samedi 27 mai 2017

Les innocents sont des coupables comme les autres



Richard Ferrand est coupable. De quoi ? On ne sait pas. Une affaire immobilière ? Non, la justice n'a pas trouvé matière à enquête. L'emploi de son fils comme assistant parlementaire ? Non plus : c'était un vrai travail, et parfaitement légal. Alors quoi ? Rien, toujours rien. Ferrand est coupable, c'est tout. On le somme de s'expliquer, voire de démissionner, puisqu'il est coupable. Aucun chef d'accusation, mas un sentiment de culpabilité, qui a gagné l'intéressé lui-même : "si c'était à refaire, je ne le referais pas", a-t-il dit à propos de l'embauche du fiston.

Dans quel monde vivons-nous pour qu'un innocent passe pour coupable, y compris à ses propres yeux ? C'est très simple, et terrible : nous vivons dans le monde de la morale (la politique n'a évidemment rien à voir avec tout ça). Cette histoire me fait penser au film magnifique de Jean-Pierre Melville, "Le Cercle rouge", dans lequel Bourvil joue son dernier et plus beau rôle, celui d'un commissaire de police. Pour mettre la pression sur un homme, il fait arrêter son fils, sous un prétexte complètement inventé. Il se trouve que le fils en question avait quand même quelque chose à se reprocher : un peu de drogue en sa possession. A la fin, Bourvil a cette formule : "Tous les hommes sont coupables ; tous les hommes ..." En cherchant bien, chacune de nos existences cache quelque chose de suspect, de répréhensible, de condamnable.

Notre société ne croit plus depuis déjà longtemps en la religion. Celle-ci faisait de chaque homme, puissant ou misérable, un pécheur. Elle expliquait le mal par le diable. Elle promettait récompense et peine au jour du Jugement. Les choses étaient claires et efficaces. Puis la société a changé : elle s'est mise à croire au droit, à la loi, à la justice. C'est alors la société, et non plus Dieu, qui a décidé de ce qui était permis et défendu. Les hommes ont perdu l'éternité mais gagné la liberté. Depuis peu, la justice ne suffit plus, est trop complexe, est d'ailleurs souvent contestée : place à la morale !

La morale est manichéenne : il y a le bien, il y a le mal, les bons et les méchants. La morale est variable : aujourd'hui, les bons, ce sont les petits, les simples citoyens, la France d'en bas ; les méchants, ce sont les gros, les puissants, les élites. La morale est hypocrite : faites ce que je dis, pas ce que je fais. Les hommes politiques sont soupçonnés d'embaucher des membres de leur famille, mais le Français moyen ne s'en prive pas et trouve ça très bien. La morale est inhumaine : l'emploi familial, c'est la base de la solidarité humaine, que la morale désormais condamne, parce qu'elle a des comptes à régler avec ceux d'en haut.

Aujourd'hui, la simple morale (respect, courage, générosité ...) ne suffit pas. On réclame la moralisation de la vie publique, comme Robespierre voulait instaurer le règne de la vertu, une sorte de purification. Je sais : j'exagère et je commets un anachronisme. Mais c'est parce que je suis très inquiet de l'évolution de nos mœurs. Et parce que Richard Ferrand est innocent. Bien sûr, j'approuve et soutiens le président Macron et le député Dosière dans leur projet de loi : faire de la politique, en démocratie, c'est répondre aux attentes de l'opinion, qui n'a plus de religion, qui doute de la justice, qui s'accroche à la morale. La culpabilité est désormais le sentiment le mieux partagé, y compris chez les innocents. Mais ce monde de la morale n'est pas vraiment le mien.

2 commentaires:

Girondin a dit…

"Les hommes politiques sont soupçonnés d'embaucher des membres de leur famille, mais le Français moyen ne s'en prive pas et trouve ça très bien."
Vous présentez les choses à votre convenance, cher Emmanuel Mousset !
Les hommes politiques ne sont pas soupçonnés d'embaucher des membres de leur famille, ils sont soupçonnés, ce n'est pas la première fois sur ce blogue que cela vous est signifié, de les embaucher sur les comptes de la nation !
Si un politique ou un français moyen comme vous le dites, emploie un membre de sa famille à ses frais, personne ne trouvera quoi que ce soit à redire...
Si un politique ou un français moyen emploie un membre de sa famille sur un compte qui n'est pas le sien, il y a à redire !
Et je ne m'en priverai pas !
Il faut que cessent les emplois (familiaux ou autres), qui ne sont pas réglés par les employeurs directement sur leurs propres deniers !
C'est quand même facile à comprendre ça ?
Si vous ne comprenez pas, c'est que vous ne voulez pas comprendre !

Emmanuel Mousset a dit…

L'argent ne tombe jamais du ciel. Quand vous embauchez quelqu'un, où que ce soit, c'est toujours sur le compte d'un autre. Nation ou patron, peu importe. L'essentiel est la légalité. Une illégalité à nos frais ne devient pas pour autant acceptable.