mardi 26 juin 2012

Un printemps djiboutien ?



Que sait-on de la realite politique d'un pays quand on ne fait qu'y sejourner trois bonnes semaines ? On a beau regarder, observer, ecouter, on ne comprend pas grand chose. Lorsque les Francais allaient nombreux passer leurs vacances en Espagne dans les annees 60, avaient-ils la conscience physique de vivre temporairement dans une dictature ? C'est la question que je me pose en ce moment : Djibouti est officiellement une republique, tres attachee a la France democratique (nos elections presidentielles ont ete passionnement suivies). Mais quelle est la nature reelle du regime ?

Pour repondre a cette question, regarder autour de soi ne suffit pas, il faut discuter. C'est ce que j'ai fait hier soir, au bar du Sheraton, avec un Francais qui connait depuis longtemps Djibouti, qui s'exprime librement sur le sujet. Pour lui, c'est un Etat policier, une petite dictature, un baril de poudre qui pourrait bien un jour vivre son printemps djiboutien, comme il y a eu au nord de l'Afrique des printemps arabes. Chomage, misere, des milliers d'etudiants qui sortent de l'universite de Djibouti en s'inquietant pour leur avenir : voila quelques elements qui pourraient, dans certaines circonstances, s'averer detonnants.

A ces facteurs objectifs s'ajoute une donnee subjective : la culture djiboutienne est sympathique, conviviale, joyeuse, comme beaucoup de mentalites africaines, mais il y a aussi une violence rentree en elle, une vivacite du regard, du geste, de la parole qui peut rapidement se transformer en colere. On n'imagine pas un Picard declencher aujourd'hui une emeute populaire, meme si chez nous il y aurait parfois de quoi. Mais l'etat d'esprit ne s'y prete pas trop et les conditions ne sont pas tout a fait requises. Ici oui.

En meme temps, d'autres facteurs rendent incertain un soulevement contre le regime. D'abord, la presence de milliers de militaires etrangers dans trois bases, francaise, americaine et allemande, et une troisieme, japonaise, en construction. Quand la force revient visiblement a l'armee, les velleites de revolte sont vite dissuadees. Djibouti est une plate-forme geo-stategique trop importante (au carrefour de l'Asie, de l'Afrique et de l'Occident) pour que les grandes puissances y tolerent des troubles.

Surtout, il y a la memoire djiboutienne, fortement affectee par la guerre civile de 1990. Un peuple en lutte contre lui-meme, c'est ce qu'une nation peut subir de plus terrible, apres l'invasion par une force etrangere. La France n'a pas souffert depuis longtemps d'une guerre civile. Nous avons connu la revolution (1789), la reforme (1936) et la revolte {1968), la guerre et l'occupation partielle ou totale. Notre guerre civile tragique, c'est la Commune de Paris en 1871. Le continent africain, lui, est meurtri constamment par la guerre civile. Par comparaison avec ce qui se passe ailleurs, notamment la Somalie voisine, Djibouti est un ilot de paix qui compte bien le rester. C'est pourquoi je pense qu'un eventuel printemps djiboutien n'est pas pour demain, ni pour les printemps prochains ...

Aucun commentaire: