vendredi 6 septembre 2013

L'inconscient d'un socialiste



J'ai un problème personnel avec Christiane Taubira (mais elle ne le sait pas). Pourtant, politiquement, on s'entend bien, et même très bien : je suis complètement d'accord avec sa politique pénale, elle aborde courageusement de délicates questions de société, elle affronte la droite, au Parlement, avec pugnacité et efficacité. Surtout, elle a réussi à se faire un nom et un visage au sein du gouvernement, elle est devenue à gauche l'une des ministres les plus populaires. J'applaudis à tout ça, je suis plus que satisfait. Alors, quel est mon problème avec Christiane Taubira ?

C'est bête à avouer, mais je vous dis tout : une question d'image, rien qu'une question d'image. Je n'aime pas, je ne supporte pas sa personnalité, du moins ce qu'elle en donne à voir à travers les médias. Hier soir, j'ai regardé "Des paroles et des actes", où elle était invitée. L'émission a le mérite de durer suffisamment longtemps pour tester, éprouver un personnage politique, le dévoiler dans toute sa vérité, sous toutes ses facettes, sans fard. Verdict, selon moi : une Taubira humainement insupportable (mais politiquement irréprochable).

On ne sait pas toujours pourquoi on n'aime pas quelqu'un : sa façon d'être, le timbre de sa voix, des mimiques, des regards, quelque chose qui ne vous revient pas, il y a un peu de tout ça, et beaucoup d'irrationnel. Mais aussi quelques éléments objectifs, que je voudrais vous faire partager. D'abord, elle ne jouait pas le jeu des questions, qu'elle reprochait sans cesse aux journalistes. Pour moi, une femme ou un homme publics doivent se plier de bonne grâce à cet exercice, qui est le minimum médiatique et démocratique attendu. Eh bien non, Christiane Taubira s'est montrée désagréable, irritante, exaspérante, de ce fait pas toujours convaincante (alors que je suis d'accord avec ses prises de position, ce qui est vraiment un comble !). Elle pinaillait sur un mot, elle contestait une tournure de phrase, elle donnait l'impression de se fixer sur la forme et parfois de ne pas aborder le fond.

Ensuite, Christiane Taubira a eu souvent cette tactique, volontaire ou pas, de ne pas entrer dans le débat, argument contre argument, mais de disqualifier le propos de l'interlocuteur en affirmant qu'elle ne le comprenait pas. Un affrontement politique n'a de sens et d'intérêt que si on reconnait les positions de l'adversaire, qu'on les identifie précisément et qu'on les combat, y compris violemment. Mais là, hier soir, on passait à côté, puisque l'adversaire était d'emblée discrédité, négligé dans sa parole, renvoyé au néant. On ne se bat pas contre le néant.

J'ai senti, à plusieurs reprises, des pointes, je dis bien des pointes d'arrogance, de mépris, de suffisance chez la ministre. Elle semblait dire : vous n'y connaissez rien, je suis la seule compétente, circulez y'a rien à voir. Ce ne sont pas, selon moi, des façons de faire. En tout cas, elles ne me plaisent pas. La pratique de l'ironie est admissible en politique, mais elle est toute en finesse. Chez Taubira, ce n'était pas ça du tout, seulement une indifférence pleine de superbe et d'un peu de morgue. Non, je n'ai vraiment pas aimé, même s'il y a eu de bons moments, je pense en particulier à ses phrases de conclusion, où elle a été d'un lyrisme très digne, à la hauteur de sa fonction.

Et puis, Christiane Taubira a eu des sautes d'humeur, elle élevait la voix, ce qui est déplaisant à entendre. En même temps, elle jetait des regards très noirs, avec quelque chose de furieux dans les yeux qui faisait un peu peur. Je suis sûr que certains téléspectateurs ont apprécié cette gouaille, cette franchise. Pas moi, parce que ne la sens pas vraie : la ministre faisait se succéder, brutalement, des accès de colère et de larges sourires très avenants, à tel point que je me suis demandé où était sa sincérité, dans ses colères ou dans ses sourires ? Peut-être ni dans les unes, ni dans les autres, ces réactions opposées étant largement feintes (je l'ai ressenti comme ça).

Quelle idée aussi de porter une veste rose vif (oui, même ses vêtements ne me convenaient pas !) ? On aurait dit qu'elle était déguisée en bonbon, j'ai l'impression que c'est un truc pour se faire remarquer. Je ne suis pas spécialiste de l'élégance, mais j'ai quelques notions. Ce qui manque à Christiane Taubira pour que je puisse apprécier son personnage, c'est la retenue, la distance. En fait, elle représente fort bien un type d'homme politique ou public très populaire en France : la grande gueule, fière de l'être et en abusant largement, impressionnant son monde avec ça. Quand j'y réfléchis, mon problème n'est pas spécifiquement avec elle, Christiane Taubira, mais avec ce type, ce profil politique, la grande gueule, auquel je n'ai jamais adhéré.

Ca vient de loin, c'est ancien. Adolescent, dans les années 70, il y avait à gauche deux figures emblématiques, totalement opposées : Marchais le gueulard et Mitterrand le séducteur. J'avais des copains qui s'emballaient pour Georges Marchais : son franc-parler, ses yeux qui roulaient dans tous les sens, sa bouche qui donnait l'impression qu'elle allait mordre, ses attaques contre les journalistes (déjà !). Même ses fautes de français étaient mises à son crédit : une grande gueule ne fait pas dans le détail, est au dessus des finasseries du langage. Ca rendait le grand chef communiste sympathique et populaire ... sauf chez moi. Au contraire, cette façon de se comporter me révulsait. Le côté vulgarité joviale, démago, populiste comme on ne disait pas encore, très peu pour moi ... En revanche, j'étais fasciné par François Mitterrand, un homme de marbre, beaucoup de style, de culture, de maîtrise de soi, pratiquant un langage impeccable. Je croyais alors, et je crois encore qu'à tout niveau, ce sont des qualités indispensables à l'homme public. Mitterrand, c'était la classe, la séduction : même quand il disait quelque chose que je ne partageais pas, sa façon d'être et de le dire me mettaient d'accord avec lui, malgré moi !

Par la suite, toutes les grandes gueules m'ont fait horreur, Bernard Tapie en premier lieu (dont Christiane Taubira a été très proche à un moment donné). Mauroy, Rocard, Delors, Jospin, DSK, tous les hommes politiques que j'ai admirés étaient le contraire de grandes gueules, mais des calmes, sans excès de langage. Des lyriques, oui parfois, quand il le fallait, mais pas des gueulards. Bien sûr, je n'identifie pas complètement Christiane Taubira à Georges Marchais ou à Bernard Tapie, elle en fait tout de même moins qu'eux dans le genre, mais son personnage tire plus de ce côté-là que du côté de Mitterrand, Delors ou Badinter. Mais je répète que mon problème est strictement personnel, puisque politiquement je ne trouve rien à redire. Au fond, Taubira ne me séduit pas : tout mon drame (pas bien grave) est là.

Mais puisque je vous dis tout, je suis bien obligé de vous livrer un dernier élément, qui est peut-être à la racine de mon étrange désamour (généralement, on aime bien les gens qui ont les mêmes idées que vous) et qu'il faut aller chercher dans l'inconscient, l'inconscient du socialiste que je suis. Il parait que la politique consiste à avaler des couleuvres. J'en vois même autour de moi qui avalent des boas et sont contents. Moi, je ne peux pas : un simple haricot vert mal cuit et filandreux, ça ne passe pas, je dégurgite. Dans mon inconscient, quelque chose n'est jamais passé, ne passera jamais (appelez ça de la rancune ou de la fidélité, comme vous voudrez) : 2002, l'incroyable, terrible, injuste, cruelle défaite de Lionel Jospin, à cause de qui, de quoi ? De plein de facteurs, évidemment, dont la division de la gauche, les candidatures sauvages de partis politiques appartenant pourtant au gouvernement de Jospin, dont une inconnue, qui s'est fait connaître à ce moment-là, Christiane Taubira, radical de gauche. Elle est née à la politique de ce crime, dont bien sûr elle est très loin d'être entièrement responsable. Mais elle y a participé. Ma raison a beau se dire que c'est passé, que ça n'explique pas tout, la chose me reste en travers la gorge. A chaque fois que je vois Taubira, je crois que mon inconscient se met aussitôt à parler.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Au foot , il y a des vedettes ; mais est ce normal d'avoir des vedettes , enfin une vedette dans un gouvernement ?? On ne voit ça qu' en FRANCE , je vous l'accorde et c'est malaise ...

Emmanuel Mousset a dit…

Non, je trouve normal que des ministres se détachent du lot et deviennent populaires. C'est même plutôt bien.

Anonyme a dit…

Elle a simplement un temperament typique des femmes de Guadeloupe, du caractere, des convictions, le gout des couleurs.
elle est tres intelligente, elle se bat, elle prefere l'action aux discussions interminables, c est une femme admirable que j aimerai beaucoup rencontrer et dont j'apprécie les differences et le parcours.
elle est percutante mais vise juste sans jamais tomber dans le populisme.
Vive les femmes en politique !

Emmanuel Mousset a dit…

Comme quoi les perceptions peuvent être différentes ...

Anonyme a dit…

Comme quoi sur le net on dit du n'importe et c'est relayé sans une ombre d'hésitation soit :

Christiane Taubira, née le 2 février 1952 à Cayenne (Guyane)

a moins que la GUADELOUPE soit aussi la GUYANE ... Tout change ....

Doscwave a dit…

Pourtant personnellement je trouve que Christiane Taubira à bien plus de Mitterrand que de Tapie en elle. Du mois l'intelligence rhétorique et le verbe, non je pense que votre avis n'est pas objectif et teinté de rancune pour 2002. Mais il est bon de rappeler que ce terrible épisode n'est due qu'à l'arrogance de Lionel Jospin qui s'est vu trop beau et qui a pensé pouvoir y aller seul sans ses alliés... .