dimanche 24 mars 2013

Sans religion ni révolution



Depuis l'adolescence, je lis Télérama, magazine télé très bien fait, d'origine catho, plutôt intello et de gauche. Cette semaine, comme la plupart des hebdos, il aurait pu mettre en une le pape : non, Télérama a préféré Guy Debord, pape du situationnisme, auquel la bibliothèque François-Mitterrand à Paris consacre une expo (Mitterrand-Debord, cherchez l'erreur). Les situs, c'est ce que Mai 68 a fait de mieux, avec les maos (en revanche, je rejette les trotskistes sectaires, les anars ringards et forcément les cocos staliniens).

C'est la revanche de Debord, critique absolu de la société du spectacle : il détrône en couverture le pape François, homme austère, discret et peu communiquant, dont les médias ont pourtant fait depuis son élection, malgré lui, une bête médiatique, mais à leur façon, comme toujours : un pape remixé, formaté, normalisé, si simple, si souriant, si sympa, si peu catho. Guy Debord s'en serait amusé : un souverain pontife récupéré, détourné, aseptisé par la société post-chrétienne du spectacle. Les médias sont désormais les seuls à faire des miracles.

Télérama n'est pas devenu situationniste pour autant. Voilà ce que j'y lis, en page 5 : "Imaginez un espace de plénitude et de bien-être vous offrant tout le calme et la détente dont vous rêvez. Une oasis de sérénité, où le temps n'a plus de prise sur vous et où chacun de vos mouvements se fait en douceur. Un monde où vous vous laissez aller les yeux fermés pour profiter d'un repos bien mérité." A votre avis, de quoi peut bien parler ainsi notre magazine d'origine catho ? La plénitude, la sérénité, jusqu'au temps de l'éternité et aux yeux fermés de la prière, ça ne vous rappelle rien ? Le paradis, la béatitude, bien sûr !

Mais non, vous n'y êtes pas : c'est d'une marque de fauteuils et canapés, Stressless, dont il s'agit, à l'intérieur d'une publicité. Guy Debord avait raison : la société du spectacle récupère tout, y compris la religion dans une revue pourtant catho. Mais ça ne s'arrête pas là : page suivante, je tombe sur ce slogan, "La France a une longue tradition : faire la révolution", qui s'adresse à quoi selon vous ? A la nouvelle voiture électrique de Renault, la Zoé ! Conclusion de la pub : "Changeons de vie, changeons l'automobile". En 1968 on les cramait, aujourd'hui on les célèbre ... en reprenant le vocabulaire de cette année-là. Au passage, je signale que les premières pages de Télérama ouvrent cinq encarts publicitaires à l'industrie automobile.

Trop fort Debord ! Sauf que sa pensée s'est retournée contre lui : il voulait détourner la publicité au profit de la révolution, et c'est la révolution qui a été récupérée au profit de la publicité. Ce monde désormais sans religion ni révolution, entièrement livré au divertissement et à la marchandisation, qui se plait d'un pape sympa et s'interroge gravement pour savoir si les gamins doivent travailler à l'école une demi-journée en moins ou pas, ce monde-là, Guy Debord n'a-t-il pas bien fait de le quitter le 30 novembre 1994 ? De la condition humaine, il aura donné une très belle définition latine, du titre de son dernier film, en 1978 : In girum imus nocte et consumimur igni, "Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu".

1 commentaire:

Claude a dit…

Et un autre aujourd'hui qui récupère les slogans du passé, cette fois les années 30, Mélenchon qui dit "Moscovici ne pense pas français". Qui récupérera ces relents d'antisémitisme ? La gauche de gouvernement comme ennemi principal de l'extrême gauche dans un contexte de crise ? Ça ne vous rappelle rien ?
Oui se souvenir des années 30. Mélenchon est un dégueulasse.