dimanche 18 novembre 2012

De quoi Hollande est-il le nom ?



On se souvient du petit livre à grand succès d'Alain Badiou en 2008, "De quoi Sarkozy est-il le nom ?" qui rattachait le pouvoir d'alors au pétainisme, de façon évidemment très contestable. Mais Hollande aujourd'hui, après six mois de présidence, de quoi est-il le nom ? A quelle idéologie peut-on le raccrocher ?

Depuis l'adoption du pacte de compétitivité, et à la suite du vote sur le traité budgétaire européen, la messe semble dite : social-libéralisme ! voilà l'expression qui le plus souvent revient. C'est mal dit et c'est faux, pour trois raisons :

1- "Social-libéral" est un terme polémique, utilisé par l'extrême gauche pour disqualifier les socialistes, et contradictoire : le libéralisme est une doctrine économique, pas un projet social.

2- La référence est historiquement inadaptée à la situation française actuelle. Elle renvoie à Tony Blair, qui a dû tourner la page à la fois du travaillisme des années 70, très étatiste, et de l'ultra-libéralisme des années 80 de Margaret Thatcher.

3- Le social-libéralisme à la Blair ou à la Schroeder remet en cause certaines conquêtes sociales. Ce n'est nullement le cas du gouvernement Hollande-Ayrault, qui au contraire les renforce (retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé tôt).

De quoi alors Hollande est-il donc le nom ? D'une social-démocratie à la française répondant aux défis de notre époque. Mais ce nom-là, social-démocrate, est méconnu chez nous, trop souvent associé à un socialisme "mou" dont François Hollande a fait litière durant les primaires citoyennes, quand Martine Aubry, mal lui en a pris, a risqué de l'attaquer sur ce terrain. La social-démocratie de François Hollande, comme toute social-démocratie, repose sur quatre principes :

a- La reconnaissance du marché, et le soutien à ce qui le constitue, c'est-à-dire les entreprises (c'est le pacte de compétitivité).

b- La pratique du compromis, entre les partenaires sociaux. C'est par exemple le contrat de génération, signé autant par le Medef que par la Cgt.

c- L'inscription dans la durée. Fini la théorie mitterrandienne des six premiers mois décisifs : les résultats du gouvernement se jugeront sur ses cinq années.

d- La rupture avec la gauche de la gauche, qui ne participe pas au gouvernement et qui le critique plus qu'elle ne le soutient : comme ça, au moins, c'est clair.

Avec François Hollande et Jean-Marc Ayrault, nous avons pour la première fois dans notre pays et dans l'histoire de la gauche française une expérience social-démocrate. Ce n'est pas que les tentatives n'ont pas existé par le passé, mais elles ont toutes avortées : A Pierre Mendès-France, il a manqué la durée ; à Michel Rocard, le pouvoir (car sous l'autorité d'un François Mitterrand qui n'était pas, lui, social-démocrate).

Laurent Fabius est un faux social-démocrate : dans l'opposition, il tient un discours radical (par exemple anti-européen en 2005) et une fois au pouvoir, il devient moderniste. C'est en fait la tradition opportuniste de Guy Mollet (dure dans le discours, accommodante dans la pratique), que je n'aime pas du tout. Je ne vois qu'un seul gouvernement "social-libéral", celui du fabiusien Pierre Bérégovoy, dont les mesures financières allaient assez dans le sens du libéralisme. Mais c'est l'unique tentation de la gauche française. Lionel Jospin a ébauché une politique social-démocrate, limitée par ses alliances avec la gauche plurielle.

A Saint-Quentin, j'aimerais faire vivre ce courant social-démocrate, face à Anne Ferreira, héritière du poperénisme, et à Jean-Pierre Lançon, initiateur de l'ouverture à l'extrême gauche, opposant frontal à Pierre André et à Xavier Bertrand, défenseur d'un projet municipal radical. Mes deux camarades sont, par choix et par culture, étrangers à la social-démocratie. Lorsque L'Aisne Nouvelle, dans son édition du week-end, demande au secrétaire de section pourquoi il a été aussi faiblement réélu, il a cet incroyable lapsus révélateur : "Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'il y avait une tendance très nette à soutenir François Hollande. Les socialistes sont assez légitimistes". J'ai bien compris : Jean-Pierre ne s'inclut pas parmi les "légitimistes", ceux qui soutiennent complètement François Hollande ! Au moins, ça aussi, c'est clair.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je crois que vous oubliez un point essentiel du hollandisme : la rupture avec la logique keynésienne qui façonnait la pensée économique de la gauche de gouvernement.

Sur ce point précis -et fondamental- le hollandisme sera sans doute analysé dans quelques années comme un tournant majeur.

Emmanuel Mousset a dit…

On fait trop de cas de Keynes, qui après tout n'était pas socialiste mais un libéral modéré. C'est pourquoi l'Amérique a pu sans trop de problème adopter un temps sa théorie. Je crois que sa pensée économique est aujourd'hui dépassée.

Anonyme a dit…

Je ne crois pas. La logique de la gauche de gouvernement a toujours été la relance par la demande.

Fait intéressant on dirait que la gauche s'est dotée d'un réalisme économique, sans doute issu de son expérience de la gestion des collectivités territoriales.

Hélas, vous en conviendrez, en matière économique la frontière est désormais ténue entre la gauche et la droit de gouvernement, ce qui ne manquera pas d'être instrumentalisé par les formations populistes...

Emmanuel Mousset a dit…

Ténue non, beaucoup moins forte qu'il y a trente ans oui. Sur les questions de société par exemple, le clivage est net.