mercredi 13 mars 2013

Un socialiste bon enfant



Je vais vous parler aujourd'hui du socialiste saint-quentinois Jacques Héry, parce que la presse locale, depuis quelques mois, en parle régulièrement dans ses articles politiques. Jacques me fait un peu penser à moi, il y a quatorze ans : j'avais alors son âge, et comme lui aujourd'hui, j'étais secrétaire de section, mon nom commençait à être cité, les journalistes m'appelaient, parfois ma tête apparaissait dans le journal (quatorze ans après, j'évite de me retourner sur ce passé, tant il y aurait de quoi tout de suite arrêter ...).

Jacques Héry est rond de visage et d'esprit. De tempérament aimable, sa voix est douce et souple, sa conversation persuasive et intarissable, avec un ton très commercial, un peu comme Xavier Bertrand. Ils sont l'un et l'autre plus vendeurs que militants (mais ce n'est pas un reproche). Du nom de son débit de boissons et tabacs, Jacques est un socialiste bon enfant, avec une face de poupon, de bonnes grosses joues qu'on a envie de pincer affectueusement. Mais la politique n'est pas un jeu d'enfant. Immanquablement, la question se pose : que veut-il ? que cherche-t-il ? qu'attend-t-il ?

D'abord, Jacques n'est pas un socialiste comme un autre puisqu'il n'est pas enseignant, ni fonctionnaire mais patron de café, et d'un bistro populaire, presque en face de cette mairie UMP qu'il défie. En s'engageant ouvertement, il prend des risques professionnels, que moi par exemple je n'encours pas. Chez lui se croisent beaucoup de gens, qui l'informent et qu'il informe : la bonne communication va dans les deux sens. On y trouve pêle-mêle des élus de droite, des militants de gauche, des journalistes du Courrier picard tout proche, des agents municipaux pas très loin. Il est fréquent d'y rencontrer Freddy Grzeziczak, Antonio Ribeiro, Olivier et Jean-Luc Tournay, Corinne Bécourt, Franck Mousset, parfois Maurice Vatin et quelques autres moins connus. Le microcosme est intéressant et le mélange original. L'aile gauche du PS préfère la fréquentation plus bourgeoise du Carillon : ça fait partie des bizarreries de l'être humain.

Jacques appartient à la génération post-Jospin, qui a rejoint le parti socialiste après la cuisante défaite de 2 002, souvent dans le regret de ne l'avoir pas fait avant, de n'avoir pas soutenu notre candidat pendant les présidentielles. Très vite, il devient proche de la députée tout juste battue, Odette Grzegrzulka (Anne Ferreira et l'aile gauche, c'est pas son truc). En 2 003, Jacques Héry est candidat au poste de secrétaire de section, à ma suite. Il a donc un sens précoce de l'ambition politique, mais échoue devant Philippe Maillot (aile gauche). En 2 008, Jacques s'oppose violemment, comme la majorité des socialistes d'alors, à la candidature unique et minoritaire de Jean-Pierre Lançon, de sa liste et de ses alliances avec l'extrême gauche : c'est l'échec de la culture du débat et du réformisme au profit de la culture du conflit et la radicalité.

Jusque-là, Jacques est un membre du bureau de la section parmi d'autres, pas plus. C'est seulement à la suite du traumatisme des élections municipales (la majorité se fait voler le leadership par la minorité) qu'il va tenter son coup de génie : entrer en dissidence, créer une nouvelle section, celle de Neuville-Saint-Amand. Le pari était risqué, il l'a gagné : c'est à partir de là que Jacques Héry est devenu quelqu'un qui compte, auquel on fait attention. La deuxième étape de sa notoriété politique, c'est son accession récente aux instances départementales du PS, lors du dernier congrès, devenant secrétaire fédéral aux élections et aux relations extérieures, un titre impressionnant qui fait de lui à la fois un ministre de l'Intérieur et un ministre des Affaires étrangères !

Idéologiquement, Jacques Héry est un social-démocrate bon enfant, mais pas strauss-kahnien ni ségoléniste. En son temps, il a soutenu Bertrand Delanoë (ils étaient rarissimes dans l'Aisne) et a été l'un des premiers, et longtemps le seul, à choisir François Hollande. Social-démocrate, il l'est aussi en adhérant à l'association de René Dosière, "Le coeur à gauche", en compagnie de Maurice Vatin (and me). Il y a quelques mois, lors de notre congrès, sa section a voté unanimement, en toute cohérence politique, pour Arnaud Battefort (motion 1) à la tête de la fédération et pour Harlem Désir (motion 1) à la tête du parti, ce que Jean-Pierre Lançon, jamais avare de critiques acides envers ses camarades, avait qualifié de "pensée unique" (dans L'Aisne Nouvelle).

A l'égard de la politique menée par la ville de Saint-Quentin, Jacques est plus sévère que je ne le suis. Ces derniers mois, dans la presse, il a dénoncé la zone franche, la désertification du centre ville, la restauration scolaire. Il y a quelques années, il avait critiqué le parking payant de l'hôpital. Ce sont surtout les questions économiques qui retiennent manifestement son intérêt. Aux dernières législatives, Jacques poussait fortement Anne Ferreira à déposer le recours qui aurait pu selon lui la faire gagner (une histoire d'affiches UMP aux fenêtres, devant un bureau de vote), mais la candidate, hésitante, n'a pas osé.

Jacques Héry serait bien peu, politiquement, s'il n'avait pas aussi un engagement citoyen qui renforce sa crédibilité (une place dans l'appareil, n'importe quel gus peut l'obtenir). Jacques est à la direction du syndicat des buralistes de l'Aisne, ce qui n'est pas rien quand on sait à quel point la profession exerce une influence sur l'opinion : un bar-tabac a plus d'impact électoral qu'une réunion de section.

Mais ce n'est pas tout : le socialiste bon enfant est président de l'association des amis du faubourg d'Isle, organise à ce titre de nombreuses manifestations de quartier, a signé le premier contrat avenir de la ville. Il a succédé à ce poste à Jean-Louis Cabanes, l'homme de confiance d'Odette Grzegrzulka (il n'y a pas de hasard en politique !). Quand la municipalité de Saint-Quentin a lancé sa consultation sur les préoccupations des habitants, Jacques Héry a lancé de son côté, en parallèle, une pétition pour que ne soit pas oubliée l'association des amis du faubourg d'Isle, qui a des activités comparables à celles d'un centre social.

J'en reviens à ma question de départ, qui se pose à propos de n'importe quel individu en politique qui se montre sur la scène publique : que veut-il ? que cherche-t-il ? qu'attend-t-il ? Là, c'est plus compliqué. Jacques n'a jamais été candidat ou aspirant à une élection locale. Songe-t-il à la tête de liste municipale, c'est-à-dire le morceau de choix, la part du lion ? Un socialiste bon enfant n'est pas forcément un grand fauve. Mais dans L'Aisne Nouvelle du 8 novembre 2 012, la réponse est claire : "Je pourrais intégrer une liste ou même la mener. Je fais partie de ceux qui ont de l'ambition pour Saint-Quentin. Mais je déciderai plus tard ...". Voilà une parole de chef, certes avec une petite nuance attentiste.

Qu'est-ce qui me fait alors être un peu sceptique ? Je crois que Jacques a plus le tempérament d'un agent d'influence, d'une éminence grise, d'un tacticien de l'ombre que d'un leader d'opinion, d'un batailleur d'élection, d'un conquérant de mairie, d'un chasseur de mandat. Sa présence dans la lumière des médias est en demi-teinte, plus dans le commentaire que dans l'action. Sa vocation secrète, son intelligence politique, c'est de devenir faiseur de roi. Et son roi, il l'a, il est quelquefois à ses côtés, c'est Michel Garand, statue du Commandeur ou Arlésienne de la vie politique saint-quentinoise, dont Jacques rêve peut-être d'être le Colbert ou le Richelieu. Que de rêves n'avons-nous pas les uns et les autres, et moi le premier !

A la cérémonie de départ d'un autre Jacques, le sous-préfet Destouches, dans la salle des mariages de l'Hôtel de Ville, Jacques Héry était présent, parmi les personnalités de la ville, mais au fond de la pièce, et sans aller saluer les premiers rangs. Tout Jacques est là : y être sans en être ! Pourquoi pas, il faut aussi ce genre de témoin actif, de facilitateur en politique. C'est une façon d'exercer le pouvoir, de jouer un rôle : être celui qui pèse, mais pas celui qui entraîne, être la clé du scrutin au moment de désigner notre tête de liste (c'est pourquoi il est hostile à une primaire locale, qui le priverait de ce pouvoir, la décision étant alors prise par l'électorat, à son tour faiseur de roi).

Que deviendra le destin naissant de Jacques Héry ? Je n'en sais rien, je ne fais que de fragiles hypothèses. Nous aurons la réponse dans une dizaine d'années : les journalistes, à ce moment-là, continueront-ils toujours à l'appeler ? Sa photo sera-t-elle encore dans les journaux ? Ou bien rejoindra-t-il Françoise Mado, Gérard Bécu, Martine Bonvicini et quelques autres que j'ai en quinze ans connus, qui ont eu leur heure de gloire, leur part de lumière, leur bout de pouvoir, leur influence passagère et qui, depuis, ont complètement disparu de la vie publique saint-quentinoise, jusqu'à leur nom qui souvent ne nous dit plus rien, qui n'a pas laissé de souvenir. Je ne souhaite au fond qu'une chose à Jacques : c'est que le socialiste bon enfant ne devienne pas un sale gosse ...

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