samedi 23 juin 2012

Aventures en centre ville



Pour bien connaitre une ville ou un pays, il faut voyager seul et a pieds. En groupe, on devient inevitablement touriste, on ne s'integre pas a l'environnement. Jusqu'a present, a Djibouti, j'allais du Sheraton au lycee et reciproquement, avec quelques incursions en ville avec les collegues pour prendre un verre, guides par nos amis djiboutiens. J'ai profite du jour de la fete de la musique pour me deplacer par mes propres moyens, en solo, sans destination precise, a l'aventure.

Il m'a fallu vingt minutes pour rejoindre le centre ville. Je suis arrive bien sur trempe de sueur, meme si c'etait la fin de l'apres-midi et qu'on ne voyait plus le soleil. Djibouti n'est pas une ville a touristes ; on n'y trouve donc pas les points de repere habituels de tout Francais en dehors de son pays natal. Il faut prendre soi-meme ses marques, s'orienter. Les blancs sont rares (en tout cas dans les rues du centre ville). La plupart du temps, dans la plupart des endroits, j'etais le seul blanc, ce qui est une curieuse experience a vivre.

Dans l'esprit des Djiboutiens comme ailleurs en Afrique et dans bien des coins pauvres du monde, blanc egale riche, blanc egale peut-etre americain c'est-a-dire tres riche. Et un riche dans un pays pauvre est une opportunite, parfois une proie. Or, je ne suis ni riche, ni americain mais seulement enseignant francais en mission tres temporaire. Il faut donc que je fasse comprendre que je ne suis ni une opportunite, ni une proie.

Ma libre promenade avait tout de meme un but : m'acheter un chapeau, car le couvre-chef en turban dont je vous ai parle il y a quelques jours est un peu trop folklo. J'ai fait deux magasins, a chaque fois assailli par des vendeurs insistant enormement : 6 000 francs djiboutiens, voila ce qu'on m'a proposes ! Mon probleme culturel : je ne sais pas marchander. Meme dans une brocante a Saint-Quentin, je ne discute jamais le prix, je prends celui qu'on me donne. Mais chez nous, le marchandage est un amusement ponctuel sans grand profit ni forte perte. Ici, c'est un trait de civilisation, un comportement social, une forme de convivialite et une necessite economique. Malheur a celui qui ne s'y adonne pas : il sera meprise !

En plus, j'ai beaucoup de mal avec la conversion des monnaies et le calcul mental. 6 000 pour un chapeau pourri, ca me semblait enorme. Mon etalon de mesure {chacun se debrouille comme il peut), c'est le prix d'une course en taxi, de cinq minutes, qui revient invariablement a 500 francs. Je ne veux paraitre pingre ni pigeon, et le moyen terme n'est pas facile a trouver. Je suis reparti avec sur la tete un chapeau a 2 000 francs. Je vous laisse le soin de convertir en euros ...

Sur la place centrale, un quidam, visage avenant, souriant, vient vers moi et me sourit comme s'il me connaissait ! Il me connait, il me croise souvent, c'est un gardien de l'hotel. Pour moi, par sympathie et parce que les Djiboutiens sont "tres gentils", il me propose une "affaire" : des epices tres bon marche vendues par sa mere. Ca tombe bien, quelqu'un en France m'a demande de lui ramener des epices. Sauf que ca tourne mal : je suis le type dans un dedale de rues qui ne conduisent pas a sa mere mais a un vendeur a la sauvette qui m'expose tout un tas de sachets. Tant pis pour la convivialite, je n'ai pas confiance, je sens non pas les epices mais le coup fourre. Le gardien du Sheraton se fait pressant puis joue la pitie : il a un enfant a nourrir et a besoin d'acheter du lait. Tant pis pour la morale chretienne aussi bien que musulmane de la compassion, je me barre courtoisement.

Je passe devant un orchestre sur scene qui se prepare a celebrer les trente ans de la fete de la musique. La chanteuse est blanche, blonde, en bottines et surtout en mini-jupe ultra-courte. Elle fait bien sur sensation, on ne voit que ses cuisses. C'est comme si elle etait nue, dans un pays ou ne montrer ne serait ce que ses cheveux est une forme d'exhibition (dans les dissertations des eleves revient souvent l'image, pour nous etonnante, des Occidentaux chretiens, libertins et laxistes, se promenant ... nus).

A mon retour, je raconte a mes collegues mes "aventures" au centre ville. Un habitue me dit que le coup du gardien d'hotel qui veut aider un blanc est connu : en fait, il n'y a ni gardien, ni aide, seulement quelqu'un qui fait semblant pour mieux vendre ses produits. Tout cela a beau etre irritant, ce n'est pas bien mechant : il y a ruse mais il n'y a pas vol. Surtout, peut-on reprocher a certains habitants d'un pays pauvre (par rapport au notre) d'utiliser tous les moyens pour gagner un peu d'argent ? Je ne le crois pas. C'est a moi d'accepter les moeurs du pays, d'etre raisonnablement prudent et pertinemment genereux.

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