vendredi 22 mars 2013

Platon et Sarkozy



Platon, dans son ouvrage La République, s'inquiète des excès de la démocratie athénienne, dont la multiplication des juges. Pour le philosophe, quand les hommes ne parviennent plus à régler entre eux, d'homme à homme, leurs conflits mais qu'ils s'adressent, pour se faire, à un juge, c'est que la sagesse et la raison sont en déclin. Notre société n'a pas la dimension ni la mentalité d'une cité grecque ; elle devrait néanmoins relire Platon et s'en inspirer : depuis quelques années, nous vivons de plus en plus sous la République des juges, dans laquelle, parfois pour une broutille, n'importe quel citoyen se réfère au droit, en appelle aux tribunaux et porte plainte. Quand le recours juridique l'emporte sur le débat politique, qui est pourtant l'essence de la démocratie, ce n'est pas forcément un progrès.

Je ne me réjouis pas de la mise en examen de Nicolas Sarkozy. Je ne discute pas de la décision en elle-même (les décisions d'un juge ne se discutent pas), mais de son impact politique, qui m'inquiète comme Platon s'inquiétait de la prolifération en son temps des juges. L'image d'un ancien chef d'Etat ainsi traité ne peut que renforcer dans la population le rejet envers toute la classe politique et profiter à l'extrême droite. Pourtant, innocent est Cahuzac, innocent est Sarkozy, sauf que notre société, dans le traitement des évènements, nous laisse croire tout le contraire. Que devient dans ces conditions le débat politique ? Il laisse place à des problèmes de personnes, à des contentieux privés, à des questions morales, à des considérations psychologiques. C'est la fin du débat public.

Moi même, qui essaie d'être scrupuleux, j'ai failli succomber à cette manie contemporaine : requérir le droit pour régler un problème politique, lorsque la direction de mon parti a demandé de refaire l'élection du secrétaire de section, sans que le souhait soit suivi d'effets. Tout de suite, j'ai appelé un ami avocat, qui m'a assuré de ma victoire en justice. Heureusement, ma faiblesse n'a duré que quelques heures (c'est déjà trop !), je me suis ressaisi, j'ai renoncé (mais pas reculé) : un contentieux politique doit se régler politiquement, pas judiciairement, même quand le droit est avec certitude de notre côté.

Et puis, Platon, non content de déplorer le pouvoir excessif des juges, défend une étrange théorie: la punition est plus dure pour le fautif lorsqu'il échappe aux rigueurs de la justice ! Car alors, marqué du sceau indélébile de l'injustice comme le bétail au fer rouge, son méfait ne cesse de le poursuivre, à la façon de l'oeil de Caïn dans la tombe, et c'est selon Platon la pire des punitions, à côté de quoi une décision de justice est encore trop douce. Pour mon affaire, c'est réconfortant : il y a une justice immanente à laquelle personne n'échappe. Le contrevenant portera sa faute, qui lui sera à chaque fois rappelée, qui le suivra comme son ombre, pour les quelques années qui lui restent d'existence politique. Son irresponsabilité à ne pas démissionner l'enfonce et me sauve, si on en croit Platon et sa conception de la vertu. On a tout intérêt à lire les philosophes.

4 commentaires:

Claude a dit…

Je ne suis pas pour une République des juges mais dire que les juges, en faisant leur boulot quand le dossier montre qu'il y a des présomptions sérieuses, font le jeu de l'extrême droite, c'est pousser le bonneteau un peu loin. Le pouvoir (et l'appétit du pouvoir) rend à moitié fou c'est l'évidence. Sans contrepouvoir il n'y aurait pas de borne à cette folie. La première chose que font les apprentis ou vrais dictateurs c'est d'asservir la justice et la presse. C'est ce qui se passe en Hongrie actuellement par exemple.
Ce qui fait le jeu de l'extrême droite c'est quand une partie des classes dirigeantes (attention je ne dis pas "tous pourris") se pense au dessus des lois communes. Par ailleurs ce n'est certes pas ce phénomène qui explique à lui seul les succès de la droite extrême.

Claude a dit…

Sur Platon : il a écrit dans un temps et dans une cité où les citoyens libres n'étaient pas très nombreux (beaucoup étaient exclus de la citoyenneté, pas seulement les femmes) et où, sur l'Agora, les inégalités de pouvoir et de moyens entre citoyens étaient bien moins étendues qu'aujourd'hui. C'était aussi une société délibérante où tous les intervenants se connaissaient peu ou prou. Ce qui explique peut-être son indifférence aux contre-pouvoirs et sa croyance au pouvoir modérateur du remords. Les forfaits dans un tel contexte étaient facilement de notoriété publique.

Anonyme a dit…

Comme vous le savez la justice immanente n'existe pas. Seule compte, et heureusement, la justice des hommes.

Emmanuel Mousset a dit…


Malgré tout, je crois en une forme de justice immanente, celle qui veut par exemple qu'on finisse toujours par payer ses erreurs, sans que la justice des hommes, par ailleurs imparfaite, y puisse quelque chose. La justice n'est pas seulement l'affaire des tribunaux et des procès.