mercredi 16 juillet 2014

L'aberration



En rédigeant le billet d'hier, je n'avais pas encore sous les yeux la réaction de Martine Aubry, qui est tombée dans la soirée : elle ne veut pas plus de la Picardie que je ne veux du Nord-Palais-de-Calais ! L'ancienne ministre et première secrétaire du PS représente une voix qui porte : espérons qu'elle sera entendue jusqu'au Parlement et à l'Elysée, afin d'éviter la funeste mésalliance qui se prépare. J'y reviens aujourd'hui, tellement l'affaire me semble importante. C'est l'une des plus grandes réformes du quinquennat ; Saint-Quentin, deuxième ville de la région, est directement concernée. Champicardie ou Nord-Picardie, tel est le dilemme.

Martine Aubry, dans sa réaction de bon sens, a trouvé le mot juste pour qualifier l'association de la Picardie et du Nord-Pas-de-Calais : aberration. Je dirais même, quadruple aberration :

1- Aberration politique : les élus socialistes du nord, députés, conseillers généraux, l'appareil du parti ne veulent pas des Picards. Bonjour l'ambiance quand il faudra siéger ensemble, si le projet est maintenu ! Dans un couple, quand l'un aime (et encore est-ce un amour faute de mieux, voir le billet d'hier) et que l'autre n'aime pas, ça ne tient pas. On ne peut même pas évoquer un mariage d'intérêts, puisque ceux-ci n'existent pas !

2- Aberration économique : il n'y a AUCUN projet dans l'union, arrêtée hier, des deux régions. La corbeille de la mariée est vide. Il n'y a pas de continuité économique entre la Picardie et le Nord, entre une région agricole et une région industrielle. En revanche, il y a une belle transversalité entre la Picardie et la Champagne-Ardenne, avec l'agro-alimentaire et la chimie verte. C'est le choix de l'avenir.

3- Aberration historique : au lieu d'écouter les folkloristes, nous serions mieux avisés de lire les historiens. La Picardie, c'est le berceau de la France, autour de Paris. Le Nord, c'est déjà autre chose, tourné vers l'extérieur du pays. C'est pourquoi mon premier choix allait à un rattachement de la Picardie à l'Ile-de-France. Mais le gouvernement n'a pas voulu encombrer encore plus la métropole capitale. La Champicardie, c'est le chemin des cathédrales, Reims, Amiens, Beauvais, entre autres. Picardie-Champagne-Ardenne, c'est la carte du prestige.

4- Aberration sociale : la plus grave, la plus dramatique, celle que Martine Aubry dénonce dans son communiqué. Les deux régions les plus pauvres de France, ravagées l'une et l'autre par la crise, le chômage, la déculturation, la désindustrialisation vont se renforcer dans ce qu'elles ont de pire. Les Picards et les Nordistes vont se retrouver ensemble dans une vaste réserve d'Indiens, un parc de la misère sociale qui n'aura plus que ses faux souvenirs historiques pour se consoler. Il faut arrêter ce massacre !

Comment en est-on arrivé là ? Le gouvernement avait fait, au départ, un choix intelligent. Le responsable de ce recul, c'est le conseil régional de Picardie, qui a dit non et qui a proposé, à défaut d'un splendide isolement, de se tourner vers le Nord. Qu'une telle aberration ait pu naître dans la pensée unanime des élus, j'ai essayé hier de comprendre pourquoi. Je veux ajouter que le fond de cette réaction aberrante, c'est une pulsion de mort, comme aurait dit Freud. Claude Gewerc sait que dans un an et demi, quoi qu'il arrive, quel que soit la grande région retenue, il n'aura que très peu de chance de redevenir président, que les autres membres de l'exécutif vont disparaître avec lui. L'opposition de droite elle-même n'aura plus la même influence, quand il faudra passer des compromis avec d'autres, plus puissants. C'est donc la logique de la destruction qui l'emporte : sachant qu'on va mourir, faire mourir la Picardie, dans une sorte de suicide politiquement assisté. C'est la politique de la terre brûlée.

La vie, la croissance, l'avenir nous conduisent vers la Champagne-Ardenne. Le déclin, la marginalisation, la mort nous poussent vers le Nord, qui lui-même l'a bien compris, qui ne veut pas traîner une région sur sa pente cadavérique. Champicardie ou Nord-Picardie, c'est un débat fondamental parce que c'est une question de vie ou de mort.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je pense qu'il va falloir que vous révisiez les limites de la Picardie Historique qui allait jusqu'au Hainault.

La vérité c'est que peu de monde se précipite pour accueillir la Picardie. Et la vérité aussi c'est que la picardie aurait pu être démantelée: une partie vers l'Ile de france, une partie vers l'est et un partie importante vers le Nord.

C'est de toute façon ce qui peut se passer si on laisse aux départements limitrophes la possibilité de rejoindre une autre région.
Et l'on arrivera ainsi à ce qui était prévu depuis des dizaines d'année parce que cela correspond à une réalité de terrain.

Pas d'énervement par conséquent, l'essentiel est de lancer la réforme parce que si on tergiverse sans arrêt avec des positions aussi tranchées, on n'avancera jamais. Et il faut réformer.

Emmanuel Mousset a dit…

Les limites de la Picardie historique ne m'intéressent pas. C'est l'avenir qui est à construire, pas le passé. Si la position est "tranchée", c'est précisément pour ne pas "tergiverser" et pour pouvoir réformer ! Restons-en à ce qui a été au départ décidé, ne revenons pas dessus.

Anonyme a dit…

Oui d'accord mais c'est quand le départ.
-division en trois de la Picardie
-rattachement à la Normandie
-rattachement à Champagne-Ardennes
-rattachement à Nord-Pas de Calais

Tout a été évoqué avec des arguments parfaitement recevables pour chacune des 4 solutions. Sauf que l'on ne met pas les mêmes arguments en avant en fonction de l'option retenue.
Mais c'est là toute la grandeur de la politique.Il faut bien que quelqu'un décide en dernier lieu.

Emmanuel Mousset a dit…

Le départ, c'est de ne pas diviser les régions existantes mais de les additionner. Et, pour la Picardie, c'est de la rattacher à la Champagne-Ardenne.

Complètement d'accord avec votre dernier paragraphe.