mardi 26 mars 2013

Ciel ma manif !



Les réactions des manifestants après le rassemblement de dimanche contre le "mariage pour tous", dont beaucoup visiblement participaient pour la première fois à ce genre d'action, m'ont fait remonter le temps et songer à ma première manif, comme Sheila à sa première surprise party, certains à leur premier rendez-vous amoureux et d'autres à leur première communion. C'était à l'automne 1979, j'étais étudiant à la fac de Vincennes et un défilé avait lieu devant Jussieu, je ne sais plus pour quelle raison. A l'époque, le monde post-soixante-huitard se divisait en deux camps : les "orga" (les organisés, membres d'une formation politique) et les "autonomes", libres rebelles prêts à tout casser, qui méprisaient et insultaient copieusement les premiers. Voilà quelle était l'ambiance de ma première manif.

Des "autonomes" s'étaient emparés d'un bus et l'avaient mis en travers de la chaussée. Des types juchés sur les toits de la fac de Jussieu balançaient sur les CRS tout ce qu'ils pouvaient. Je m'étais logé dans un coin, j'observais fasciné cette scène de guérilla urbaine. Quand les CRS ont chargé en lançant des lacrymogènes, j'ai couru comme un lapin, j'ai senti le gaz bloqué mes poumons et mes yeux pleurer. Je revois encore dans la fumée les CRS se rapprocher de moi apeuré, quand une porte s'est ouverte, un type en cravate a demandé aux manifestants présents à ce moment de le suivre, et il nous a fait sortir par derrière, dans une petite rue tranquille. C'était ma première manif, j'avais pris des risques, eu peur et j'étais tout content, baptisé au gaz lacrymo.

Depuis, j'ai fait plein de manifs, je n'ai plus jamais éprouvé l'émotion de la première fois. Ce peuple de droite qui a manifesté dimanche a eu, c'est bien normal, des réactions de bleusaille, de jeune puceau et de premier communiant, comme moi finalement il y a 34 ans. Je les envie quelque part d'avoir pleuré de joie et de rage, d'avoir reçu les coups de matraque qui valent bénédiction, de se sentir à la fois victimes et héros, de vivre l'exaltation des masses qui croient faire l'Histoire, de forcer le destin en forçant les barrages de police pour tenter d'envahir la plus belle avenue du monde et remonter glorieusement vers le palais présidentiel. Si Xavier Bertrand et ses camarades de l'UMP étaient dans la foule, comme ils ont dû s'exciter à cette grandiose perspective ! J'aurais presque aimé être de droite pour vivre moi aussi cet instant-là.

Ce qui lui manque tout de même, à ce peuple de droite, c'est l'expertise de plus d'un siècle du peuple de gauche, c'est une culture de la manif. A défaut, il se met à geindre, à se plaindre là où il devrait au contraire être fier, avoir la dignité du combattant. De mon temps, moi ancien combattant de bien des manifestations, les CRS visaient à tirs tendus au coeur du défilé, tabassaient les passants sur les trottoirs, poursuivaient les récalcitrants sur de petites motos très rapides qui vous laissaient peu de chance d'en réchapper. Aujourd'hui, c'est de la gnognote : les policiers aspergent délicatement avec des bombes aérosols comme le font les coiffeurs au dessus du brushing des dames. Ce n'est pas bien méchant, il suffit de ne pas s'approcher. On distribue même des lingettes pour les yeux qui piquent ! Les manifestants qui résistent à terre sont déplacés désormais avec précaution, comme des vases de Chine.

Le peuple de droite, ses organisations politiques et confessionnelles doivent se former pour leurs prochaines manifs. Je m'autorise à leur donner quelques conseils d'homme expérimenté et réfléchi. D'abord, il faut s'habiller adéquatement, et pas comme si on allait à la messe ou en promenade. Ensuite, il faut laisser les enfants à la maison : une manif est une affaire de grandes personnes et on ne sait jamais comment les mouvements de foule peuvent tourner. Enfin, il faut se doter d'un service d'ordre musclé, sérieux, responsable et négociateur. En la matière, on n'a pas fait mieux que le SO de la CGT (du moins dans ses grandes années, les miennes). Il faut savoir écarter les extrémistes, qui discréditent beaucoup plus une manif que ne peut le faire l'adversaire politique. Il faut aussi strictement respecter le parcours décidé avec les autorités et jouer complètement la carte de la légalité. La droite a de longues années d'opposition devant elle, elle rencontrera de multiples occasions pour parfaire sa toute nouvelle formation en matière de manifestation populaire. C'est tout le mal que je lui souhaite, en toute cordialité républicaine et démocratique.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Puisses tu avoir raison.
Nous n'avons déjà plus de majorité au Sénat, trahi par les communistes.
Si demain, nous perdons les municipales, nous n'aurons plus de majorité à l'Assemblée, trahi par notre aile gauche qui refuse le réformisme.