dimanche 27 septembre 2015

Jourdain d'hier et d'aujourd'hui



Nous nous sommes rencontrés chez Nadia, le couscous du quai Gayant, à Saint-Quentin. Alors que je le prenais en photo, une jeune femme m'a demandé : "c'est qui ?" Je lui ai répondu : "l'ancien maire de Château-Thierry". Car c'est encore ainsi qu'on le présente, sans doute sa meilleure carte de visite, qui fait qu'aujourd'hui il se retrouve tête de liste d'Europe Ecologie-Les Verts dans l'Aisne. Dominique Jourdain est-il gêné par ce rappel de son passé ? Non, il assume ses 19 ans à la municipalité, qui ont permis sa notoriété. J'ai voulu en savoir plus sur sa candidature aux élections régionales (comme je le ferai volontiers avec tous les autres candidats de gauche qui le souhaiteront).

Ma première question : pourquoi n'avoir pas fait comme Jean-Pierre Balligand, arrêter la politique, après la défaite aux municipales, le départ du PS et une vie publique bien remplie ? "Il ne me serait pas venu à l'esprit de me retirer. Et puis, il y a les sollicitations ..."

Mais pourquoi avoir quitté le Parti socialiste ? Dominique Jourdain lui reproche son clientélisme, l'absence de réflexion. Surtout, "la politique actuelle du gouvernement n'est pas la bonne". Quand a eu lieu le déclic pour lui ? "En 2009, avec Daniel Cohn-Bendit (qu'il aime beaucoup) et la fondation d'Europe-Ecologie". Dominique Jourdain a cette jolie formule : "ce n'est pas moi qui ai quitté le PS, c'est le PS qui m'a quitté". Comme souvent dans ces cas-là, l'éloignement se fait progressivement : pour l'ancien maire de Château-Thierry, dès le début des années 2000.

Jourdain d'hier, nous y revenons encore, car le parcours d'un homme s'explique par son passé. Dans les années 70, il a flirté avec l'extrême gauche et le Secours rouge (c'était la mode à l'époque), a rencontré des philosophes et des écrivains, tels que Michel Foucault et Gabriel Matzneff, s'est mêlé à la vie parisienne, dont il a gardé un côté intellectuel. Il adhère aux Amis de la Terre, les écolos de ce temps-là. En rejoignant EELV, il n'a pas beaucoup changé, il retourne à ses premières amours. Jourdain d'hier, c'est finalement Jourdain d'aujourd'hui. Il a rejoint le PS en 1981, "pour faire gagner Mitterrand".

Je le taquine : est-il encore socialiste ? Il réfléchit : "c'est quoi être socialiste aujourd'hui ? Mais je ne suis pas antisocialiste, et je peux travailler avec des socialistes". Dominique Jourdain me rappelle qu'il a activement participé, il y a dix ans, au NPS, Nouveau Parti Socialiste, un courant rénovateur mené par Montebourg, qui a disparu depuis.

Que pense-t-il des querelles chez les Verts (dont il est membre du Conseil fédéral, le Parlement du parti) ? Les départs de Placé, Rugy, Porquier, il les considère comme un épiphénomène : "ils veulent faire des Verts un autre PRG, ça ne peut pas marcher". Le procès en gauchisation, il n'y croit pas : "les adhérents ont démocratiquement choisi une ligne, qu'il faut maintenant suivre". Dominique Jourdain m'apprend que les statuts d'EELV permettent dans ses rangs l'objection de conscience : un écolo pas d'accord avec le résultat d'un vote s'abstient de militer, tout en restant dans le parti.

Mais le danger de voir le FN l'emporter, à cause de la désunion de la gauche ? Il écarte rapidement l'argument : "au premier tour, il y a des électeurs qui ne voteront jamais PS. Une liste EELV permet de lutter contre l'abstention de gauche et prépare le rassemblement pour le second tour". Dominique Jourdain estime que c'est une erreur politique de se focaliser sur la montée de l'extrême droite : "c'est s'avouer vaincu. Et puis, ce que les électeurs attendent, ce sont des réponses à leurs problèmes". Défend-t-il au moins l'alliance avec le PCF ? "C'est une possibilité et un souhait. Les rencontres ont commencé, mais il y a des éléments non négociables, dont la conduite de la liste régionale par Sandrine Rousseau". A l'heure qu'il est, je crois qu'on ne peut pas en dire beaucoup plus.

Sur l'alliance avec le PS, je reviens à la charge : avec Aubry, la situation aurait-elle été différente ? "Les choses auraient été plus faciles, la maire de Lille a une meilleure image que Saintignon chez les écolos. Mais il aurait fallu s'y prendre plus tôt. Surtout, il ne faut pas faire de politique-fiction". Je ne sens pas Dominique Jourdain foncièrement hostile à Pierre de Saintignon. Mais l'enthousiasme n'est pas là, pour le moment.

Ce qui tient à cœur Dominique Jourdain, c'est le projet régional d'EELV, adopté à l'unanimité, 50 propositions qui sont la base des négociations avec ses prochains partenaires. "La santé, l'environnement, les transports seront parmi les thèmes abordés", qu'il pense être porteurs. Son ambition, c'est de porter un véritable projet de société contre celui, xénophobe et autoritaire, du FN. Pour Dominique Jourdain, la vraie bataille va se jouer sur ce terrain-là.

Je termine notre entretien en l'interrogeant sur son adversaire de droite, Xavier Bertrand : "je ne le reconnais plus, il s'est droitisé. Avant, il était ouvert, humaniste. Quand Xavier Bertrand était secrétaire d'Etat, j'avais son numéro de portable, on s'appelaient. Plus maintenant". Hier, aujourd'hui, nous y revoilà : nous finissons par où nous avons débuté.

Hier, aujourd'hui, mais ce qui compte en politique, c'est demain. L'ancien maire de Château-Thierry me quitte pour aller ... juste à côté, au cinéma, pour participer à un débat avec les SEL et AMAP, après la projection du film "En quête de sens" (tiens, un titre qui résume bien notre conversation). Pour Dominique Jourdain comme pour tous ceux qui font de la politique, demain commence aujourd'hui.

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