vendredi 8 juin 2012

Michel ce héros



C'était hier à Vervins les obsèques de Michel Lefèvre, une semaine après le terrible choc. L'église n'était pas assez grande pour recevoir tous ses amis. De cette émouvante cérémonie, j'ai retenu le célèbre discours de Martin Luther King, "J'ai fait un rêve". Le moment le plus poignant pour moi : le "Ne me quitte pas" de Jacques Brel s'élevant dans la nef. Michel nous a quittés ... Mais les chansons de Jean Ferrat redonnaient espoir : l'amour est toujours plus fort que la mort. Et l'amour de Marie-Françoise, l'épouse de Michel, était grand pour celui qu'elle appelait "mon héros" !

Quand je me suis approché du corps pour la bénédiction, j'ai fait à Marie-Françoise, de la main et du regard, un signe de complicité, surpris de la voir comme d'habitude si belle, si digne, faisant face au malheur avec beaucoup de tenue. Michel aurait aimé voir ça, aurait été très fier d'elle. Ce qui m'a frappé, c'est sa veste blanche, pure, lumineuse, comme un défi à la mort. S'habiller de noir, c'est accepter le destin, concéder au drame. Michel était du côté de la vie, il n'aurait pas aimé les airs et les vêtements sombres.

Pendant la célébration où se sont faits entendre, étrangement, les noms de Jésus-Christ et de Robespierre, il y a eu un moment magique, presque surnaturel, que j'ai peut-être été le seul à percevoir : non pas un choeur d'anges mais mieux que ça, des cris et des rires d'enfants venant de la cour de récréation de l'école voisine. Cette chorale-là, pourtant involontaire, était plus belle encore que celle de l'église, elle rendait un hommage très juste à Michel Lefèvre.

De lui, je pourrais aussi vous dire qu'il était un laïque non sectaire et un socialiste ouvert, qu'il m'épatait en tant que militant politique de terrain, capable de se faire élire puis réélire dès le premier tour dans un canton de droite ! Mais ce sont des souvenirs plus personnels qui me viennent à l'esprit, qui peuvent paraître dérisoires, qui ne le sont pas pour moi : par exemple ses chemises impeccablement repassées, ce soin qu'il tenait à être toujours très présentable, et puis ce dessert qu'il m'a fait connaître, que je me suis mis à mon tour à apprécier, que je commande désormais systématiquement au restaurant : le Colonel, un mélange délicieux de glace citron et de vodka. Pour Michel, les plaisirs de la vie passaient par la table.

En 2004, il m'a proposé de lui succéder à la tête de la FOL, Fédération des oeuvres laïques de l'Aisne, et pendant huit ans, à chaque renouvellement de présidence, il m'a accordé sa confiance. J'ai vécu avec lui quelque chose de très rare dans la vie associative : pas une seule dispute, pas une seule ombre entre nous, alors que les problèmes de gestion de cette lourde structure n'étaient pas minces. Nous étions pourtant, sous bien des aspects, très différents l'un de l'autre. Mais j'ai appris avec lui, sans qu'il m'en fasse la leçon, d'une façon naturelle et spontanée, que lorsque la différence est vécue dans la complémentarité, on peut faire énormément de choses, on peut aller très loin ensemble.

Michel n'était pas mon héros mais tout de même une sorte de modèle. Je retiendrai ce congrès de la Ligue de l'enseignement, à Toulouse, il y a deux ans, où nous étions tous les deux allés, où nous avions passé de bons et simples moments. Notre relation allait de soi, sans ostentation. Il y avait entre nous une estime mutuelle, peut-être une admiration réciproque. Rien de tout cela n'est mort. Il y a une mémoire qui se poursuit, une inspiration qui continue. Nous pouvons quitter ce monde, nos actes n'en finissent pas moins de témoigner pour nous. Jacques Brel peut cesser de supplier, Michel Lefèvre ne nous a pas quittés.

En vignette, Michel en 2005 à Saint-Quentin, où nous avions fêté dans le palais de Fervaques le centenaire de la loi de séparation des églises et de l'Etat.

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