jeudi 1 novembre 2012

Moi Danton, toi Robespierre ...



Pour ce long week-end de Toussaint, je vous conseille deux lectures : un ouvrage d'histoire et un bouquin de philo, abordables l'un et l'autre. D'abord "Les gauches françaises", de l'ex-rocardien et toujours social-démocrate Jacques Julliard, chez Flammarion, dont la réflexion repose sur l'opposition entre la gauche Robespierre et la gauche Danton. Elle se distinguent dans l'image qu'elles se font de l'adversaire politique : pour la gauche Danton, il s'agit d'un interlocuteur valable avec lequel on débat en vue de le convaincre ; pour la gauche Robespierre, c'est un ennemi à combattre, si possible à éliminer.

Pire : la gauche Robespierre considère que le véritable ennemi est à l'intérieur de la gauche beaucoup plus que dans le camp adverse. D'où, pendant la Révolution française, la théorie du complot, la dénonciation récurrente des traîtres, la loi des suspects. L'adversaire n'est plus respecté mais discrédité, tous les moyens sont bons, y compris les attaques personnelles, pour le disqualifier. A gauche, c'est souvent le social-démocrate, "social-traître", qui fait les frais des robespierristes : il est carrément exclu du champ de la gauche, on refuse de discuter avec lui, on essaie de le mettre hors-jeu. La guillotine n'a plus cours aujourd'hui, mais on coupe quand même des têtes, plus proprement. Nationalement, il y a bien longtemps que la gauche Robespierre ne domine plus, par bonheur. Mais à Saint-Quentin ? Ce sera ma devinette de la Toussaint. Moi Danton, toi Robespierre ...

Le bouquin de philo que je vous recommande est un livre d'entretiens entre Alain Badiou et Jean-Claude Milner, l'un toujours maoïste donc robespierriste, l'autre ancien mao : "Controverse, dialogue sur la politique et la philosophie de notre temps", au Seuil. Pour Badiou, qui est aussi platonicien, la politique repose sur l'idée du bien, qui pour lui ne peut être que le communisme, c'est-à-dire la recherche du bien collectif. De l'expérience tragique du totalitarisme stalinien, il retient qu'il faut désormais dissocier, comme au XIXe siècle, la politique et l'Etat. Je veux bien mais c'est trop facile d'exonérer ainsi le communisme, et je vois mal comment on peut séparer l'action publique et le pouvoir. Mais je m'accorde avec Badiou sur l'idée du bien comme boussole de l'engagement politique (à condition de définir quel bien : pour moi, c'est la réforme, pas la révolution).

Milner estime que la politique se construit sur des mots qui fâchent, qui créent des divisions, qui instaurent des clivages : selon lui, au XIXe siècle, c'est le mot "ouvrier" qui déclenche des violences, et le mot "juif" au XXe siècle. En ce sens, il n'y a de véritable politique et d'enjeu politique que dans la division (c'est d'ailleurs le fonctionnement de la démocratie, avec sa division inaugurale entre la droite et la gauche). De ce fait, pour Milner, contrairement à Badiou, la politique consiste moins à adhérer à une certaine idée du bien qu'à combattre une certaine idée du mal. J'avoue que ces deux intellectuels me séduisent autant l'un que l'autre et que je m'accorde finalement avec les deux. Mais si j'avais à choisir, à émettre une préférence, ce serait bien sûr Milner plutôt que Badiou.

Si j'applique cette réflexion à la situation saint-quentinoise (les idées ne sont utiles que si l'on s'en sert dans le quotidien de sa vie), le mot qui divise les socialistes locaux, c'est "extrême gauche", parce que contraire à notre tradition réformiste, et l'idée du bien qui pourrait nous rassembler, c'est le désir de "victoire" : si tous nos efforts, toutes nos pensées convergeaient vers ce but, les clivages s'estomperaient assez vite, l'unité se ferait naturellement, la dynamique enclenchée dépasserait les difficultés. Une condition à cela : choisir Danton, pas Robespierre ... En attendant, bonne lecture !

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