vendredi 29 juin 2012

Le diable blanc



Debut aujourd'hui des epreuves orales du bac, qui m'ont fait retourner a Balbala. La moitie de Djibouti connaissant l'autre moitie, directement ou indirectement, les liens familiaux, amicaux et tribaux etant ce qu'ils sont, l'administration ne peut confier l'oral de philo qu'aux profs francais, pour preserver l'anonymat de l'epreuve. Nous avons ete accompagnes dans nos travaux par des collegues djiboutiens en formation.

Un probleme s'est d'emblee pose a nos consciences : la laicite a la francaise n'a pas cours dans ce pays, ou l'on peut trouver un tapis de priere dans un coin de la salle des profs, ou certains collegues se prosternent rituellement au sein meme de l'etablissement. Que faire si une candidate se presente a nous sous un voile integral qui ne montre que les yeux et laisse difficilement passer la voix ? La consigne est simple : elle doit aller se faire identifier au secretariat, aupres bien sur d'une femme. Pas de probleme : la carte d'identite montre une photo ou le visage est a decouvert. Cette formalite s'effectue de bon gre. Il n'y a que mes principes laiques qui pourraient s'en trouver froisses, mais je ne suis pas ici en Republique francaise.

Autre recommandation : ne pas tenir rigueur aux candidats de leur eventuel tutoiement a l'examinateur, qui fait partie de la langue et de la culture, aucunement un manque de respect ou une familiarite deplacee.

La journee s'est fort bien passee, sans probleme ni incident. Certes, la chaleur de l'apres-midi est particulierement severe, les mouches nombreuses et hargneuses. Les ventilateurs faisaient frequemment s'envoler mes feuilles, leur ronflement n'aidant pas non plus pas a la concentration. La mosquee tout a cote du lycee diffusait un preche disgracieux a entendre, un peu braillard, tres different de la priere habituellement chantee (c'est que le vendredi est jour ferie et que les musulmans y ont droit a un sermon comme les chretiens le dimanche a la messe). Mais tous ces inconvenients sont peu de choses par rapport au plaisir que j'eprouve a voir et a entendre de jeunes Djiboutiens philosopher de la meme facon que de jeunes Picards, de jeunes Parisiens ou de jeunes Berrichons. Cette universalite de la pensee au travail est rejouissante a constater.

Il y a un autre phenomene qui est universel, moins drole celui-la : c'est la crainte, le stress des candidats devant un professeur, c'est-a-dire quelqu'un qui a le pouvoir de les faire reussir ou de les faire echouer. D'autant lorsqu'il s'agit de professeurs francais, reputes severes et incorruptibles. J'ai beau faire tout mon possible pour rassurer les eleves, les mettre en confiance, dedramatiser la situation, la crainte disparait difficilement. J'en suis gene, tout comme en France, a soumettre des jeunes a la torture philosophique, les obligeant a m'expliquer des textes ardus, meme les plus simples. Quel metier, si beau pour l'enseignant et si terrible pour le candidat au bac ! J'en vois qui tremblent, d'autres qui se retiennent de pleurer (attention, ce n'est pas non plus une generalite).

Je suis le diable blanc, l'homme qui ne prie pas au pays de la priere publique, l'homme qui fait peur aux jeunes candidats.

3 commentaires:

Ane-Vert a dit…

Excuse moi rien à voir avec ton billet très intéressant. Juste une autre question : le train de Djibouti à Addis-Abeba fonctionne-t-il encore ?
Nous ramèneras-tu des photos de la gare et des trains ? Si le train fonctionne encore prend-t-il des voyageurs ? Prix, horaires seraient les bienvenus. Et oublie tout ça si c'est compliqué ou que tu n'as le temps ni l'intérêt pour la chose.

Emmanuel Mousset a dit…

Tout ici me semble complique, meme quand ca pourrait etre simple. Je crois savoir qu'il y a une gare, donc en toute logique des rails et des trains. Je vais tenter de me preoccuper de cette petite mission dans le temps assez court, quatre jours, qui me reste.

Anonyme a dit…

Le train ne marche plus depuis quelques temps. Par contre, les usagers prennent la route à bord de bus ou pick up privés qui assurent la navette jusqu'à Dire dawa (éthiopie). C'est vraiment dommage que la mythique voie ferrée Djibouti-Addis Abeba soit à l'abandon.