lundi 28 septembre 2015

Les amateurs et les professionnels



Un livre tente de nous convaincre, entre sérieux et fiction, qu'Eric Zemmour ferait un bon candidat de toutes les droites aux prochaines élections présidentielles. Un sondage accrédite l'idée. C'est évidemment invraisemblable : on n'imagine pas le journaliste et essayiste, aussi populaires soient ses ouvrages, entrer à l'Elysée, ni même le tenter. Mais qu'on puisse le concevoir, y penser, en parler est révélateur de quelque chose. Ce n'est pas simplement une grosse farce.

A gauche, en moins spectaculaire, Jacques Attali n'écarte pas non plus une candidature. Il prépare un projet présidentiel et le portera si personne d'autre ne le fait. Là aussi, on n'y croit pas trop. Les intellectuels en politique, ça marche rarement.

Ces deux nouvelles me font souvenir que ce n'est pas bien nouveau. En 1974, la gauche avait pensé à un candidat de rassemblement qui n'était pas un politique : Charles Piaget, le syndicaliste des LIP, une bonne tête, une capacité lui aussi à réunir cette fois des gauches éloignées, la réformiste et la radicale, en ces années post-soixante-huitardes. Mais Mitterrand est arrivé et a très vite imposé l'Union de la gauche, PS-PCF-MRG, version Programme commun.

On a sans doute oublié que l'extrême droite elle-même s'est cherchée un candidat hors de ses rangs, l'écrivain Michel de Saint-Pierre, en vue des élections européennes de 1979, afin de rapprocher le FN et une organisation rivale alors en pointe, le PFN, Parti des Forces Nouvelles. En vain.

Et puis, il y a eu le fameux épisode Coluche en 1980. Le comique s'est d'abord lancé dans la course présidentielle par un gag, s'est finalement pris au jeu et au sérieux, avant que sa candidature ne sombre dans le pathétique et l'oubli. La rigolade en politique ne dure qu'un temps.

Dans les années 80, c'est Yves Montand que certains sondages donnaient comme possible postulant à la fonction suprême. Là aussi, le feu s'est éteint aussi vite qu'il est parti, et on n'en a plus entendu parler.

Plus près de nous, il y a quelques années, le philosophe Michel Onfray avait été pressenti par la gauche radicale pour une candidature à la présidentielle. Aujourd'hui, c'est donc Zemmour et Attali.

Que signifient toutes ces tentatives ? Qu'est-ce qu'on en retient ? Que toutes ont raté, même celles qui semblaient les plus crédibles ou les plus prometteuses. Elles nous disent simplement qu'il y a des situations d'émiettement de certains camps politiques, ou une panne de projets, qui appellent le recours illusoire à un fédérateur extérieur. Elles nous disent aussi qu'une période pré-électorale, avant que ne s'engage l'affrontement politique, est propice à des surgissements inattendus, des solutions baroques, mais tout se remet en ordre quand les choses sérieuses commencent.

François Mitterrand avait une formule qui m'a semblé longtemps mystérieuse, dont l'énigme s'est peu à peu dissipée au fur et à mesure de mes expériences et fréquentations : "en politique, un bon amateur n'égalera jamais un mauvais professionnel". Troublant, non ? C'est que la politique n'est pas un métier, mais qu'il faut quand même avoir du métier pour y réussir, et que la meilleure intention du monde est peu de chose devant celui qui, y compris médiocrement, en connaît les dessous et sait tirer des ficelles.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est dû à la constitution actuelle qui fait de l'élection présidentielle la rencontre entre un homme et le peuple.
De Gaulle a voulu avec ses acolytes faire passer les partis au second plan pour cette élection là !
Puisque vous êtes "démocrate" vous devriez regretter le temps de la IIIème où les parlementaires faisaient la "loi"... Et donc, pas d'intrusion de "rigolos" car malgré tout le respect dû aux initiatives personnelles des gens qui sont hors des partis, force est de reconnaître qu'aucun Bonaparte n'a plus jamais percé depuis Napoléon dans notre beau pays.

Emmanuel Mousset a dit…

Je ne suis pas loin de partager votre avis. La IIIe République avait sa grandeur. Mais la IVe a discrédité le parlementarisme. Ceci dit, la Ve est désormais ancrée dans nos moeurs politiques, et je ne suis pas partisan d'un changement constitutionnel. En politique, on ne revient pas en arrière. Dans la vie non plus.