samedi 13 mai 2017

Arrogance, mépris et humilité



Entre les deux tours de l'élection présidentielle, juste avant le débat Macron-Le Pen, une intervention a retenu mon attention. C'était lors de l'émission de LCI animée le soir par Yves Calvi. Une dame faisait partie des invités. J'ai oublié son nom et sa fonction. Journaliste, politologue, communicante ... je ne sais plus. En tout cas, c'était une commentatrice. A propos d'Emmanuel Macron, elle a eu ce propos, que j'ai tout de suite noté tant il m'a étonné : "Il ne faut pas qu'il se montre arrogant, voire méprisant. Il doit faire preuve d'humilité".

Pourquoi ce conseil, plein de bonne intention, m'a-t-il surpris ? Depuis quelques années, les termes d'arrogance, de mépris et d'humilité sont souvent utilisés dans la rhétorique politique (qui a aussi tendance à influencer le langage commun, je l'ai constaté). Non, ce n'est pas leur usage qui m'a interloqué, c'est leur application à Macron. On peut lui reprocher beaucoup de choses, d'être trop libéral, trop riche, trop technocrate ou pas assez de gauche : cela au moins se discute. Mais le dépeindre en personnage "arrogant, voire méprisant", manquant d'"humilité", non, là quelque chose ne va pas. Macron donne plutôt l'impression d'un type gentil, n'hésitant pas à aller vers les autres et attentif à ce qu'on lui dit. Pourquoi alors cette dame, à la télévision, craignait-elle, chez celui qui n'était pas encore président de la République, des sentiments aussi étrangers et même contraires à sa personnalité, lui qui prêche l'ouverture et la bienveillance ?

Le reproche n'était pas gratuit (la dame n'était d'ailleurs pas hostile au candidat). Elle s'est expliquée, et c'est là où j'ai été halluciné. Voici rapporté, aussi fidèlement que possible, son raisonnement : face à Le Pen, il ne faut pas que Macron apparaisse comme le plus intelligent (l'arrogance). Sinon, il va se poser en supérieur (le mépris), et les gens ne vont pas s'y reconnaître. Il ne faut surtout pas qu'Emmanuel Macron adopte un ton professoral (sic), les électeurs n'aiment pas ça (l'humilité).

J'ai été à la fois stupéfait et éclairé par cette explication. Eclairé parce que la dame en question emploie les mots selon des définitions très particulières, inhabituelles, que je peux résumer ainsi : arrogance = intelligence, mépris = supériorité, humilité = stupidité. Hallucinant, je vous dis ! Face à Le Pen, pour flatter l'ego du public, la commentatrice demandait à l'homme politique d'en rabattre avec son intelligence, de renoncer à son autorité et de tenir des paroles faciles ! Je me demande ce que cette personne aura pensé du débat, et si ses souhaits ont été satisfaits (ce que je ne crois pas, sinon par Le Pen, avec le résultat qu'on sait).

En même temps, je me dis que ce détournement de langage, cette sorte de novlangue sont aujourd'hui répandus dans les médias et autour de nous. Arrogance et mépris sont des vices que condamne la morale commune. L'humilité est une vertu essentiellement chrétienne (à la différence de la modestie). On voit bien que tous ces termes sont inappropriés dans le contexte politique. De Gaulle et Mitterrand avaient un style grand seigneur ; nul n'aurait songé à leur reprocher arrogance ou mépris, et les obliger à l'humilité aurait fait éclater de rire, à leur époque. Aujourd'hui, on ne rit plus.

Mais le plus stupéfiant est encore ailleurs. Pendant longtemps, le professeur, l'intellectuel, le savant (Le Pen distord le langage, elle invective le "sachant") bénéficiaient d'une excellente image. De Gaulle était réputé pour le choix de ses hauts fonctionnaires, Mitterrand avait instauré en 1981 la République des professeurs. Si on remonte plus loin dans notre histoire, on constate que droite et gauche mettaient en avant, avec fierté, leurs intellectuels. C'est mal vu aujourd'hui. L'admiration (qu'on porte à tout être qui dispose d'une quelconque supériorité) est le sentiment le moins bien partagé dans la société actuelle.

Politiquement, cette évolution des esprits est dommageable à la République. Ce régime repose initialement sur le culte de la Raison, du citoyen éclairé, apte à délibérer, à faire des choix réfléchis. J'ai bien conscience que ce principe n'a jamais cessé d'être un idéal, et que les individus sont plus mus par les passions, les égoïsmes que par les arguments. Malgré tout, la République affichait fièrement ce repère et nous encourageait à s'en rapprocher autant que possible, même rien qu'un peu. Aujourd'hui, c'est terminé.

A mon tour de reprendre à mon compte les mots de la dame de LCI : la véritable arrogance est celle de l'individu narcissique de la société contemporaine. Sa fausse humilité, c'est de ramener tout à lui-même, d'abaisser tout le reste, de mépriser toute forme de supériorité pour ne jamais être remis en question par autrui. A chacun ses raisons, à chacun ses définitions. Mais le dénouement de l'élection présidentielle laisse à espérer.

13 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Laisse agir ton mentor, après on pourra établir un jugement sur une éventuelle supériorité légitime ou non de sa part, pour l'instant Macron est une image que l'on nous a vendu. Il aura une réalité avec les répercussions de sa politique sur les Français. Et non, on ne peut pas dire selon moi, que les classes moyennes sont la cause de tous les maux et de la distorsion du langage. La classe moyenne a une dignité et un sens de la mesure que le élites pipolisées n'ont plus. Quant à la prestation de Madame Le Pen, elle a eu le mérite de rendre parfois très drôle un débat qui normalement est très ennuyeux, sa prestation fut trop avant-gardiste et surréaliste pour être comprise immédiatement. Peut-être qu'en visionnant à nouveau la séquence d'ici 3 ou 4 ans, les gens diront devant leur écran : "finalement elle n'était pas si sotte que ça !"
Mais en réalité je n'en sais rien, je n'ai aucune certitude, mais l'on ne peut pas blâmer les gens d'être rétif à un esprit de manipulation de moins en moins discret de la part du pouvoir, que toi tu légitimes constamment par la supériorité supposée de ceux qui nous manipulent au nom de leur intelligence qui serait supérieure à la nôtre, donc admirable. En réalité l'intelligence est juste une puissance de calcul supérieure, elle ne rend pas meilleur ni plus humain.
Je me souviens que tu as cette volonté de fer depuis Maastricht, référendum pour lequel tu me poussas à voter, et pour lequel je votai "oui" à Maastricht. On en voit aujourd'hui effectivement les conséquences de dire oui à ce que des gens plus intelligents que nous ont décidé pour nous, "pour notre bien, car ils sont le bien."
En réalité ils ne sont pas le bien, ils ont juste une puissance de calcul supérieure, et je ne suis pas sûr qu'ils agissent pour l'intérêt commun, mais bien plutôt pour le leur propre, qui consiste en leur propre enrichissement personnel et sans limite.
Comment expliquer une telle perversion du système ? Tout simplement par la chute des religions et des grandes idéologies collectives, qui mettaient de l'humanité, du cœur et de l'espérance comme conditions de possibilité d'épanouissement et d'accès éventuellement comme une cerise sur le gâteau, à l'intelligence ; mais dans leur grande sagesse, elles ne faisaient pas de l'intelligence, c'est-à-dire d'une puissance supérieure de calcul, le but suprême de la vie... à la différence de l'idéologie libérale qui préconise des acteurs rentables, c'est-à-dire dotés d'une puissance raisonnable de calcul.
Tout cela est désormais remplacé par un individualisme implacable et mortifère, qui fait de chacun l'ennemi de son voisin, au nom du calcul. Là oui on peut parler d'un narcissisme de chacun, auquel d'ailleurs n'échappe pas Macron. Là oui on pourrait dire qu'avant de vouloir changer le monde, il faudrait d'abord commencer par se remettre en question soi-même, mais n'est-il pas trop tard ?
La machine que constitue notre civilisation semble être prise par un emballement qui échappe à tout contrôle, nous menant droit à l'abîme, sans possibilité de la stopper avant l'instant fatal.

Anonyme a dit…

Macron et ses équipes sont dans le complet virtuel , et n'ayant pas modélisé , ni simulé les situations , qui en plus sont évolutives ; il vont se retrouver avec une cascade de problémes à résoudre formant un goulot d'étranglement dans leur programme général ....

Emmanuel Mousset a dit…

1- Oui, je t'avais conseillé dans ton vote pour Maastricht. Je ne le regrette pas. J'ai toujours dit oui à l'Europe. Tu sais quelles étaient mes conditions de vie à l'époque. Je n'avais aucune idée de ce que serait la suite, et aujourd'hui. Tout ça pour te dire que les votes pour Macron, les votes pour l'Europe ne sont pas ce que tu crois. Tu surjoues une lutte des classes qui ne recoupe pas la réalité.

2- Ne vous inquiétez pas pour Macron et ses équipes ...

Erwan Blesbois a dit…

Le coût du travail est tout simplement trop élevé dans les pays développés occidentaux selon la doxa libérale, et nous sommes concurrencés par des pays émergents où le coût du travail est bien plus bas : d'où cette fameuse expression de "concurrence déloyale" qui n'est pas tout à fait stupide.
C'est vrai que dans un environnement mondial de libéralisation de l'économie, l'adaptation préconisée est le nivellement par le bas des droits des travailleurs. C'est en réalité l'environnement mondial qu'il faudrait changer : il s'agirait de changer les règles du jeu économiques à l'échelle européenne, puis mondiale.
Pour lutter contre la concurrence déloyale des pays émergents, plutôt que de se protéger et de se replier sur la nation, on devrait agir dans le cadre d'une coopération internationale pour valoriser les droits sociaux des travailleurs de ces pays, donc augmenter en fait le coût du travail dans tous les pays du monde : car les droits sociaux, c'est-à-dire le coût du travail, sont une richesse et non une entrave à l'innovation et à la libre entreprise, malgré les idées reçues.
Mais le monde, et le projet européen tel qu'il fut conçu et continue à se construire, vont dans l'autre direction : l'alignement vers le bas des droits des travailleurs des pays développés sur les pays émergents. Un nivellement par le bas, un genre d'"esclavage" généralisé pour les populations au service de l'oligarchie, alors que le projet des lumières réellement progressiste visait l'émancipation du genre humain.
L'abandon progressif des droits sociaux et du droit du travail programmé par Macron dans son projet d'assouplissement des règles, qui n'est peut-être qu'un euphémisme pour désigner une destruction méthodique, s'accompagne en outre d'une baisse des exigences scolaires, faute de moyens, et même d'un modèle scolaire à deux vitesses : l'éducation des privilégiés dans les beaux quartiers des centres urbains boboïsés, et le reste du territoire...
Le constat du monde tel qu'il se construit sous couvert d'idéologie libérale, est très loin du projet d'émancipation des lumières. C'est un fait que toute personne qui fait l'effort de réfléchir un peu et d'observer son environnement ne peut pas réfuter, sauf à faire preuve de dogmatisme ou d'hypocrisie ou encore de cynisme ou d'égoïsme.

D C a dit…

L'humilité, c'est ne sentir pas supérieur au niveau du sol (la racine hum renvoie à la terre, au ras des pâquerettes comme on dit aussi).
La modestie, ce n'est pas ça du tout, c'est savoir qu'on vaut quelque chose et même sans doute beaucoup mais qu'on ne veut pas en tirer gloire et ostentation.
Un Président n'a pas à être humble.
Un Président modeste ça me va...
Et vous ?

Emmanuel Mousset a dit…

1- Erwan, il faut que tu apprennes à penser par toi-même.

2- Humilité, modestie ou tout autre sentiment ne m'intéressent pas. Je ne crois qu'aux convictions. Elles sont bonnes ou mauvaises : c'est là où commence le débat politique et où s'achève le commentaire psychologique.

Erwan Blesbois a dit…

Tu n'es sensible qu'à toi-même et à "tes conditions de vie à l'époque", pauvre petite victime annoncée et qui a forcé son destin à la force du poignet ! Mais songe un peu aux conditions de vie de ceux qui ont exprimé un vote de désespoir au second tour et qui sont 11 millions. Ce n'est pas l'arrogance de ceux qui nous gouvernent et de ceux qui les commentent, qui résoudra le problème. C'est peut-être la compassion de certains profs pour le spectacle pitoyable et pathétique que constituait ta vie selon tes dires ("tes conditions de vie à l'époque"), qui explique le succès de ta trajectoire. Succès inespéré qui explique ta volonté de défendre désormais coûte que coûte tes privilèges acquis, sans l'expression de la moindre empathie (mot que tu détestes), ni compassion (autre mot honni, sauf quand elle s'exprime pour protéger le pauvre petit être blessé et désavantagé par sa naissance que tu fus), ni compréhension pour tes ennemis, les 14 millions d'électeurs qui exprimèrent un vote de protestation au premier tour des présidentielles, soit en comptant Le Pen et Mélenchon, 14,5 millions d'électeurs qui ne se reconnaissent plus dans le système. Puisque tes ennemis se situent dans l'extrémisme "antirépublicain" selon toi, et que tes adversaires se situaient - jusqu'à l'élection de Macron, qui veut rassembler les deux camps unis contre la France qui perd - dans la droite républicaine.
Tout cela sans exprimer pour tes ennemis vaincus la moindre miséricorde, en les traitant par le mépris au mieux, généralement de "cons" sans autre argument, et en enfonçant avec morgue le clou de la victoire, encore et encore, dans le plus pur esprit de partialité, entre le camp du bien et les autres, ceux qui n'ont rien compris au projet européen.
Il faudra un jour que tu nous explique, et aussi, comme disent les politiques lorsqu'ils veulent faire passer une réforme, que tu fasses preuve de pédagogie, par delà le motif psychologique qui te pousse à admirer les puissants, admiration intéressée, selon moi destinée à recueillir leur compassion.

Erwan Blesbois a dit…

Emmanuel Mousset a tout simplement le défenseur de l'idéologie des baby-boomers, par conviction et fidélité. Les petits vieux du baby-boom ont voté comme un seul homme (76% / 24% selon l’Ifop) pour Toufriquet, qui va mener avec agressivité (mais d’une agressivité voilée) et compétence (mais une compétence dévoyée, donc une incompétence) des politiques diamétralement opposées à ce qu’ils veulent : ils ont profité d'une conjoncture favorable pour se constituer des rentes, mais Toufriquet est l'ennemi de la rente.
Si on mettait les cons en orbites, les baby-boomers n’auraient pas fini de tourner…

Emmanuel Mousset a dit…

Que veux tu, Erwan, c'est la loi de la politique : malheur aux vaincus ! Que ce ne soit pas fait pour toi, je le conçois. Cherche ailleurs, dans la spiritualité par exemple.

Philippe a dit…

"malheur aux vaincus !"
c'est une loi générale dans tous les domaines d'une vie d'humain, elle n'est absolument pas réservée au seul domaine de la politique.
Pour un humain transgresser cette loi, aller à contre courant d'elle, dans quelque domaine que ce soit, c'est au final appliquer nos principes dits républicains "liberté, égalité, fraternité".

Cela faisait longtemps que je cherche une expression simple, sur le modèle expressif définissant le "fasciste"en dépassant les trompe-oeil factuels habituels
"malheur aux vaincus !" pourrait être le principe du « fasciste ».

C’est la caractéristique dominante du mammifère prédateur qu’est l’être humain.
Pour avoir la force de transgresser cette loi humaine il faut travailler sur soi.
Religions et structures de sociabilité ont essayé au fil des temps de donner les moyens de ce travail avec le résultat très mitigé que l’on constate.

Emmanuel Mousset a dit…

Non, "malheur aux vaincus", selon mes principes, ne vaut pas pour la vie en général, mais exclusivement en politique, dans une démocratie.

Erwan Blesbois a dit…

Bien vu Philippe, c'est ce que les "néo-réacs" appelés ainsi par les "progressistes", appellent (le camp du Bien qui dit "malheur aux vaincus") le soft-totalitarisme.

V V a dit…

Vae victis, ça n'est pas chrétien du tout, ça, E M...