samedi 26 septembre 2015

En panne d'idées



Mercredi soir, Arte nous a offert un très joli documentaire, élégant, racé, sur Roland Barthes. Il n'y a plus aujourd'hui d'intellectuels de cette envergure. La vie de la pensée s'est desséchée. On accuse les partis politiques de ne plus avoir d'idées : mais c'est toute la société qui en manque, au premier chef ceux dont c'est le métier que d'en produire.

Autrefois, le Parti socialiste, réputé pour ses débats, échangeait avec passion sur l'autogestion, les nationalisations, la décentralisation, le tiers-mondisme. Rien de tel maintenant. La France ne réfléchit plus depuis 35 ans : en mars 1980 meurt Barthes, et en avril Sartre. Une époque se terminait, qu'on n'a pas revue depuis.

Qui peut citer, de nos jours, un courant de pensée dominant, influent ? Dans les années 50, il y a eu l'existentialisme ; dans les années 60, le structuralisme. Et puis, plus rien. En 1977, les "nouveaux philosophes", Bernard-Henri Lévy en tête, ont détaché la gauche de l'hégémonie idéologique du marxisme, qui était très puissante. En 1979, la "nouvelle droite", avec Alain de Benoît, a prouvé que ce camp-là pouvait aussi penser. Mais c'était le chant du cygne d'une certaine influence intellectuelle.

Aujourd'hui, les philosophes sont un peu partout, mais aucun nom ne se dégage, ne s'impose, ne fait référence. André Comte-Sponville et Michel Onfray sont des vedettes médiatiques, intéressants, mais pas des maîtres à penser comme on en faisait jadis. Le seul courant contemporain illustre, c'est la "déconstruction", menée par Jacques Derrida, qui a triomphé sur les campus américains, pas vraiment en France. Ce qui veut tout dire ...

Il n'y a pas non plus à désespérer : comme toute chose, la vie intellectuelle connaît des hauts et des bas. 35 ans de pause dans la production d'idées, c'est peu à l'échelle du temps, et on a déjà vu ça. Et puis, si la France décline en philosophie, elle brille en littérature, donne au monde de grands écrivains, Modiano et Houellebecq par exemple, qui eux aussi pensent la société, la réalité, à leur façon. Alors, patience.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Alain de Benoist poursuit son activité intellectuelle, je le lis et l'écoute régulièrement.
Seul bémol il n'est plus invité sur aucun plateau, on ne lui offre plus la possibilité de mener des émissions. Il est cependant sans cesse invité dans des pays comme l'italie.
La censure règne en maître ... c'est simple on ne vous tend plus ni caméra ni micro.
Plus personne n'est capable d'écouter l'Autre et de lui répondre par un dialogue menant au débat d'idée.
La France s'est "gentrifié" (lire Christophe Guilluy) et cette "gentry" stérilise (en apparence) une vraie communication dans les grands médias, en apparence car des TV Web indépendantes voient le jour qui accueillent les pensées dissidentes.

Emmanuel Mousset a dit…

Ce n'est pas tant la censure qui règne (de Benoît n'est pas bien dangereux, ni très influent aujourd'hui) que le goût du spectacle, qui réduit ainsi le débat intellectuel.

Anonyme a dit…

Avant les progrès techniques permettant l'abrutissement des esprits par l'image il y avait l'abrutissement au bistro avec très longues parties de manille ou autre belotte, l'écoute de l'audiodescription avant l'heure avec les reportages radiophoniques des matchs de foot, les rues à certaines heures bruissaient de leurs cris ... les femmes elles bavardaient autour de tasses de café ou de thé quand la vaisselle étaient rangée, les mômes à l'école sauf le jour de la lessive ..... bref 95% de la population était imperméable au "débat intellectuel".
Les intellectuels eux ont montré leurs limites à la population (qui a été sensible à cette lacheté) par leur lacheté au cours du procès Kravtchenko.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_Kravtchenko

Le passé que j'ai vécu ado n'était pas idyllique et les intellos pas des aigles de courage ... il ne suffit pas de baratiner, il faut savoir prendre des risques ... intellectuels en se rapprochant du VRAI même s'il est perturbant et en premier lieu s'il nous dérange nous-même..

Emmanuel Mousset a dit…

Je partage complètement votre avis. Je ne me fais aucune illusion sur les "intellectuels", et je suis très loin de les considérer comme supérieurs. Il n'empêche que la politique et le monde des militants, qui ne sont bien sûr pas l'ensemble de la population, ont besoin de réflexion pour alimenter leur action. C'est là où je déplore le manque d'intérêt, des responsables politiques et des militants, pour les questions intellectuelles. Mais comme ce n'est pas non plus très nouveau, je ne m'inquiète pas trop.

Quant à la question du VRAI, elle est tellement redoutable que j'ose à peine la poser. Et ce n'est certainement pas dans la politique, qui est aussi l'art du mensonge et du faux semblant, qu'on trouve la réponse.

V a dit…

Mais que signifie le vrai, que ses lettres soient minuscules ou capitales ?
Ce vrai vaut-il davantage que le faux ?
Qu'est ce qui est vrai ? Un texte où tout est faux peut poser des problèmes intéressants à n'en pas douter et pour ne prendre que deux exemples : la bible et le le petit prince.
Tout est faux et pourtant !

Emmanuel Mousset a dit…

Je ne crois pas qu'on puisse même sur le même plan un livre religieux et un ouvrage littéraire. Le rapport à la vérité n'est pas le même.