mardi 23 octobre 2012

Monsieur Bry s'en est allé



Monsieur Bry nous a quittés samedi soir, discrètement, comme il a vécu. Avant de quitter la vie, il m'avait annoncé, il y a quinze jours environ, qu'il allait partir de la ville à la fin de cette année, pour rejoindre sa famille du côté de Lille. J'avais déjà commencé à réfléchir à la cérémonie de départ ... Depuis combien de temps connaissais-je ce charmant monsieur ? Je ne sais pas, tellement il s'était installé discrètement dans nos activités associatives, d'abord à Rencontre Citoy'Aisne, puis à la Ligue de l'enseignement, ex-FOL. Une petite dizaine d'années sans doute ...

Il était de presque toutes nos manifestations, en premier lieu les séances de café philo, ami attentif et fidèle, sans ostentation. Du haut de ses 85 ans, je ne l'ai jamais entendu se plaindre de l'existence ou de la vieillesse, chose rare aujourd'hui. D'ailleurs, sa discrétion l'empêchait de parler de lui-même. Mais après toutes ces années de compagnonnage, je savais que cet amateur de musique classique avait été joueur de saxo et appréciait le jazz, que son amour pour les chats l'avait conduit à prendre des responsabilités à la SPA (comme son père). Instituteur de la vieille école, ayant enseigné dans cette Thiérache qu'il aimait tant, Jacques Bry était très attaché aux règles de l'orthographe et au beau langage, ce qui se sentait lorsqu'il prenait la parole. C'est à ce titre qu'il avait proposé de relire et de corriger mon ouvrage "Les Saint-Quentinois sont formidables".

Je ne me serais jamais permis de l'appeler autrement que "Monsieur Bry", même s'il m'est arrivé, par faiblesse ou par inadvertance, de lui dire "Jacques". Le vouvoiement était de rigueur, aussi inflexible qu'une règle de grammaire. Et devant lui, j'étais pour l'éternité "Monsieur Mousset". Sa politesse et sa courtoisie étaient d'un autre âge, sûrement meilleur que le nôtre. Son élégance était un style de vie, une morale personnelle qui lui avaient permis de traverser l'existence : l'imperméable, la veste, la cravate, le chapeau et les chaussures impeccablement cirées constituaient un personnage prêt à affronter les épreuves du temps. La barbe blanche soigneusement taillée le faisait un peu ressembler à Don Alexandro de La Véga, le père de Zorro.

Mais rien de guindé en lui : au contraire, un humour toujours présent, une distance de bon aloi. Un échantillon de l'esprit de Monsieur Bry, lors d'une intervention dans un café philo : "Je me suis rendu compte que j'étais vieux quand les dames m'ont proposé de me laisser leur place dans le bus". Dans la voiture, entre Soissons et Saint-Quentin, quand nous revenions ensemble le soir de la FOL, il nous arrivait de fredonner des chansons. De même, lors des banquets républicains, il était quasiment de tradition que Monsieur Bry pousse la chansonnette au moment du dessert, dans un registre gentiment anticlérical, tout en demeurant très respectueux de la foi.

Nos deux dernières rencontres ont eu lieu dans le cadre du GAP (groupement associatif de pays, dont la photo dans L'Aisne Nouvelle montre Monsieur Bry) et pour ma conférence-débat sur L'audace à la bibliothèque municipale de Saint-Quentin (en vignette). C'était un laïque, un républicain et un militant, que le poids des années n'avait absolument pas arrêté. Il était enfin un lecteur assidu de ce blog, depuis sa création. Récemment, il m'avait confié avec malice qu'il était l'auteur de nombreux commentaires, pendant de longues années, sous le pseudonyme de "Lormont". J'ai été surpris sans l'être vraiment, tellement ce mystérieux et bienveillant correspondant était en osmose avec mes écrits. Ce billet d'aujourd'hui, je l'ai rédigé comme il aurait aimé le lire. Je lui devais bien ça. Nous rendrons un dernier hommage à Monsieur Bry ce jeudi, à partir de 13h45, au funérarium quai du vieux Port, 1 rampe Saint-Prix à Saint-Quentin.

1 commentaire:

Martine a dit…

Quel bel hommage ! c'est exactement ce que je ressent mais sans savoir le dire - merci Emmanuel d’avoir transcrit un message si réel et respectueux pour ce charmant avec qui j'avais aussi discuté après ta conférence et qui a eu cette phrase qu'il m'a dite et qui me fait froid dans le dos aujourd'hui : "c'est la dernière fois que vous me voyez" en parlant de son proche déménagement - prémonitoire non ?