le monopole. Ce ne sont pas mes valeurs, ni privées, ni politiques. En revanche, j'aime la compétition, la diversité, le mouvement, le risque, la recherche du meilleur. Ceux qui craignent la concurrence sont souvent les médiocres, les paresseux ou les privilégiés (qui peuvent être les trois à la fois).

Je suis libéral de gauche, parce que la concurrence au sein du marché n'est pas contradictoire avec la défense de l'Etat et le renforcement des services publics. Car si l'Etat ne peut pas tout, comme le disait très justement Lionel Jospin, le marché non plus ne peut pas tout. Je suis un fervent défenseur de l'école publique, mais l'école privée ne me gêne pas. Et s'il y a une saine émulation entre les deux systèmes, tant mieux ! Les Français d'ailleurs le ressentent ainsi ; il n'y a que les mauvais idéologues qui s'en chagrinent.

Karl Marx lui-même était favorable à la concurrence économique, condamnait le protectionnisme et les ouvriers détruisant les machines à tisser (parce qu'elles provoquaient le chômage). Je suis donc libéral, de tendance marxiste. Mais là où je me sépare du génial philosophe, c'est que je ne suis pas communiste, parce que je ne pense pas que la concurrence va engendrer une crise du capitalisme aboutissant à une révolution ouvrière, à l'issue de quoi s'installerait une société nouvelle, libre, juste et égalitaire. Non seulement je n'y crois pas, mais je le crains, quand on voit le résultat, au niveau planétaire, durant tout le siècle précédent.

Revenons à Macron : sa politique, c'est de libéraliser des secteurs économiques injustement protégés, que les avancées technologiques ne peuvent plus maintenir en l'état. La gauche doit se convertir à cette mission-là, une parmi d'autres. Et vous, quand allez-vous tomber malade à votre tour de macronite aigüe ? Ce serait un signe d'excellente santé politique. En cette période de vœux qui n'est pas terminée, c'est ce que je vous souhaite.

19 commentaires:

G a dit…

"Car être de gauche, c'est défendre les intérêts de tous", c'est ce que vous écrivez...
Si c'était vrai, la gauche ne pourrait pas autre qu'internationaliste.
Vous n'êtes pas internationaliste à ce que je sache donc vous n'êtes pas de la gauche dont vous parlez sans cesse.
Et que, s'il le peut, de là où il est, le grand Karl me garde de la maladie que vous prônez...

Le futur a dit…

Merci pour cet article, très lucide. Je partage cette "macronite aiguë ".
Vous avez raison d'assumer le terme de "libéral" il sonne encore trop mal aux oreilles de nos camarades de gauche. Sans doute car il est incessamment caricaturé par la droite.
La droite utilise le libéralisme pour les intérêts des plus riches.

Philippe a dit…

" Je suis un fervent défenseur de l'école publique, mais l'école privée ne me gêne pas. "
La vraie libre concurrence serait que les écoles publiques ou privées chacune embauchent leurs enseignants en CDD, embauches pouvant être remises en cause en continu.
Pour avoir été l'enfant d'un père qui ne savait pas à l'avance s'il "allait gagner son pain" du jour je ne souhaite pas ce statut ou plutôt cette absence de statut professionnel à notre prof blogueur.

Emmanuel Mousset a dit…

La vraie concurrence n'est jamais entièrement libre, mais au contraire très réglementée. Elle ne suppose pas la disparition de la Fonction publique. C'est l'évidence même.

E a dit…

"La vraie libre concurrence serait que les écoles publiques ou privées chacune embauchent leurs enseignants en CDD"...
La vraie libre concurrence, si besoin de concurrence est nécessaire, serait qu'à fonds privés, écoles privées et à fonds publics, écoles publiques...
Sans les fonds d'état les écoles privées n'auraient pas tant prospéré...

Philippe a dit…

Au niveau de la doxa libérale il n'existe pas de fonction publique.
Il y a des services, des entreprises de production, des travailleurs, des consommateurs.
Tout cela sera progressivement soumis à la concurrence dite libre et non faussée.
Dans ce cadre l'enseignement est un service comme la Poste ou les transports.
Il est destiné à ne pas demeurer "service public".
Le télé-enseignement va dopper cette évolution mercantile.
Une ville laboratoire du futur teste tout cela : Songdo.
http://www.letemps.ch/economie/2014/01/17/songdo-ville-intelligente-inquietant-laboratoire-futuriste-coree-sud
Reste l'Armée mais pourquoi pas la confier à des firmes de mercenaires, cela s'est fait partiellement en Irak, les USA ont testé avec le succès que l'on sait ...
C'est cela aussi le libéralisme !!!!!!!!!!!!!

E a dit…

11 lignes de texte au terme desquelles on ne sait si vous approuvez ou non le libéralisme décrit, M Philippe !
Ce libéralisme n'est pas bien loin d'équivaloir à l'apocalypse.
Au lieu de visiter Songdo, lisez plutôt Jacques Rancière, ça ne mord pas.

Philippe a dit…

à E
Donner une opinion tout le monde peut le faire, aller regarder en dessous des cartes ... demande de mouiller sa chemise
Ce que je sais c'est que les services d'éducation sont comme les autres négociables dans le cadre de l'OMC et donc de l'UE membre de l'OMC.
Pascal Lamy quand il était commissaire à la concurrence avait placé (fugacement) ce service dans le panier des négociations.("panier" est un terme employé dans ce monde là)
Ce secteur (services d'éducation) de négociation UE/OMC a subi un arrêt sans doute provisoire à la suite des difficultés à faire accepter la constitution européenne par les populations.
Il suffit d'aller sur le site de l'OMC et de chercher, bon courage, car les documents y sont amphigouriques.


Anonyme a dit…

je suis juste atteint de macronite bien tempérée, comme le clavecin de Bach qui lui connaît bien la musique

Anonyme a dit…

Mais dans quel monde vivez-vous donc Monsieur Mousset pour écrire des choses pareilles? Celui des bisounours de Monsieur Macron protégé comme vous de la violence de l'économie libérale par votre statut actuel de fonctionnaire. Si vous étiez mis en concurrence je suis sûr que l'éducation nationale libéralisée par les soins de vos amis "socialistes" pourrait employer un autre professeur qui ferait votre travail à moindre coût. Cela allègerait le coût du mammouth à dégraisser selon l'ignoble expression du grand ami de Lionel Jospin, Claude Allègre lorsqu'il fût ministre de l'éducation entre 1997 et 2002, tous deux des socialistes comme vous. Alors peut-être le principe de réalité s'imposerait à vous et vous changeriez votre façon de voir.

Emmanuel Mousset a dit…

1- En France, l'école publique est mise en concurrence avec l'école privée.

2- Une école unique, en situation de monopole, serait un danger pour les libertés, dans des régimes politiques infiniment plus violents que le système concurrentiel.

Philippe a dit…

Dans la pratique le libéralisme planétaire se développe dans des cadres prècis.
Mondialement la tutelle en est l'OMC, régionalement l'UE qui est membre de l'OMC ainsi que tous les pays de l'UE individuellement.
De nombreux traités ont été signés et tous ratifiés par les parlements nationaux même si on en parle quasiment pas dans les médias.
Le dogme de l'OMC est :
La concurrence doit être libre et non faussée.
Conséquence si un jour les services de l'éducation font l'objet d'un traité entre l'UE et l'OMC aucune subvention, aucun financement ne sera plus possible pour l'état français, l'impôt des français ne pourra plus venir au secours des écoles, elles devront s'auto-financer.
C'est cela le vrai libéralisme : absence d'intervention de l'Etat.
La Poste a subi cette révolution alors pourquoi pas par exemple pour débuter toutes les universités ... après on passera au ... secondaire.
En France les écoles ne sont pas en concurrence au sens du libéralisme.

Emmanuel Mousset a dit…

La concurrence "libre et non faussée", c'est une formule inepte, c'est la "loi de la jungle", c'est-à-dire le contraire d'une loi. La concurrence exige, à l'opposé, une organisation rigoureuse, un encadrement strict, un rôle éminent, arbitral de l'Etat. Voilà pourquoi le marché et le socialisme ne sont pas incompatibles.

Anonyme a dit…

Monsieur Mousset vous n'avez pas compris la portée de mes propos à moins que ne la réduisez parce que cela vous arrange. Vous ne connaissez pas bien tous tenants du libéralisme que vous, socialistes, défendez par conformisme en tant que petit soldat bien discipliné de la tendance majoritaire de votre parti.
Certains libéraux pensent que l'Etat doit se concentrer sur ses seules fonctions "régaliennes" de défense extérieure et intérieur et de justice. Bien sûr tel n'est pas encore une opinion et une option majoritaire, mais ce n'est qu'une question de temps pour que cela devienne l'option de votre parti. En effet vous pouvez compter sur l'UE et son dogme de la concurrence libre et non faussé, pourquoi pensez-vous que ce dogme ne s'applique pas à votre activité professionnelle? Comptez aussi sur les obscures négociations du Tafta pour inclure l'éducation dans les services à privatiser. Si vous étiez privatisé vous auriez plus d'empathie à l'égard des catégories sociales qui manifestent parce que victime de la concurrence "libre" et non faussée. Vous auriez un comportement plus authentique d'un homme de gauche. Soyez rassuré quand le temps viendra de la privatisation de l'éducation elle se fera en douceur et vous vivrez alors une douillette retraite un peu comme maintenant vous vivez confortablement à l'abri grâce à votre statut privilégié de fonctionnaire. La solidarité avec les faibles et les victimes du libéralisme n'est pas votre tasse de thé. D'ici là votre parti aura fait naufrage comme le Parti Radical et le Parti Communiste qui soit n'ont pas été fidèle à leur raison d'être ou avait accompli le programme pour lequel il avait été fort tel fût le cas du premier cité.

Philippe a dit…

"La concurrence "libre et non faussée", c'est une formule inepte, c'est la "loi de la jungle","
Bien sûr dans un commentaire de blog il faut faire très très court. Il faudrait la développer cette formule.
Dit autrement
si nous étions dans la configuration du libéralisme pour l'école, toute école s'implantant en France devrait recevoir les mêmes aides financières de l'Etat français qu'une école française.
Autre exemple lorsqu'il y a eu des primes pour les voitures (à la casse) toutes les marques étrangères en ont bénéficié aussi.Faire le contraire aurait entrainé de lourdes sanction financières fixées par l'OMC.
voir ici
https://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/dispu_f.htm
Quand on s'est lié les mains en ratifiant des traités on ne peut pas toujours rester "social" et devient progressivement "libéral".

Anonyme a dit…

Vous dites que la concurrence libre et non faussée est une formule inepte mais, au cas où vous l'auriez oublié ce qui est plus que probable, c'est des raisons, motifs pour lesquels la Commission de Bruxelles fonde une grande partie de son activité en application du Traité de Lisbonne, ce déni démocratique, puisque clone d'un traité rejeté rejeté par le peuple français un certain 29 mai 2005, et néerlandais le 1er juin suivant. Je ne doute pas que vous ayez voté oui le 29 mai 2005 et approuvé ce déni démocratique.
Cependant il est vrai qu'elle exige une organisation rigoureuse, bureaucratique par la multiplication d'autorités dites indépendantes de régulation des secteurs privatisés. En bref la dépossession des politiques d'une partie de plus en plus grande de leur pouvoir, l'organisation de l'impuissance publique dont sont victimes les taxis et les agriculteurs mais l'homme de gauche que vous êtes est indifférent à leurs sorts. Il est probable qu'à vos yeux ils ne votent pas ou trop peu à gauche pour mériter votre solidarité. Vous devriez être plus prudents parce que le monde de l'enseignement vote de moins en moins à gauche et de moins en moins socialiste alors qu'il était un des piliers les plus éminents de votre parti. Il est de plus sensible, que cela nous plaise ou non, aux thématiques du FN version MLP.

Anonyme a dit…

Si vous étiez cohérent avec votre définition de libéral et de gauche vous renonceriez à votre statut privilégié de fonctionnaire. Mais comme votre mentor Emmanuel Macron vous n'en ferez rien, lui qui a eu touts ses études de Haut Fonctionnaire payé par nos impôts sans respecter l'engagement de rester 10 ans dans l'administration. Il a préféré au bout de 6 ans pantoufler avec de meilleurs revenus à la banque Rotschid sans rembourser sa scolarité pour non respect de son engagement. D'autres, à droite, ont démissionné de la fonction publique comme Bruno Le Maire et Valérie Pécresse. Pas Macron, pas vous!
Pour vous résumer le libéralisme c'est bon pour les autres mais en aucun cas pour moi.
Votre analyse sur la question des taxis est superficielle, révélatrice de vos préjugés. Vous êtes à côté de la plaque. Par exemple la situation de la question des taxis est de la responsabilité de l'homme de gauche André Rousselet, un grand ami de Mitterrand. Votre électorat ne se retrouve pas du tout dans votre définition de la gauche c'est bien pourquoi elle perd tous ses électeurs et donc toutes les élections depuis 2012. Seul le Front national vous sauve la mise mais pour combien de temps? De plus à force de vous désister pour la droite les électeurs vont s'abstenir de plus en plus voire voter pour l'original au lieu de la copie.

Anonyme a dit…

Votre mentor Emmanuel Macron ne représente que lui-même et ne doit sa place qu'au bon vouloir du Président. Il n'est même pas membre de votre parti, et s'il en était il ne représenterait que l'aile droite comme Monsieur 5% de la primaire de 2011. Eux deux contribuent à diviser tous le PS et même mettre la gauche dans un état de désunion rarement vu depuis 50 ans. Cela est de mauvais augure pour 2017 comme le disait justement François Mitterrand qu'au premier tour on rassemble tout son camp puis au second on s'élargit à un électorat modéré. Je crains qu' Hollande ne fasse le contraire un peu comme Jospin en 2002 qui, au premier tour, avait déclaré "mon projet n'est pas socialiste". Vous savez bien ce qu'il advint. Vous comptez sur Marine Le Pen pour qu' Hollande soit réélu s'il passe le premier tour?

D a dit…

Et pour quels motifs, messieurs les tenants du libéralisme outrancier (mise en concurrence de tout ce qui est commercialisable de manière libre, ouverte, sans être faussée par des aides d'état), les fonctions dites régaliennes ne deviendraient-elles pas des marchandises comme les autres ?
Gérer une mairie, une société pourrait le faire.
Gérer un hôpital, aussi,
Et une école primaire, un collège, un lycée, une université...
Et même revenir au temps des mercenaires pour défendre l'intégrité territoriale.
On y va tout droit depuis que s'est constituée l'Europe, à tous petits pas, mais tout droit !
Le Grand Charles, lui-même semblait réticent mais malgré ses références aux cabris, a quand même fait malheureusement avancer le schmilblic dans ce sens.
On peut toujours inverser la manoeuvre, mais sûrement pas avec l'homme qui veut inverser une certaine courbe depuis bientôt quatre ans et qui s'est proprement moqué de son électorat et ça va se payer cash.
Nous allons payer tout ça cash !