samedi 24 novembre 2012

La pensée François-de-Closets



Le journaliste et écrivain François de Closets était hier soir, au palais de Fervaques, l'invité de la librairie Cognet, pour une conférence sur ses derniers ouvrages. La rencontre était animée par Cécile Jaffary, devant une salle bien remplie. Depuis une bonne trentaine d'années, de Closets est un auteur à succès, un personnage médiatique, un homme d'influence dont la notoriété persistante mérite d'être interrogée. L'intervenant, à 79 ans, a gardé un enthousiasme de jeune, sa rhétorique est pétillante, avec parfois des allures de gamin quand il lance des "youpi !" moqueurs. La soirée était excellente, l'essayiste a pu s'exprimer durant presque deux heures, j'ai pu me faire mon idée : en gros, je n'adhère pas à sa pensée. Pourquoi et quelle est-elle exactement ?

La pensée François-de-Closets est d'abord foncièrement catastrophiste, sur le ton : tout va mal, je vous l'avais bien dit, et ça ne va pas s'arranger. Jeune homme pourtant optimiste, le regard qu'il porte maintenant et depuis longtemps sur notre société est très critique, très pessimiste. Rien ne semble trouver grâce à ses yeux. Bien sûr, il a raison de souligner ce qui ne va pas, et beaucoup de choses ne vont pas dans notre pays ! Mais était-ce foncièrement mieux avant ? Et puis, ce tableau sombre de notre économie a quelque chose de désespérant qui n'incite pas à l'action.

Ensuite, la pensée François-de-Closets repose sur une obsession, qu'il reprend quasiment en boucle, qui est le fil conducteur de son analyse : tout le mal viendrait de l'endettement de notre pays. Certes, la classe politique française a trop souvent négligé ce péril budgétaire, dont tout le monde est conscient aujourd'hui. Mais les difficultés de la France, les raisons d'agir pour le bien-être de notre pays ne se réduisent pas exclusivement à ça.

Il s'ensuit, chez François de Closets, une sorte d'effet de miroir, inversé : puisque les Français veulent "toujours plus", il faut que l'Etat leur donne désormais "toujours moins" ! C'est en tout cas l'impression que j'ai eu en l'écoutant. La seule solution qu'il avance, c'est la réduction des dépenses publiques, un régime d'économies drastiques. Pourquoi pas, mais c'est aussi aller un peu vite sur tout le reste, non moins important.

De plus, ce qui me gêne dans cette pensée François-de-Closets, c'est son fatalisme : hors ce qu'il propose, point de salut ! A l'entendre, il n'y a plus ni droite ni gauche, qu'il renvoie dos-à-dos, pas d'autre politique alternative que la sienne, c'est-à-dire le serrage de ceinture ! A quoi bon alors se présenter aux élections, faire son devoir de citoyen, organiser le débat démocratique puisque l'issue est selon lui unique ?

De là découle, dans la pensée François-de-Closets, une dénonciation excessive, injuste et même dangereuse de toute la classe politique. Derrière le visage souriant et avenant, le discours de bon ton, il y a aussi une forme de violence, de radicalité qui ne dit pas son nom (mais quel est précisément son nom ?). Je ne sais pas ce que lui a fait Jacques Chirac, mais de Closets l'accable durement, au grand dam de sûrement une bonne partie de l'assistance ...

Enfin, si les hommes politiques sont pour lui tous des irresponsables, il n'est pas plus tendre avec les Français en général : la France est un beau et riche pays, quel dommage que ses habitants soient si inconscients ! voilà en substance la pensée François-de-Closets, qui va jusqu'à dire que si le territoire national était rempli de Suédois, tous nos problèmes disparaîtraient (sic). Finalement, sa réflexion est beaucoup plus une psychologie collective qu'une pensée économique. S'en prendre aussi vivement à notre peuple et à sa classe politique n'est pas sans poser de difficultés en termes de démocratie, régime qui repose sur l'expression du peuple et l'élection de ses représentants ...

Pour toutes ces objections, je n'adhère pas à la pensée François-de-Closets. Je n'épouse pas non plus son "isolationnisme", qu'il doit à sa jeunesse démunie et vagabonde : se débrouiller tout seul, ne rien attendre des autres, c'est un peu sa philosophie de vie, qu'il applique à la politique en se montrant fort peu enthousiaste envers la construction européenne : il court chez lui, à peine en filigrane, cette idée selon moi folle selon laquelle la France pourrait et devrait se sortir toute seule, par ses propres moyens, de la crise dans laquelle elle est enfoncée depuis plusieurs décennies. Je n'y crois pas.

Je me demande, en fin de compte, si les obsessions de François-de-Closets à propos de la ruine de la France ne viennent pas de cette enfance au sein d'une famille bourgeoise ruinée, où le petit François ne pouvait même pas ramener chez lui un copain, par honte de la déchéance sociale de ses parents (authentique !). Excusez ce court moment de psychanalyse sauvage ...

Je me demande également d'où vient, depuis trente ans, le succès des ouvrages et du personnage François de Closets. Politiquement, cet homme est atypique, inclassable, même si, à choisir absolument, je le situerai sans hésiter à droite. En même temps, il salue le pacte de compétitivité de François Hollande et trouve "honteux" que la droite n'ait rien fait dans ce domaine-là quand elle était au pouvoir. Je crois que l'engouement de l'opinion pour de Closets vient de là : une contestation tous azimuts, des évidences de bon sens sur lesquelles tout le monde peut s'accorder, des remarques disparates qui peuvent plaire, dans leur diversité, autant à un public de gauche qu'à un public de droite. Ajoutez à ça un sens aigu de la communication, un propos d'une grande clarté sur des sujets habituellement complexes, un ton qui emporte la conviction (mais pas la mienne !) et vous obtenez un début d'explication d'une influence dont le message, aussi contestable soit-il, mérite qu'on s'y intéresse.

Prochain invité, de marque lui aussi, de la librairie Cognet : Michael Lonsdale, le 14 décembre. J'y serai !

1 commentaire:

de gauche a dit…

on tape sur tout ce qui est politique..et ça marche:voyez les scores du FN dans ce genre et aussi celui des humoristes(Canteloup,Gerra entre autres);ce procédé aussi vieux que la politique existe- on compte en siècles- est un gage de succès;alors se dit notre bon de Closets pourquoi m'en priver? et comme ça ne propose strictement rien de réaliste en termes de solutions, on peut ressortir un bouquin tous les 3 ou 4 ans;bref ce n'est que du vent