mardi 29 juillet 2014

C'est la guerre



Les prises de position en France sur ce qui se passe au Proche Orient me semblent fréquemment passer à côté du sujet. Elles sont souvent le reflet de notre bonne conscience occidentale, la projection de nos valeurs nationales sur une situation étrangère et incomprise. Par exemple, parler de "conflit" israélo-palestinien est impropre, puisqu'il s'agit littéralement d'une "guerre", à quoi nous ne nous sommes plus habitués : la France continue pourtant à faire la guerre, mais dans des pays lointains, sans conséquences sur le sol national, dans une disproportion totale de forces, qui rend même incertaine l'utilisation du mot "guerre" (c'est pourquoi on emploie plutôt l'expression d'"intervention" militaire, à juste titre).

Entre Israéliens et Palestiniens, nous assistons à une véritable guerre. Or, chez nous, les amis de la Palestine se rangent en général derrière une attitude humaniste, moraliste (dénonciation des morts civils), parfaitement honorable mais peu convaincante devant un état de guerre, où forcément, hélas, les peuples sont les premières victimes. De même, les amis d'Israël essaient de nous persuader que l'Etat hébreu mène une opération de police contre des terroristes que les méthodes condamnent : sans doute, mais on qualifie toujours de "terroriste" le résistant qui se bat pour une cause politique qui mérite d'être prise en compte, qui excède largement la discussion sur les moyens (en l'occurrence, la fin est de permettre au peuple palestinien de mener une vie digne sur un territoire respecté).

Dans une guerre, il est difficile de prendre partie, les intérêts et les visées de chaque camp étant légitimes. La facilité, c'est de renvoyer les protagonistes dos-à-dos. Je vois un autre défaut à éviter, dans lequel me semble tomber l'extrême gauche française : plaquer ses propres passions, ses références idéologiques sur cette guerre pourtant singulière. J'ai l'impression que nos camarades communistes surinvestissent et réinterprètent l'événement à partir de leurs catégories de pensée : Palestine contre Israël ou le soulèvement des pauvres contre les riches, des progressistes contre les impérialistes (autrefois, des pro-soviétiques contre les pro-américains). C'est mal joué, évidemment.

La guerre est toujours un conflit de peuples, de pouvoirs et de territoires. Mais il y a une spécificité de la guerre entre Israël et la Palestine qui est rarement en France évoquée, qui est refoulée parce que le concept n'est plus conforme à notre mode de pensée : nous avons affaire à une guerre de religions. Israël est une démocratie, mais aussi un Etat religieux. Son existence même repose sur le judaïsme. La Bible est pleine d'affrontements entre le peuple élu et ses adversaires, à propos de cette terre promise à laquelle, selon moi, il a droit. Contre l'Etat juif, le Hamas se réclame de l'Islam et veut instaurer une république coranique.

Cette dimension religieuse est à la racine du drame, autant que les problèmes économiques et sociaux (ceux-ci, à mon avis, sont plus simples à traiter que l'opposition religieuse, qui est identitaire). En France, pays heureusement laïque, nous ne raisonnons plus en termes religieux quand il s'agit d'affaires publiques. D'ailleurs, pendant longtemps, à gauche, l'idéal était de défendre pour le Proche Orient un seul Etat, laïque, dans lequel juifs et arabes auraient pu cohabiter en paix sous de mêmes lois. On voit bien aujourd'hui que ce projet était une chimère.

Il y a une dernière donnée qui ne nous est pas familière. Notre expérience française de la guerre nous la fait considérer comme un conflit relativement circonscrit dans la durée, tout au plus quelques années. Or, entre Israéliens et Palestiniens, nous sommes dans une guerre de Cent ans, comme la France et l'Angleterre l'ont connue il y a quelques siècles, avec des accalmies et des résurgences. Le Proche-Orient s'est installé, depuis 50 ans, dans un état de guerre permanent, auquel d'ailleurs ses peuples se sont habitués, et qui peut se prolonger encore longtemps, loin de la séquence limitée qui est notre l'idée et notre réalité de la guerre en Europe (1914-1918, 1939-1945, par exemple).

En même temps, aussi tragique que soit cette guerre israélo-palestinienne, son évolution n'est pas sans espoir, la situation est mouvante, ouverte : qui aurait dit, il y a quelques décennies, qu'une Autorité palestinienne se constituerait, qu'Israël céderait des territoires occupés ? L'Histoire est dramatique, au Proche Orient comme dans d'autres régions du monde ; mais je ne crois pas non plus qu'elle soit tragique, sans solution.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

On dépasse des centaines de morts dans un conflit aux multiples causes ... C'est à nouveau un chaos très violent avec surtout des innocents tués au nom de quoi?
Si les nations ne résolvent pas maintenant ce drame , il va s'exporter et cela tournera à des foyers en EUROPE surtout , et pour longtemps ...

Emmanuel Mousset a dit…

Non, la situation est suffisamment dramatique comme ça, n'agitez pas le fantasme idiot d'une guerre en Europe.

Anonyme a dit…

on se massacre au nom de Dieu; beau sujet de philo non?( bien sûr il y a une question de territoires mais au fond on revient à la religion(- anti juif, anti musulman-) la pire invention de l'homme avant l'argent